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Le retrait préventif en temps de COVID-19 : mise à jour jurisprudentielle

Par Myriam Mansour, stagiaire

 

La pandémie de COVID-19, qui accapare nos vies depuis près de deux ans, a eu pour effet de neutraliser divers secteurs socio-économiques de notre société. Le domaine du travail et de l’emploi n’a guère été épargné.  Les employeurs, tout comme les travailleurs, ont dû rapidement s’adapter à cette nouvelle réalité pandémique. Afin d’assurer le bon fonctionnement et le maintien de leurs opérations, les employeurs n’ont eu d’autres choix que de suivre et mettre en pratique les recommandations formulées par l’Institut national de santé publique du Québec (ci-après, « INSPQ ») qui visent à établir des mesures de prévention en milieu de travail afin de se prémunir contre le SARS-CoV-2 et d’assurer la sécurité des membres du personnel.

Il reste qu’outre la mise en place et le respect des mesures sanitaires, les travailleurs disposent d’autres mécanismes de prévention tel que le droit au retrait préventif prévu dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1] (ci après, « LSST » ou « Loi »). D’ailleurs, depuis 2020, plusieurs travailleurs, dont l’état de santé est altéré, ont tenté de revendiquer ce droit en réponse à la propagation de la COVID-19 au Québec. Voyons ce qu’en ont pensé les tribunaux, mais faisons tout d’abord un bref retour sur la notion de retrait préventif.

 

QU’EST-CE QU’UN RETRAIT PRÉVENTIF ?

Le retrait préventif est un mécanisme prévu aux articles 32 à 48 LSST qui permet d’affecter un travailleur ou une travailleuse à des tâches qui ne comportent pas de danger pour sa santé, celle d’un enfant à naître ou celle d’un enfant allaité. La Loi en comporte donc trois (3) formes : le retrait préventif du travailleur exposé à un contaminant[2], le retrait préventif de la femme enceinte[3] ainsi que le retrait préventif de la femme qui allaite[4]. Dans les cas où l’affectation n’est pas possible ou envisageable, le retrait préventif permet au travailleur de tout simplement cesser de travailler jusqu’à ce qu’il puisse être en mesure de réintégrer ses fonctions en toute sécurité ou qu’une affection soit faite[5]. Pour les fins du présent article, uniquement le retrait préventif pour exposition à un contaminant sera abordé.

 

LE RETRAIT PRÉVENTIF DU TRAVAILLEUR EXPOSÉ À UN CONTAMINANT

Le Tribunal administratif du travail (ci-après, « TAT »), durant la dernière année, a rendu une dizaine de décisions portant sur le bien fondé du recours exercé en vertu de l’article 32 de la LSST en raison du coronavirus SARS-CoV-2. Voici ce qu’il en ressort.

 

A) L’affaire Cinq-Mars et CTAQ : La décision de principe

L’affaire Cinq-Mars et CTAQ[6] est la première décision rendue par le TAT portant sur le retrait préventif en contexte de COVID-19. Cette décision est rapidement devenue la référence en la matière. Dans cette affaire, M. Cinq-Mars, un technicien-ambulancier, souffre de la maladie de Crohn. Afin de traiter sa condition médicale, on lui administre du Adalimumab, un inhibiteur du facteur de nécrose tumorale (TNF) qui a des effets immunomodulateurs. Cette médication affecte voire diminue son système immunitaire. Donc, dès le début de la pandémie, il tente d’exercer son droit au retrait préventif pour les jours oú il n’a pu être affecté à d’autres tâches par son employeur. Il allègue être exposé à un contaminant, soit le SARS-CoV-2, qui comporte pour lui des dangers pour sa santé. La Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (ci-après, « CNESST »), en première instance comme en révision, a rejeté sa demande aux motifs que son état de santé ne présente pas de signes d’altération.

Dans sa décision, le TAT rappelle, tout d’abord, le cadre légal du recours basé en vertu de l’article 32 de la LSST[7] :

  • Le travailleur doit fournir à l’employeur un certificat médical
  • Le certificat médical doit attester de l’exposition du travailleur à un contaminant
  • L’exposition doit comporter un danger pour la santé du travailleur
  • Le travailleur doit présenter des signes d’altération de sa santé.

Par la suite, il analyse ces critères en fonction de la preuve qui lui a été présentée. Dans un premier temps, il évalue la validité du certificat médical fourni à l’employeur.  Bien que le médecin traitant n’ait pas consulté le Directeur de santé publique tel que le commande l’article 33 de la LSST, le TAT conclut qu’étant donné que l’employeur ne subit pas de préjudice réel ou grave de la réception d’un certificat non conforme à la Loi et que le médecin traitant a tenu compte des recommandations et directives émises par l’INSPQ dans la rédaction du certificat, il n’y a pas lieu de pénaliser le travailleur dans l’exercice de son droit au retrait préventif.

Dans un deuxième temps, il conclut que le virus du SARS-CoV-2 est un contaminant au sens de la LSST étant un micro-organisme qui, une fois contracté, cause la COVID-19.

