Merci de vous inscrire à notre infolettre.
Infolettre
Si vous souhaitez recevoir de nos nouvelles, il suffit d’entrer votre adresse courriel dans la boîte ci-contre.
Veuillez remplir les champs correctement.

Gain de cause dans un recours contre la Loi 24!

La Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, la Fraternité des policiers et policières de Montréal et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec obtiennent gain de cause dans un recours contre la Loi 24.

Le 5 octobre dernier, la Cour supérieure, sous la plume du juge Lukasz Granosik, a rendu une décision portant sur la validité constitutionnelle de la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (ci-après, la « Loi 24 »). Le jugement rendu conclut que l’arbitrage de différends ne constitue pas un substitut valable au droit de grève lorsque les syndicats sont exclus du processus de constitution et de nomination des membres du tribunal d’arbitrage du différend. En matière de liberté d’association garantie par l’article 2d) de la Charte, cette décision permet à la Charte d’évoluer en un véritable « chêne géant »[1].

 

Contexte

La Loi 24 est adoptée et sanctionnée le 2 novembre 2016. Elle modifie le Code du travail et met en place deux nouveaux régimes de négociation collective, le premier s’appliquant aux policiers et pompiers municipaux, et le deuxième aux salariés municipaux. La Loi établit également qu’une convention collective liant une association accréditée et un employeur du secteur municipal doit être d’une durée déterminée d’au moins cinq ans, y compris pour une première convention collective. Qui plus est, la Loi 24 vient prescrire huit facteurs que le tribunal d’arbitrage de différends est tenu de prendre en compte pour résoudre les mésententes, alors que l’article 99.5 du Code du travail, aboli par la Loi, n’en prévoyait que trois. De plus, la Loi 24 prévoit désormais l’obligation d’acquitter les honoraires des arbitres de différends.

Surtout, cette Loi prescrit une phase de négociation collective qui, en cas d’échec de celle-ci, sera suivie d’une phase de médiation obligatoire. Enfin, en dernier recours, un mécanisme de règlement des différends obligatoire est prévu. Pour mettre en application ce mécanisme, la Loi instaure un Conseil de règlement des différends (ci-après, « CRD »). En cas d’échec de la médiation obligatoire, le gouvernement désigne trois arbitres dans une liste prédéterminée d’arbitres éligibles. Ceux-ci forment un tribunal d’arbitrage chargé d’entendre les parties et de fixer le contenu de la convention collective. Par règlement[2], le gouvernement a mis en place deux mécanismes parallèles de détermination de la nouvelle liste d’arbitre des différends (un pour les policiers et pompiers, l’autre pour les autres employés municipaux). Le règlement prévoit notamment la création d’un comité de sélection, un appel de candidatures et la nomination par le gouvernement des personnes aptes à exercer la fonction d’arbitres de différends, sur recommandation du comité de sélection, pour une période de cinq ans.

 

Prétentions des parties

Les syndicat demandeurs, la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, la Fraternité des policiers et policières de Montréal et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec (ci-après, les « syndicats demandeurs »), s’attaquent aux dispositions qui touchent le régime de négociation et d’arbitrage de différend des policiers et des pompiers municipaux et réclament une déclaration d’invalidité du chapitre 2 (articles 3 à 35) et des articles 1, 50, 51, 52, 53, 55, 57 et 58 de la Loi 24. Selon les syndicats demandeurs, le mécanisme de règlement des différends qui s’applique aux policiers et pompiers municipaux ne répond pas aux prescriptions de la Cour suprême du Canada en matière de liberté d’association. La Loi 24 crée un recul historique en matière de liberté d’association et de négociation collective dans le secteur municipal.

Quant aux syndicats intervenants (la Confédération des syndicats nationaux et le Syndicat canadien de la fonction publique), ils s’attaquent à la disparition du recours à l’arbitrage de différends à la demande d’une partie lors de la négociation de la première convention collective dans le secteur municipal ainsi que la conciliation disponible en tout temps pour les employés municipaux autres que les policiers et pompiers. Analysant la preuve et les arguments soumis par les syndicats intervenants, la Cour supérieure arrive à la conclusion que ce qu’ils recherchent, c’est une méthode particulière de négociation ou un régime précis de relations de travail, ce qui n’est pas protégé par l’alinéa 2d) de la Charte. Ainsi, l’absence de conciliation en tout temps d’arbitrage obligatoire à la demande d’une partie ne constitue pas, selon le juge, une atteinte substantielle à la liberté d’association.

 

Les conclusions de la Cour à l’égard des prétentions des syndicats demandeurs

L’analyse du juge Granosik débute avec un retour théorique sur l’élargissement de la portée de la liberté d’association en revenant sur les arrêts de la Cour suprême du Canada qui ont posé les jalons de cette « phénoménale évolution trentenaire de l’interprétation de l’article 2d) de la Charte »[3]. Le droit est désormais abouti et apparaît fixé, nous dit la Cour : « la Charte garantie aujourd’hui aux syndicats un processus de négociation véritable, ce qui inclut le droit de grève ou, à défaut, un mécanisme de règlement des différends qui soit constitutionnellement valide »[4].

