Le 27 juillet dernier paraissait, sur le site du Devoir, un texte d’opinion prenant appui sur le retour dans l’actualité de l’arrêt Jordan dans le cadre de l’affaire Normandeau. L’auteur, Bruno Gélinas-Faucher, y soutient que l’arrêt des procédures n’est pas la seule réparation possible après qu’un tribunal a conclu à la violation du droit d’un accusé à être jugé dans un délai raisonnable. Il invite le Directeur des poursuites criminelles et pénales à s’opposer à cette réparation.
Respectueusement, l’arrêt des procédures est la seule réparation possible dans le cadre de l’application du régime mis en place par l’arrêt Jordan. La détermination d’une réparation autre que l’arrêt des procédures aurait des implications beaucoup plus vastes que ce que l’auteur laisse présager.
Si des États européens encadrent différemment le droit à être jugé dans un délai raisonnable, au Canada nous nous sommes inspirés du modèle américain qui, pour assurer le respect du sixième amendement, a prôné la réparation unique par l’arrêt des procédures. L’argument juridique est fort simple : cette violation est continue et le tribunal qui la constate se doit d’y mettre un terme en déclarant l’arrêt des procédures. Agir autrement équivaudrait à perpétrer une violation constitutionnelle.
Depuis trente ans, cette finalité irréversible qu’est l’arrêt des procédures a modulé la manière dont les magistrats canadiens ont envisagé le seuil de la « raisonnabilité » des délais. Personne n’exprime mieux cette réalité que le juge Le Dain qui écrivait, dans l’arrêt Rahey : « Il ne fait pas de doute […] qu’un résultat aussi draconien a inévitablement une influence quand il s’agit de déterminer s’il y a eu violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Cela peut bien assurer qu’il faudra des raisons impérieuses pour faire cette détermination, ce qui à mon sens est une bonne chose. »
La finalité est donc indissociable de notre conception du seuil à atteindre pour constituer un délai déraisonnable. Cette conception est incontestablement prise en compte par la Cour suprême lorsque vient le temps d’établir des plafonds objectifs qui incarnent ces « raisons impérieuses ». On le voit dans le texte de l’arrêt Jordan par les nombreuses références directes à l’arrêt des procédures, ainsi que dans l’analyse d’une vaste jurisprudence établie sur le socle de cette réparation unique.
Si comme le propose Me Gélinas-Faucher, d’autres réparations étaient possibles, elles le seraient à l’extérieur du cadre établi par l’arrêt Jordan. De deux choses l’une : ces autres réparations concerneraient nécessairement des violations moins graves et ne remettraient donc pas en question l’arrêt des procédures selon les plafonds de l’arrêt Jordan ; ensuite elles exigeraient une remise en question du fondement conceptuel de ce qu’est un délai déraisonnable compris non plus comme une violation continue à laquelle le juge doit mettre fin, mais plutôt un facteur qui atténuera la lourdeur de la peine ou qui donnera droit à des dommages et intérêts en cas d’acquittement.
L’arrêt des procédures est une réparation exceptionnelle, cependant ce n’est pas le nombre d’accusés ayant bénéficié de l’arrêt Jordan qui détermine ce qui est exceptionnel, mais plutôt la longueur du délai. Si l’État viole trop souvent le droit constitutionnel d’obtenir un procès dans des délais raisonnables, c’est à l’État qu’il faut demander des comptes. C’est vrai pour l’affaire Normandeau comme pour toutes les autres.
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