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Hak c. Procureur général du Québec (Loi 21)

Me Kim Simard

 

Le 20 avril 2021, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure a rendu un jugement portant sur la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité de l’État, plus communément appelée la Loi 21. Rappelons que plusieurs personnes physiques et morales, des regroupements et associations tant religieuses que laïques réclament, dans quatre recours judiciaires distincts, que la Cour supérieure déclare invalide certaines dispositions de la Loi 21, ou voir même l’ensemble de la Loi.

Dans ce jugement, fort de 240 pages, le juge Blanchard passe en revue les questions relatives au partage des compétences, sujet central au présent litige. À cet égard, rappelons que les demandeurs arguent que la Loi 21 se trouve à modifier la nature de la société canadienne, qui repose sur des valeurs d’inclusion et d’égalité. Ce faisant, les articles 6 et 8 de la Loi 21 violeraient le partage de compétence établi par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnellede 1867. En somme, selon les demandeurs, l’Assemblée Nationale aurait agi de manière ultra vires en adoptant la Loi 21, puisqu’elle ne possède pas la compétence pour adopter ces types de changements fondamentaux aux institutions politiques qui composent l’architecture de la Constitution canadienne.

Le juge Blanchard affirme qu’en ce qui a trait aux personnes visées dans le milieu de l’éducation, la Loi 21 relève du champ de compétence provinciale suivant l’article 92(16) de la LC de 1867. Pour ce qui est des autres dispositions de la Loi 21, elles tombent sous la compétence provinciale en vertu de l’article 92(4) de la LC de 1867, à l’exception des articles 13 à 16 de la Loi 21, qui relèvent de l’article 92(13) de la LC de 1867. Finalement, la Loi 21 possède tous les attributs d’une loi sur l’ordre et la moralité publique, mais elle ne tombe pas dans le champ de compétence fédérale du droit criminel en vertu de l’article 91(27) de la LC de 1867, car la règle du stare decisis impose que pour ce faire elle doit comporter une peine, alors que la Loi 21 n’en comporte aucune.

Le juge Blanchard affirme qu’en vertu de la règle du stare decisis, la Loi 21 n’enfreint pas l’architecture de la Constitution canadienne. En effet, tant la Cour d’appel que la Cour suprême nous enseignent la primauté de la Constitution écrite. L’argument qui repose sur l’architecture constitutionnelle, dans l’état actuel du droit ne vaut que pour des situations que cette même Constitution ne prévoit pas déjà expressément. Or, à l’évidence, il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce.

Le juge Blanchard rejette ensuite la prétention des demandeurs à l’effet que la Loi 21 viole la primauté du droit en raison de son imprécision. Il lui apparaît téméraire de conclure que l’application de la Loi 21 ne mènera, nécessairement et de façon systématique, qu’à des interprétations incongrues ou illogiques. D’une part, comme l’enseigne le domaine de contrôle judiciaire, il peut coexister deux ou plusieurs solutions raisonnables découlant d’une même règle de droit. D’autre part, le fait que la Loi 21 cause et causera assurément des préjudices à plusieurs personnes, ne constitue pas un critère juridique utile pour déterminer la nature imprécise de la Loi 21.

Dans le deuxième volet de leur argumentaire, les demandeurs plaident que le législateur québécois fait usage des clauses de dérogation de manière non conforme ni au droit interne ni au droit international et ils recherchent une déclaration d’inconstitutionnalité tant des dispositions comportant la dérogation aux chartes que de celles qui violeraient les articles 2a), 2b), 2d) et 15 de la Charte canadienne et leurs pendants de la Charte québécoise.

Le juge Blanchard dispose de cet argument en s’estimant lié par l’arrêt Ford en application du principe de stare decisis. Par conséquent, l’utilisation des clauses de dérogation par le législateur s’avère juridiquement inattaquable. Le juge Blanchard ne manque pas de critiquer au passage le choix du législateur québécois de recourir à la clause dérogatoire, aux paragraphes 768 à 770 de son jugement:

[768] Cependant, de façon plus remarquable et pertinente pour notre propos, la Loi 21 constitue le premier texte législatif qui déroge simultanément aux articles 1 à 38 de la Charte québécoise et 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne. Donc, on ne peut que constater qu’en agissant ainsi le constituant suspend, à l’égard de la Loi 21, presque l’ensemble des droits et libertés dans la province de Québec. Peu importe la perspective que l’on entretient face à la Loi 21, il faut souligner qu’il ne s’agit pas là d’une mince affaire, bien au contraire. Voilà pourquoi le Tribunal évoquait plus haut une certaine banalisation et indifférence quant à la portée réelle de l’exercice de dérogation.

