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La santé et sécurité au temps de la COVID-19 : retrait préventif et droit de refus

Me Laurence Lorion (en collaboration avec Me Stéphanie Bouchard

 

A. RETRAIT PRÉVENTIF

1. Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite

A) Le retrait préventif de la travailleuse enceinte

L’article 42 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après : la « LSST ») permet à la travailleuse enceinte qui fournit un certificat médical attestant que ses conditions de travail comportent un danger pour son enfant à naître ou pour elle-même en raison de son état de grossesse d’être réaffectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers. Naturellement, la travailleuse enceinte doit être raisonnablement en mesure d’effectuer les nouvelles tâches assignées. Si de telles tâches ne sont pas disponibles, la travailleuse enceinte est alors retirée de son milieu de travail et cesse de travailler.

Est-ce que la situation actuelle de pandémie de COVID-19 permet à la travailleuse enceinte d’avoir droit aux dispositions portant sur le retrait préventif ?

En raison de la présence récente de la COVID-19 et du manque de données, il est difficile pour l’Institut national de santé publique du Québec (ci-après : « l’INSPQ ») d’évaluer le risque réel pour la femme enceinte. L’INSPQ considère toutefois que « lors de la grossesse, l’immunité est réduite et que des changements physiologiques et immunologiques rendent la femme enceinte plus vulnérable aux infections respiratoires, dont la COVID-19 »[1].

L’INSPQ a émis des mesures de prévention pour les travailleuses enceintes. Ces mesures permettent de déterminer les modalités d’application du programme Pour une maternité sans danger de la CNESST. Les recommandations émises varient selon la présence ou non de transmission communautaire décrétée par le Directeur de la santé publique.

Le 4 avril dernier, lors d’une conférence de presse, le directeur national de la Santé publique a indiqué la présence de transmission communautaire dans l’ensemble du Québec. Toutefois, sur le site du ministère de la Santé et des Services sociaux, il est indiqué que la transmission communautaire aurait seulement été observée en Estrie et à Montréal[2].

Absence de transmission communautaire décrétée par le directeur de la santé publique

En l’absence de transmission communautaire, les recommandations de l’INSPQ se limitent à affecter la travailleuse enceinte dans d’autres tâches permettant d’éliminer:

  • La présence dans un même local (chambre, salle de traitement, etc.) avec les personnes sous investigation ou les cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Les soins, les prélèvements, les examens médicaux, les examens paracliniques et les traitements des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Le transport des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Les tâches reliées au nettoyage et à la désinfection de l’environnement, du matériel et des effets personnels ayant été en contact avec une personne sous investigation, un cas probable ou confirmé de COVID-19;
  • La gestion des dépouilles qui étaient des personnes sous investigation ou des cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Les contacts, soins ou traitements des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19 en confinement au domicile ou en hébergement;

Toutes tâches dans les secteurs ou les établissements déclarés en isolement pour la COVID-19 par les autorités de l’établissement concerné[3].

Transmission communautaire décrétée par le Directeur de la santé publique

Dans un contexte de transmission communautaire, les mesures de prévention émises par l’INSPQ dépendent du milieu de travail dans lequel évolue la travailleuse enceinte. Les milieux de travail sont divisés de la façon suivante :

  • Niveau élevé ou très élevéd’exposition au virus : milieux hospitaliers, cliniques médicales dédiées ou non dédiées et milieux d’isolement ;
  • Niveau modéré d’exposition: milieux de travail dans lesquels la travailleuse a des contacts rapprochés (moins de 2 mètres et sans mesure de protection physique, telle une vitre de séparation) auprès de la clientèle ou des collègues de travail ;
  • Niveau faible d’exposition: les milieux de travail sans contact rapproché avec la clientèle mais avec contact rapproché avec les collègues de travail.

Dans les milieux de travail de niveau élevé ou très élevé d’exposition, l’INSPQ recommande d’affecter la travailleuse enceinte à des tâches permettant d’éliminer :

  • Les contacts rapprochés (moins de 2 mètres et sans mesure de protection physique, telle une vitre de séparation) auprès de la clientèle et des collègues de travail ;
  • La présence dans un même local (chambre, salle de traitements, etc.) avec les personnes sous investigation ou les cas probables ou confirmés de COVID-19 ;
  • Les soins, les prélèvements, les examens médicaux, les examens paracliniques et les traitements des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Le transport des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Les tâches reliées au nettoyage et à la désinfection de l’environnement, du matériel et des effets personnels ayant été en contact avec une personne sous investigation, un cas probable ou confirmé de COVID-19 ;
  • La gestion des dépouilles qui étaient des personnes sous investigation ou des cas probables ou confirmés de COVID-19;
  • Les contacts, soins ou traitements des personnes sous investigation ou cas probables ou confirmés de COVID-19 en confinement au domicile ou en hébergement;
  • Toutes tâches dans les secteurs ou les établissements déclarés en isolement pour la COVID-19 par les autorités de l’établissement concerné[4].

