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L’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks : la Cour suprême du Canada se prononce sur les conflits de compétences entre les arbitres du travail et les tribunaux d’origine législative concurrents

 

Par Me Mylène Lafrenière Abel

 

La Cour suprême du Canada a rendu, le 22 octobre dernier, l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks. Cet arrêt revient sur l’analyse qu’il convient d’effectuer lorsque les tribunaux sont confrontés à des conflits de compétences entre les arbitres du travail et les tribunaux d’origine législative concurrents. La principale question qui se pose dans cette affaire est celle de savoir si la compétence exclusive d’un arbitre du travail nommé en vertu d’une convention collective s’étend aux différends en matière de droits de la personne résultant de celle-ci.

Contexte

Dans cette affaire, une salariée a été suspendue pour s’être présentée au travail en état d’ébriété. Après avoir révélé à son employeur qu’elle souffrait d’alcoolisme (un handicap au sens des Chartes), elle a refusé de conclure une « entente de la dernière chance ». L’employeur l’a congédié. Un grief fut déposé par son syndicat, lequel s’est conclu par la signature d’une entente prévoyant la réintégration de la salariée selon certaines conditions. Elle a par la suite été congédiée pour avoir violé l’une de ces conditions.

La salariée a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne du Manitoba (ci-après, la « Commission »). L’employeur a contesté la compétence de l’arbitre de cette Commission, d’avis que seul un arbitre du travail avait la compétence de se saisir de cette question, selon les enseignements de l’arrêt Weber c. Ontario, [1995] 2 RCS 929. La Commission a rejeté cette objection à sa compétence et a conclu que l’employeur avait fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante.

Le juge saisi du pourvoi en contrôle judicaire de cette décision a jugé que la qualification du caractère essentiel du différend par l’arbitre des droits de la personne était erronée. Il a donc annulé la décision portant sur la compétence et il a refusé de se prononcer à l’égard du fond de l’affaire. La Cour d’appel du Manitoba a accueilli le pourvoi en appel soumis par la salariée et renvoyé le dossier à la Cour du Banc de la Reine afin que celle-ci établisse si la décision de l’arbitre des droits de la personne sur le fond de la plainte de discrimination était raisonnable.

Raisonnement de la Cour suprême

Les intimés dans ce dossier (la salariée et la Commission) prétendent que l’exclusivité arbitrale ne s’applique que pour trancher les conflits de compétence entre les arbitres du travail et les Cours de justice, ce qui exclut les tribunaux d’origine législative tels que les régimes d’arbitrages en matière de droits de la personne. Selon elles, conclure à l’absence de compétence concurrente dans de telles situations aurait pour effet de mettre en péril l’accès à la justice dans les milieux de travail syndiqués puisque les syndicats contrôlent l’accès des employés à l’arbitrage.

Or, la Cour suprême, sous la plume du juge Russel Brown écrivant au nom de la majorité, conclut que, conformément à la jurisprudence, lorsque les lois sur les relations de travail comportent une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence conférée à l’arbitre du travail est exclusive, sous réserve d’une autre loi indique clairement le contraire. Elle précise cependant que cela ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice : celles qui ne relèveraient pas expressément ou implicitement de la convention collective pourraient être soumises à d’autres instances.

En ce qui concerne la délimitation des compétences de l’arbitre du travail et des tribunaux d’origine législative, la Cour rappelle qu’il convient d’appliquer une analyse en deux étapes. Il faut d’abord examiner la loi applicable afin d’établir si elle confère une compétence exclusive à l’arbitre du travail et, dans l’affirmative, si le caractère essentiel du différend relève de la portée de cette compétence. À ce sujet, la Cour rappelle que la portée de la compétence exclusive d’un arbitre dépendra du libellé précis de la loi, mais englobe, en règle générale, tous les différends dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective.

Au sujet de la première étape, la Cour précise qu’il convient d’évaluer si le régime législatif concurrent indique une intention d’écarter la compétence exclusive de l’arbitre du travail ou si elle dote le tribunal concurrent d’une compétence partagée à l’égard des différends qui autrement relèveraient uniquement de l’arbitre du travail. La simple existence d’un tribunal concurrent ne suffit pas pour écarter l’arbitrage en droit du travail en tant que seule juridiction pour les différends résultant d’une convention collective. Sans indication claire dans la loi constitutive du tribunal administratif, ce qui serait le scénario le plus souhaitable, l’intention du législateur peut se dégager du régime législatif. Quant aux préoccupations liées à l’accès à la justice pour les personnes syndiquées, la Cour précise notamment que cette préoccupation est atténuée par le devoir de juste représentation des syndicats.

Selon les faits du dossier, les juges concluent que l’arbitre des droits de la personne n’avait pas la compétence requise pour examiner la plainte de la salariée syndiquée. D’abord, la Loi sur les relations du travail du Manitoba révèle l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive à l’arbitre du travail (ou à un autre décideur choisi par les parties) à l’égard de tous les conflits résultant de la convention collective. Ensuite, la Cour analyse les dispositions du Code des droits de la personne et conclut qu’elles ne permettent pas d’affirmer que la Commission a une compétence concurrente. La Cour conclut par ailleurs que, de par son caractère essentiel, la plainte de la salariée découle de l’interprétation, de l’application ou d’une prétendue violation de la convention collective. En effet, la salariée prétend que son employeur a exercé ses droits de la direction d’une manière incompatible avec les limites expresses et implicites auxquelles ces droits étaient subordonnés. Le fait que cette salariée invoque une violation des droits de la personne n’est pas suffisant pour écarter la compétence exclusive de l’arbitre du droit du travail.

La Cour accueille le pourvoi, annule le jugement de la Cour d’appel et rétabli l’ordonnance du juge Edmond annulant la décision de l’arbitre des droits de la personne.

La juge Karakatsanis, dissidente, aurait quant à elle rejeté le pourvoi, d’avis que les régimes législatifs de la Loi sur les relations du travail et du Code des droits de la personne permettent de conclure à l’existence d’une compétence concurrente.

La décision de la Cour suprême est disponible sur canLII à l’adresse suivante : https://canlii.ca/t/jjtkd