LE CORONER À LA RECHERCHE DES CAUSES DE DÉCÈS

25 mai 2020

Texte rédigé par Me Ariane Bergeron-St-Onge 

La crise sanitaire actuelle liée à la propagation de la maladie Covid-19 a bousculé l’ordre social depuis mars dernier. Le coronavirus s’est rapidement propagé au Québec et de nombreux foyers d’infection se sont déclarés dans plusieurs CHSLD. Pour certains d’entre eux, le gouvernement a dû sonner l’alarme et les placer sous tutelle. C’est ce qui est survenu au CHSLD Herron à Dorval en avril dernier, si bien que le Bureau du coroner a été mandaté pour enquêter sur les causes et circonstances des décès liés à la Covid-19 dans l’établissement, en plus du déclenchement d’une enquête criminelle. Survol sur le mandat et les pouvoirs du coroner dans le contexte d’une telle enquête.

Un objectif différent de l’enquête criminelle

Il n’est pas rare de voir une enquête du coroner et une enquête criminelle opérées en parallèle pour un événement donné; les deux enquêtes n’ont pas la même finalité. Dans le cadre de son mandat, le coroner ne peut se prononcer sur la responsabilité civile ou criminelle d’une personne. Sa mission est plutôt de rechercher les causes probables et les circonstances des décès obscurs, violents ou survenus par suite de négligence. Le Bureau du coroner est un organisme gouvernemental indépendant et ne relève en aucun cas du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Seuls les avocats, notaires ou médecins peuvent agir à titre de coroner permanent ou à temps partiel.

L’encadrement législatif

La Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, entrée en vigueur en mars 1986,  encadre le travail du coroner et y prévoie notamment l’étendue de ses pouvoirs. Ce dernier a pour fonctions de rechercher l’identité de la personne décédée, la date et le lieu du décès, ainsi que les causes probables et les circonstances du décès. Pour ce faire, le coroner procède par investigation, et parfois aussi par enquête.

Dans les circonstances prévues au chapitre II de la Loi ou notamment lorsque un décès est survenu par suite de négligence ou dans les circonstances obscures ou violentes, un avis doit être fait au coroner, ce qui déclenchera alors une investigation.

Dans le cadre de cette investigation, les pouvoirs du coroner sont larges. Il peut notamment requérir le soutien d’un agent de la paix pour faire enquête et même l’autoriser à perquisitionner tout objet ou document utile à l’exercice de ses fonctions. Pour ce faire, le coroner doit rencontrer le seuil juridique minimal des motifs raisonnables de croire que cet objet ou ce document se trouve au lieu à perquisitionner. Dans le contexte bien particulier de l’application de la Loi, l’autorisation écrite d’un juge de paix ne sera pas toujours nécessaire, notamment lorsqu’il y a urgence de pénétrer dans les lieux.

Dans le cadre de son investigation, le coroner procède ou ordonne qu’il soit procédé à l’autopsie d’un corps ou à une expertise. Une fois son investigation complétée, le coroner rédige un rapport avec diligence, qui indique l’identité de la personne décédée si possible, la date et le lieu du décès, les causes probables ainsi que la description des circonstances du décès. S’il y a lieu, le coroner peut aussi formuler à son rapport des recommandation visant une meilleure protection de la vie humaine. Ce rapport est public et peut être consulté par toute personne[1].

L’enquête publique du coroner

S’il a des raisons de croire en l’utilité d’une enquête sur les causes probables ou les circonstances d’un décès, le coroner en chef peut l’ordonner. Elle ne doit pas nuire au déroulement d’une enquête policière en cours. Elle peut également se tenir sur ordre du ministre de la Sécurité publique.

Cette enquête est publique et procède différemment de l’investigation. Dans le cadre de l’enquête, le coroner aura recours à l’audition de témoins, notamment en vue d’obtenir les informations propres à établir les causes probables ou les circonstances du décès et en informer le public et pour lui permettre de formuler des recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine.

Seul un coroner détenant une formation juridique peut présider une telle enquête. En pratique, il s’adjoindra d’un procureur désigné par le coroner en chef qui l’assistera lors de l’enquête. Ce procureur pourra produire des éléments de preuve pertinents à l’enquête, signifier des assignations à comparaître aux témoins et veiller à la bonne marche de l’enquête. Il est en quelque sorte le prolongement du coroner présidant l’enquête.

Les pouvoirs du coroner présidant une enquête publique sont plus élargis encore que lors d’une investigation ; ils sont presque assimilables à ceux d’un commissaire enquêteur. Le coroner peut émettre des mandats d’arrestation à tout témoin qui refuse de comparaître devant lui, et même ordonner sa détention pour une période maximale de huit (8) jours. Il est alors réputé juge de paix lorsqu’il exerce ces pouvoirs prévus à la Loi. Le témoin doit répondre aux questions qui lui sont posées à l’enquête sous peine d’outrage au tribunal, mais il bénéfice, comme devant toute instance judiciaire, de la protection de l’article 5 de la Loi sur la preuve au Canada à l’égard de toute question pouvant tendre à l’incriminer.

Comme indiqué ci-haut, une enquête criminelle menée par une corps de police et une investigation ou une enquête menée par un coroner sont deux procédures parallèles. Toutefois, lorsqu’une personne fait l’objet d’une poursuite criminelle pour un décès, le coroner ne peut tenir une enquête publique tant que le jugement sur cette poursuite n’a pas acquis l’autorité de la chose jugée, donc après l’expiration des délais d’appel. Exceptionnellement, le coroner pourrait poursuivre son enquête publique dans de telles circonstances s’il obtient une autorisation conjointe du ministre de la Sécurité publique et du procureur général. Ainsi, on préférera en pratique attendre la fin de l’enquête criminelle (ou de la poursuite criminelle) avant de débuter une enquête publique du coroner.

À la fin de l’enquête publique, le coroner rédigera un rapport contenant les mêmes informations que le rapport clôturant l’investigation, notamment les recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine.

Étant donné qu’une enquête criminelle est en cours au CHSLD Herron, tout porte à croire que le coroner en chef attendra les résultats de celle-ci avant de décider si la situation requiert l’ouverture d’une enquête publique. L’investigation, quant à elle, peut débuter sans tarder.


[1] À l’exception des documents annexés et des parties du rapport qui ont fait l’objet d’une interdiction de publication ou de diffusion en vertu de la Loi, à moins que l’intérêt public commande d’en publier ou d’en diffuser le contenu ou encore, sur autorisation du coroner en chef ou du coroner permanent à certaines conditions prévues à la Loi. Toutefois, sans autorisation expresse du ministre de la Sécurité publique, en aucun cas le rapport d’un agent de la paix ne peut être consulté ou rendu public.

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