La Cour supérieure se prononce dans un premier temps sur plusieurs aspects de la Loi 24 contestés par les syndicats demandeurs (durée minimale obligatoire de la convention collective, médiation obligatoire préalable à l’arbitrage, facteurs à appliquer par les arbitres et obligation d’acquitter les honoraires des arbitres). Elle en arrive à la conclusion que ces choix législatifs ne constituent pas des entraves substantielles à la liberté d’association.

Dans un deuxième temps, la Cour s’attaque au cœur du litige : la constitution du tribunal d’arbitrage de différends. Le juge Granosik note d’abord une préoccupation liée à l’indépendance du Comité de sélection puisqu’il comprend trois représentants gouvernementaux sur cinq, alors qu’un seul représentant syndical y est inclus pour représenter un membership aussi vaste que tous les policiers et pompiers du Québec. Sachant que le gouvernement est le bailleur d’une somme importante en faveur des municipalités par des transferts annuels récurrents, cela est sans conteste un problème. La présence du représentant syndical dans ce Comité, ne représentant qu’une voix sur cinq, constitue un mode de représentation factice.

Ensuite, la juge Granosik fait voir que les syndicats ne sont aucunement consultés et ne peuvent influer ou contribuer d’aucune façon à la nomination des arbitres du CRD : « ces derniers sont choisis par les fonctionnaires gouvernementaux à partir de la liste ou se trouvent toutes les personnes aptes, choisies, elles aussi par des fonctionnaires gouvernementaux »[5]. Selon la Cour, « il est manifeste que le retrait de toute faculté de choisir la personne qui déterminera la « loi des parties », soit la convention collective et donc toutes les conditions de travail constitue une entrave substantielle à la liberté d’association »[6]. En matière d’arbitrage de différends obligatoires, « les parties ne font pas appliquer ou exécuter leurs droits, mais procèdent à leur création. Ainsi, si un tel arbitrage doit constituer un substitut adéquat au droit de grève, encore faut-il que les syndicats puissent y participer réellement au stade du choix du décideur »[7].

La Cour se demande par la suite si cette atteinte au droit d’association des syndicats demandeurs est justifiée suivant l’article premier de la Charte. Le juge constate d’abord que la saine gestion des finances municipales et la volonté d’atteindre la paix industrielle constituent bel et bien des objectifs urgents et réels. Quant au lien rationnel entre les moyens choisis et les objectifs poursuivis par le législateur, la Cour le considère manifeste.

Le litige trouve son dénouement à l’étape du critère de l’atteinte minimale puisque la Cour supérieure détermine que « l’atteinte ne se situe pas dans le spectre de ce qui est concevable, mais bien au-delà »[8]. Il n’est pas justifié que les syndicats demandeurs ne puissent plus s’entendre avec l’employeur sur l’identité de l’arbitre de différend, comme c’était le cas auparavant. D’ailleurs, comme le relève la Cour, le processus de désignation et d’identification des personnes aptes à remplir la fonction d’arbitre n’a jamais été identifié comme un problème affectant la négociation collective chez les policiers et les pompiers municipaux. Finalement, la proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif milite en faveur des syndicats demandeurs puisque les inconvénients qu’ils subissent ne sont pas négligeables : « être placé devant des conditions de travail fixées pour une période d’au moins cinq ans sans qu’on puisse d’aucune façon influer sur le choix du décideur, c’est enlever aux syndicats un élément de négociation capital »[9].

La Cour conclut que les dispositions relatives au CRD portant sur la liste des membres, le choix des personnes aptes à siéger, la constitution et la formation du comité de sélection, son rôle et son fonctionnement, son pouvoir et ses recommandations et enfin, la formation de chaque CRD (les articles 10, 11, 12, 25 et 26 de la Loi 24) sont invalides. Elle suspend pour une durée de 12 mois la prise d’effet de cette déclaration afin de donner le temps au gouvernement d’examiner les répercussions de la décision et lui permettre d’y répondre en adoptant une loi qui soit compatible avec la Constitution.

La décision est disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jjg56

 

Nous félicitons Me Laurent Roy pour son excellent travail dans ce dossier!

 


[1] Pour reprendre les termes du juge Granosik, Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4105, par. 1.

[2] Procédure menant à la reconnaissance des personnes aptes à agir en matière de règlement des différends dans le secteur municipal, RLRQ, c. R-8.3, r.1.

[3] Id., préc., note 1, par. 43.

[4] Id., par. 47.

[5] Id., par. 92.

[6] Id., par. 95.

[7] Id., par. 100.

[8] Id., par. 123.

[9] Id., par. 126.