Dans les milieux de travail de niveau modéré d’exposition, l’INSPQ recommande d’affecter la travailleuse enceinte à des tâches permettant d’éliminer les contacts rapprochés avec la clientèle et les collègues. Les contacts sont considérés comme étant rapprochés à moins de deux mètres de séparation et sans protection physique, telle une vitre[5].

Dans les milieux de travail de niveau faible d’exposition, l’INSPQ recommande d’affecter la travailleuse à des tâches permettant d’éliminer les contacts rapprochés avec les collègues de travail. Les contacts sont considérés comme étant rapprochés à moins de deux mètres de séparation et sans protection physique, telle une vitre[6].

B) Le retrait préventif de la travailleuse qui allaite

En vertu de l’article 46 de la LSST, la travailleuse qui allaite peut également se prévaloir d’une affectation à d’autres tâches si elle est en mesure de démontrer que les conditions de son travail comporte des dangers pour l’enfant qu’elle allaite.

Comme l’INSPQ ne dispose pas actuellement de données probantes indiquant que l’infection au COVID-19 se transmette par le lait maternel, aucune recommandation de réaffectation pour les travailleuses allaitantes n’a été émise par cet organisme en date du 28 mars 2020[7]. Pour l’instant, le retrait préventif pour la travailleuse qui allaite aux motifs de l’exposition au corona virus ne semble pas possible.

2. Le retrait préventif général

L’article 32 de la LSST prévoit qu’ « un travailleur qui fournit à l’employeur un certificat attestant que son exposition à un contaminant comporte pour lui des dangers, eu égard au fait que sa santé présente des signes d’altération, peut demander d’être affecté à des tâches ne comportant pas une telle exposition et qu’il est raisonnablement en mesure d’accomplir, jusqu’à ce que son état de santé lui permette de réintégrer ses fonctions antérieures et que les conditions de son travail soient conformes aux normes établies par règlement pour ce contaminant ».

Est-ce que cet article peut trouver application dans la situation actuelle de pandémie de COVID-19 ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre que trois (3) conditions doivent être remplies pour que cet article trouve application :

  • Il faut une exposition à un contaminant ;
  • Il faut que cette exposition comporte des dangers pour le travailleur ;
  • Il faut que la santé du travailleur soit altérée par cette exposition.

1ère condition : exposition à un contaminant

L’article 1 de la LSST définit le contaminant comme étant « une matière solide, liquide ou gazeuse, un micro-organisme, un son, une vibration, un rayonnement, une chaleur, une odeur, une radiation ou toute combinaison de l’un ou l’autre généré par un équipement, une machine, un procédé, un produit, une substance ou une matière dangereuse et qui est susceptible d’altérer de quelque manière la santé ou la sécurité des travailleurs ».

Tel que mentionné sur le site du gouvernement québécois portant sur le coronavirus, la maladie nommée COVID-19 provient d’un virus de la famille des coronavirus[8].

La jurisprudence a considéré qu’un virus était un contaminant au sens de l’article 1 de la LSST[9].

2e condition : exposition comportant des dangers pour le travailleur

Le danger doit être bien réel. Ainsi, une simple crainte, une inquiétude ou encore un risque virtuel ne répond pas à la notion de danger.

En d’autres mots, il faut que « le risque soit réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes » pour le travailleur[10].

Un risque presque nul de contracter le virus lorsque les mesures de protection à la disposition du travailleur sont utilisées convenablement ne sera pas considéré comme un danger au sens de la LSST[11].

3e condition : la santé du travailleur altérée par cette exposition

Il faut démontrer que la santé du travailleur a été altérée par l’exposition au contaminant.

Dans la décision Duchaine Gauthier et Aquacers Société de gestion du Cers, la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit au sujet de l’altération de la santé du travailleur requise :

«  [86]        La Commission des lésions professionnelles croit plutôt que, afin de donner un sens à larticle 32 de la L.S.S.T., l’altération à la santé visée par cet article doit être personnelle, sans lien avec le travail, mais rendre le travailleur sujet ou susceptible d’être affecté par l’exposition à un contaminant.

