Filature et intrusion dans la vie privée d’un travailleur

13 août 2024

Dans la décision Rheault et Groupe MBM inc., 2024 QCCNESST 174 (Patricia Riopel, médiatrice-décideuse), le travailleur dépose une plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « Commission ») en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après, la « Loi »). Il allègue avoir fait l’objet d’un congédiement parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle.

Le travailleur occupe un poste non syndiqué de chauffeur. Alors qu’il était au travail, il chute sur la glace en sortant de son camion. Une réclamation pour lésion professionnelle est déposée et celle-ci est acceptée par la Commission. Le travailleur est alors mis en arrêt de travail, lequel sera reconduit à de nombreuses reprises. Un retour au travail est tenté, mais celui-ci échoue après quatre (4) jours. Le travailleur est alors de nouveau en arrêt de travail.

Au cours de l’arrêt de travail du plaignant, ses supérieurs sont informés que le travailleur serait à l’emploi d’une autre compagnie de camionnage, et ce, pendant son arrêt de travail. À cet égard, et devant les informations vagues et contradictoires que leur transmet le plaignant, le comité de direction décide d’engager une firme de sécurité et lui octroie un mandat de filature vidéo.

À la suite du rapport de filature, d’une rencontre avec le travailleur et des conclusions d’une expertise médicale, le travailleur se voit remettre une lettre de congédiement disciplinaire pour faute grave. L’employeur allègue que le plaignant a fait preuve d’un manque d’honnêteté et de diligence en lien avec l’évolution de sa condition. En effet, il aurait effectué des activités personnelles complètement incompatibles avec sa condition rapportée et pour laquelle il était en arrêt de travail.

Le travailleur soulève que le rapport de filature accompagné d’une vidéo porte atteinte à sa vie privée. La Commission soulève donc d’office la nécessité de statuer sur la recevabilité de la preuve découlant de la filature afin de déterminer si elle doit être considérée dans le cadre du litige. Elle est appelée à déterminer si les conditions d’obtention de la preuve découlant de la filature demandée par l’employeur portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux du travailleur et si son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Le Tribunal rappelle que la jurisprudence a établi que la filature comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée lorsque le travailleur est filmé à l’extérieur de l’établissement de l’employeur[1]. En l’espèce, le travailleur a été filmé dans la cour avant de son domicile. Il y a donc atteinte au droit à la vie privée du travailleur. L’employeur doit ainsi démontrer les motifs rationnels et sérieux pour lesquels il doutait de l’honnêteté du travailleur.

L’employeur invoque deux motifs pour expliquer ses doutes et justifier sa demande d’enquête. D’abord, il soupçonnait le travailleur d’occuper un autre emploi pendant la période de consolidation médicale. Il a obtenu cette information d’un tiers. La Commission est d’avis que ce motif ne repose pas sur des raisons rationnelles et sérieuses, mais sur un doute résultant de vague ouï-dire. 

Le second motif invoqué par l’employeur concerne l’évolution médicale du travailleur. Celle-ci lui apparaissait atypique, ce qui soulevait des doutes sur la véracité des propos de ce dernier. Or, la Commission est d’avis que les doutes de l’employeur n’étaient pas appuyés sur des informations médicales rationnelles et sérieuses.

Le Tribunal conclut que le rapport de filature et la vidéo réalisée à l’extérieur des lieux du travail ne sont pas recevables. En effet, même si l’employeur avait des doutes quant à la véracité des symptômes allégués pendant la période de consolidation de la lésion professionnelle, la surveillance n’était pas l’option à privilégier, car celui-ci pouvait recourir à une expertise médicale, tel que cela est prévu à la Loi.

Puisque la Commission conclut que la demande de filature ne reposait pas sur des motifs sérieux et rationnels et qu’elle n’a pas été conduite par des moyens raisonnables, elle juge qu’elle n’a pas à se prononcer sur la déconsidération de l’administration de la justice.

Sur le fond du dossier, la plainte du travailleur est accueillie et son congédiement annulé.

 

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Notes de bas de page

[1]

La Commission se fonde sur l’arrêt Syndicat des travailleurs et travailleuses de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, 1999 CanLII 13295 (QC CA).

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Milia Langevin

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