[769] En tant que gardien de la primauté du droit, le Tribunal se doit de s’interroger sérieusement sur un recours aussi large aux clauses de dérogation. Il doit également le mettre en lumière.

[770] Évidemment, à charge de se répéter, le législateur peut utiliser les clauses de dérogation que prévoient spécifiquement les chartes, le problème ne se situe pas à ce niveau. Il relève plutôt d’un usage qui apparaît à la fois désinvolte et inconsidéré de cette prérogative, en ce qu’il ratisse beaucoup trop large. À ce sujet, le Tribunal insiste sur le fait que le jugement qu’il porte sur l’usage des clauses de dérogation s’applique uniquement à l’égard de la dérogation relative aux droits et libertés qui ne possèdent aucune apparente connexité avec l’objectif de laïcité poursuivi par le législateur, tel qu’énoncé auparavant aux paragraphes [759] à [762].

En ce qui a trait à l’inconstitutionnalité de l’article 8 de la Loi 21, lequel prévoit qu’un « membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert », le juge Blanchard conclut qu’il viole l’article 3 de la Charte canadienne, lequel prévoit que « Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ». Selon le juge, la simple lecture de l’article 33, qui contient la clause permettant de déroger à la Charte canadienne, convainc que l’on ne peut appliquer une clause de dérogation à l’encontre de l’article 3 et que par conséquent, il prive de façon effective toute personne qui couvre son visage de la possibilité réelle de se présenter à une élection provinciale. Comme le PGQ ne présente aucune preuve ou démonstration en vertu du test de l’article 1 de la Charte canadienne, le juge Blanchard déclare que le premier paragraphe de l’annexe III de la Loi 21 inopérant en vertu de l’article 52 de la Charte canadienne.

Finalement, la Cour supérieure se prononce en faveur de l’argument avancé par le demandeur English Montreal School Board à l’effet que la Loi 21 viole l’article 23 de la Charte, qui accorde des droits constitutionnels aux minorités linguistiques dans la gestion de leurs écoles. Le juge Blanchard est d’avis que le fait pour la minorité anglophone du Québec de réclamer la protection de l’article 23 de la Charte pour faire son choix quant à l’embauche de son personnel enseignant par exemple, ne constitue pas une affirmation ou une reconnaissance d’une attitude négative différente à l’égard des questions de laïcité, de diversité, d’ouverture ou de tolérance que l’on retrouvent dans la majorité francophone, mais simplement que la minorité anglophone décide de faire ce choix pour des raisons qui lui appartiennent légitimement.

Selon le juge Blanchard, la preuve démontre clairement que les commissions scolaires anglophones désirent intégrer les minorités culturelles qui portent des signes religieux afin de faciliter cette même intégration et la réussite scolaire de ses élèves issues de groupes religieux minoritaires qui portent des signes religieux, en assurant une représentativité de ces minorités dans le corps enseignant et les dirigeants d’établissement scolaire. Pour ces raisons, le juge déclare que le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16 lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi 21, violent l’article 23 de la Charte.

Le juge Blanchard se livre ensuite à l’analyse du test de l’article premier de la Charte. Il est d’abord convaincu que le législateur québécois atteint un objectif législatif réel et urgent aux termes de la jurisprudence en adoptant la Loi 21. Toutefois, le juge conclut que les défenseurs de la Loi 21 ne se déchargent pas de leur fardeau de démontrer par une démonstration convaincante, qui peut se fonder sur une preuve prépondérante, que l’interdiction du port des signes religieux participe à la neutralité de l’État dans son sens formel. Donc, il s’ensuit que les effets préjudiciables de la Loi 21 contenus au premier alinéa de l’article 4, aux articles 6, 7, 8, 10, au premier et au deuxième alinéa de l’article 12, aux articles 13, 14 et 16 lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III ne s’avèrent pas proportionnées et ainsi l’atteinte à l’article 23 de la Charte ne peut se justifier aux termes de l’article premier.

En somme, la Cour supérieure accueille partiellement la demande en déclarant inopérants les dispositions de la Loi 21 relatives au port des signes religieux du personnel de l’Assemblée Nationale et pour le personnel enseignant de l’English Montreal School Board.

Lors d’une conférence de presse tenue le 20 avril le ministre de la justice, monsieur Simon Jolin-Barrette, a annoncé son intention de se pourvoir en appel contre cette décision, en sa qualité de Procureur général du Québec.