Développements récents
La deuxième partie du projet de loi C-46, entré en vigueur le 18 décembre 2018, constitue la plus récente initiative du Parlement canadien pour lutter contre la conduite avec les capacités affaiblies. Rappelons que de nombreux changements importants ont été apportés au régime des infractions relatives aux moyens de transport, notamment la codification du moyen de défense du « dernier verre » et le pouvoir des policiers de demander un échantillon d’haleine à tout conducteur en l’absence de soupçons raisonnables, pour ne nommer que ceux-ci.
Sous l’ancien régime, deux présomptions facilitaient la preuve de l’infraction par le ministère public. La présomption d’identité visait à établir que les résultats de l’alcootest correspondent à l’alcoolémie de l’accusé au moment de la conduite. La présomption d’exactitude quant à elle visait à prouver que l’alcoolémie qui est constatée dans le certificat représente la mesure exacte de la concentration d’alcool présente dans le sang de l’accusé.
La présomption d’identité est dorénavant intégrée au cœur même du régime, puisque le nouvel article 320.14 C.cr. interdit d’avoir une alcoolémie supérieure à la limite permise suivant les deux heures où il a cessé de conduire[1]. Ce faisant, nul besoin de recourir à la présomption d’identité, puisque le nouveau régime ne requière tout simplement plus la preuve du taux d’alcoolémie au moment de la conduite. Pour se prévaloir de la présomption d’exactitude, la poursuite devra démontrer que les trois conditions prévues à l’article 320.31(1) C.cr. sont réunies.
L’intuition et les soupçons raisonnables
Suivant le nouvel article 320.27(1), C.cr., le policier qui n’a pas d’appareil de détection approuvé (ci-après « ADA ») en sa possession peut ordonner à un individu de fournir un échantillon d’haleine s’il a des soupçons raisonnables de croire que cet individu a conduit dans les trois heures après avoir consommé de l’alcool ou des drogues.
L’intuition, ou le flair policier, fait appel à l’expérience d’un policier ou d’une policière afin d’anticiper la découverte d’éléments de preuve dans une situation donnée. Bien que l’expérience des policiers ne doive pas être dépréciée dans l’évaluation des motifs d’intercepter et de fouiller un véhicule[2], une simple intuition fondée sur l’expérience n’est pas suffisante pour que la norme des soupçons raisonnables soit respectée[3].
La formation et l’expérience d’un policier peuvent jouer un rôle important lorsqu’il s’agit de déterminer si la norme des soupçons raisonnables a été respectée. C’est la raison pour laquelle un fait ou un aspect insignifiant aux yeux du profane peut parfois se révéler très important à ceux d’un policier[4]. Néanmoins, les policiers doivent être en mesure d’indiquer une raison précise pour laquelle ils enquêtent, au‑delà d’une simple intuition. Par conséquent, pour déterminer si l’existence de soupçons raisonnables a été prouvée, il faut procéder à l’analyse du caractère objectivement raisonnable du point de vue d’une personne raisonnable mise à la place du policier[5].
Il convient de rappeler qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 320.27 C.cr., tout policier ayant en sa possession un ADA peut ordonner à un conducteur de fournir un échantillon d’haleine et ce, en l’absence de soupçons raisonnables de croire que le conducteur ait consommé de l’alcool ou des drogues.
Jurisprudence récente en droit québécois
Dans l’affaire Gauthier[6], l’accusé s’était endormi sur le siège conducteur de son véhicule alors qu’il était dans le stationnement d’un restaurant de Trois-Rivières. Après avoir constaté une odeur d’alcool et la confusion du conducteur, les policières le placent en état d’arrestation pour conduite avec facultés affaiblies. Au procès, l’accusé a repoussé avec succès la présomption établie par le nouvel article 320.35 C.cr., à l’effet que, lorsqu’une personne occupe le siège conducteur d’un véhicule, elle est présumée l’avoir conduit. L’accusé obtient un acquittement après avoir affirmé ne pas avoir l’intention de conduire son véhicule à l’arrivée des policières puisqu’il dormait en attendant le représentant de Tolérance zéro[7].
Dans la décision Hudon[8], l’accusé fait face à un chef d’avoir refusé de fournir un échantillon d’haleine. Dans cette affaire, l’accusé est intercepté vers 3h du matin et la policière lui a ordonné de fournir un échantillon d’haleine. Il s’est exécuté et a tenté de fournir un échantillon à la réalisation d’une analyse convenable tout en étant coopératif et calme tout au long de l’intervention. Malgré l’apparence de coopération, on lui reproche d’avoir agi de manière délibérée à ce qu’un échantillon convenable ne puisse être obtenu. D’entrée de jeu, le juge Richard Marleau de la Cour du Québec est d’avis que les nouvelles dispositions ne modifient pas les éléments essentiels de l’infraction anciennement prévus à l’article 254(2) C.cr. Au procès, l’agent a admis que l’ADA à plus d’une reprise ne s’est pas comporté conformément au manuel, ni n’affichait les codes qui auraient dû normalement correspondre au comportement que reproche l’agente à l’accusé.
Il est donc acquitté, puisque le comportement de l’accusé est incompatible avec les messages affichés de l’ADA.
Conclusion
Le nouveau régime entourant les infractions relatives aux moyens de transport constitue un changement majeur. De même, les avocats pratiquant en défense n’auront d’autre choix que de repenser leur stratégie afin de permettre à leurs clients de présenter une défense pleine et entière.
Si vous avez des questions ou si vous souhaitez obtenir des conseils juridiques sur les infractions criminelles relatives aux moyens de transport, n’hésitez pas à communiquer avec nous.
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[1] R. c. Cloutier, 2019 QCCQ 5278; R. c. Leblanc, 2019 QCCQ 3444.
[2] R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312.
[3] R. c. Mann, 2004 CSC 52, par. 30.
[4] R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, par. 62.
[5] R. c. Chehil, 2013 CSC 49, par. 46.
[6] R. c. Gauthier, 2020 QCCQ 2072.
[7] Id., par. 29.
[8] R. c. Hudon, 2020 QCCQ 2165.
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