[87]        Une telle interprétation est plus conforme au texte de cet article qui édicte non pas que l’exposition à un contaminant entraîne chez le travailleur des signes d’altération de sa santé, mais bien que l’exposition à un contaminant comporte pour lui, spécifiquement, des dangers, compte tenu du fait que sa santé présente des signes d’altération ».

Il est possible qu’un travailleur ayant une maladie chronique ou ayant un système immunitaire affaibli puisse obtenir un retrait préventif. Il lui faudra alors démontrer que l’exposition au virus à coronavirus dans le cadre de son travail comporte pour lui des dangers, compte tenu de l’altération de sa santé par sa maladie chronique ou encore son système immunodéficient.

3. Le droit de refus

Est-ce qu’en ces temps actuels de pandémie et d’urgence sanitaire, le droit de refus peut être une option valable pour un travailleur ? Pour les travailleurs œuvrant dans les domaines de la santé et de la sécurité, tels que les techniciens ambulanciers paramédics, les infirmières et les policiers, l’accès au droit de refus est limité.

Le droit de refus est un droit prévu aux articles 12 et 13 de la LSST, lesquels se lisent comme suit :

Art. 12. Un travailleur a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger.

Art. 13. Le travailleur ne peut cependant exercer le droit que lui reconnaît l’article 12 si le refus d’exécuter ce travail met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’une autre personne ou si les conditions d’exécution de ce travail sont normales dans le genre de travail qu’il exerce.

Pour pouvoir exercer le droit de refus, il faut rencontrer les critères suivants :

  1. être un travailleur au sens de la LSST (art.12);
  2. devoir exécuter à la demande de l’employeur un travail (art.12);
  3. appréhender un danger résultant pour soi-même ou pour autrui de l’exécution de ce travail (art.12);
  4. fonder cette appréhension sur des motifs raisonnables (art.12);
  5. exercer ce droit de refus au sujet d’un travail dont les conditions ou circonstances d’exécution sont anormales (art.13);
  6. pouvoir refuser d’exécuter le travail demandé sans mettre la sécurité d’autrui en péril immédiat (art.13);
  7. rapporter le plus tôt possible à un représentant de l’employeur le droit de refus que l’on veut ainsi exercer (art.15)[12].

Pour pouvoir exercer un droit de refus, un travailleur doit, dans un premier temps, démontrer une crainte raisonnable de danger au moment de l’exercice de son droit de refus. Une possibilité de danger n’est pas suffisante et il faut une démonstration d’une probabilité de l’existence de ce danger[13].

L’article 13 est une exception au droit de refus empêchant son exercice notamment s’il met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’une autre personne. Toutefois, «  l’article 13   de la LSST fait référence à une situation immédiate, « en péril immédiat » donc qui existe, au moment où l’exception peut s’appliquer »[14].

Un travailleur qui ne peut avoir recours à l’exercice du droit de refus en raison de l’exception de l’article 13 de la LSST pourrait toutefois formuler un avis de conditions dangereuses à son employeur afin de l’informer des problématiques relatives à la santé et de sécurité. Si l’employeur ne réussit pas à apporter une solution acceptable à ces problématiques, le travailleur pourra faire intervenir un inspecteur de la CNESST, lequel sera habilité à enjoindre l’employeur à apporter les correctifs nécessaires, le cas échéant.

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[1] COVID-19 (SARS-CoV-2) : Recommandations intérimaires sur les mesures de prévention en milieux de travail pour les travailleuses enceintes ou qui allaitent, INSPQ, 27 mars 2020, p. 11.

[2]Situation en date du 1er avril 2020 : https://msss.gouv.qc.ca/professionnels/maladies-infectieuses/coronavirus-2019-ncov/, consulté le 5 avril 2020.

[3] Sommaire COVID-19 (SARS-CoV-2) : Recommandations intérimaires sur les mesures de prévention en milieux de travail pour les travailleuses enceintes ou qui allaitent, 13 mars 2020.

[4] Id. note 1, p.12.

[5] Id. p.13.

[6] Id., p.13.

[7] Id., p. 13.

[8]https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/informations-generales-sur-le-coronavirus/

[9] Bizier et Le Renfort inc., [1987] C.A.L.P. 543/ Centre hospitalier de St. Mary et Iracani  [2007] C.L.P. 395.

[10] Centre hospitalier de St. Mary et Iracani [2007] C.L.P. 395, par. 92.

[11] Id., par. 235.

[12] Casino du Lac Leamy et Villeneuve, C.L.P. 209750-07-0306, 27 mai 2004, M. Langlois.

[13] Corporation Urgences-Santé et François Laporte, CLP (7 octobre 2008).

[14] Corporation Urgences-Santé et Laporte, 2008 QCCLP 5746 (CanLII), par. 36.