Dans un troisième temps, il estime que le coronavirus comporte un danger pour la santé du travailleur vu qu’il présente des signes d’altération de son état de santé. Il souligne que pour conclure à un danger, «il doit y avoir une probabilité de concrétisation que l’on qualifie de non négligeable»[8]. Par conséquent, étant donné que M. Cinq-Mars prend de la médication immunomodulatrice qui a notamment pour effet d’augmenter le risque de développer des infections des voies supérieures et de provoquer une instabilité immunitaire, il présente des signes d’altération de son état de santé qui le mettent à risque de subir des complications médicales s’il en venait à contracter la COVID-19. Concernant l’évaluation des signes d’altération, le TAT rejette les prétentions de la CNESST à l’effet que l’altération de l’état de santé doit provenir de l’exposition au contaminant. Il est d’avis qu’une telle interprétation est contraire à l’objectif de prévention de la LSST. Il estime que l’expression « signes d’altération » prévue à l’article 32 de la LSST peut renvoyer à une altération personnelle qui n’a pas de lien avec le travail. Pour ces motifs, le Tribunal accueille la contestation du travailleur et déclare qu’il a droit au retrait préventif prévu dans la LSST. 

  • Requête en révision ou révocation

La CNESST, dans cette affaire, une fois la décision rendue, bien qu’elle ne soit pas intervenue à l’instruction, dépose une requête en révision ou révocation en vertu des articles 49 et 50 de la Loi instituant le tribunal administratif du travail (ci-après, « LITAT »)[9]. Elle soutient que le Tribunal (TAT-1) aurait commis une erreur de droit en interprétant la modulation du système immunitaire du travailleur comme un signe d’altération au sens de l’art. 32 de la LSST. Le TAT-2 rejette les prétentions de la CNESST. Il mentionne que la CNESST lui soumet de nouveaux arguments auxquels il ne peut se baser en instance de révision pour rendre sa décision. De plus, il considère que le TAT-1 n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante. Il estime que la décision rendue par le TAT-1 est raisonnable. La requête en révision est alors rejetée.

 

B) L’obligation de consulter le Directeur de santé publique (DSP) avant l’émission du certificat médical

Il ressort de la jurisprudence que, pendant la pandémie, plusieurs médecins traitants ont émis des certificats médicaux recommandant des retraits préventifs sans consulter au préalable le Directeur de santé publique[10]. Cette obligation de consultation comme susmentionnée est prévue à l’article 35 LSST et doit être respectée par les médecins qui ne sont pas responsables des services de santé de l’établissement dans lequel travaille le travailleur. Toutefois, en raison du contexte pandémique extraordinaire reliée à la COVID-19, le TAT a été enclin, à maintes reprises, d’interpréter l’obligation de consultation comme une condition de forme plutôt que de fond[11]. Tel qu’il le rappelle dans l’affaire Dufresne et Centre de la petite enfance Les P’tits Papillons[12], les dispositions de la LSST doivent s’interpréter de façon libérale pour refléter son caractère social d’ordre public et ne pas restreindre les droits du travailleur. C’est pour ces raisons que le Tribunal a accepté des certificats non conformes à la LSST dans la mesure où, en matière de COVID-19, les médecins se basent sur les avis émis par l’INSPQ  et il n’y a aucune preuve selon laquelle l’employeur subit un préjudice important. Il n’en demeure pas moins que chaque situation est un cas d’espèce et le Tribunal doit évaluer la preuve propre à chaque dossier avant de conclure à une telle interprétation.

 

C) La reconnaissance du SARS-CoV-2 comme contaminant au sens de la LSST

La plupart des décisions récentes reconnaît que le SARS-CoV-2 correspond à la définition de contaminant prévu à l’article 1 de la LSST qui se lit ainsi[13]:

«contaminant» : une matière solide, liquide ou gazeuse, un micro-organisme, un son, une vibration, un rayonnement, une chaleur, une odeur, une radiation ou toute combinaison de l’un ou l’autre généré par un équipement, une machine, un procédé, un produit, une substance ou une matière dangereuse et qui est susceptible d’altérer de quelque manière la santé ou la sécurité des travailleurs;

  [Notre soulignement]

Une telle interprétation est fondée non seulement sur le fait que le coronavirus est un micro-organisme, mais également sur la multitude de recommandations formulées par l’INSPQ qui vise à restreindre la propagation de la COVID-19 et qui par le fait même fait état de la dangerosité du virus sur la santé de la population québécoise[14].

Néanmoins, dans l’affaire Piché et Entreprises Y. Bouchard & Fils inc.[15], le TAT, sous la plume du juge administratif Michel Lalonde, émet des conclusions qui divergent du courant majoritaire. Bien qu’il reconnaisse que le SARS-CoV-2 est un micro-organisme, il estime que la définition de contaminant prévue à la LSST va au-delà de la simple présence d’un micro-organisme. Il mentionne que pour conclure à la présence d’un contaminant, il faut répondre aux trois (3) conditions suivantes[16] :

  1. Il doit y avoir présence d’une matière solide, liquide ou gazeuse, un micro-organisme, un son, une vibration, un rayonnement, une chaleur, une odeur, une radiation ou toute autre combinaison de l’un ou l’autre;
  2. L’élément mentionné au point « a » doit être généré par un équipement, une machine, un procédé, un produit, une substance ou une matière dangereuse;
  3. L’élément mentionné au point « a » doit être susceptible d’altérer la santé ou la sécurité des travailleurs.

Ainsi, le juge Lalonde est d’avis que les décisions antérieures à la sienne ont fait fi de la 2e condition soit le facteur « généré par ». Cette deuxième condition voudrait que le contaminant résulte des opérations de l’employeur. Or, selon le Tribunal,« la présence ou non du SARS-CoV-2,  sur un lieu de travail, est totalement étrangère aux activités de l’employeur »[17]. Par conséquent, il ne considère pas le coronavirus comme un contaminant.

 

D) Les signes d’altérations : une condition personnelle

Toujours dans la dernière année, deux courants jurisprudentiels se sont dessinés au sujet de la nature des signes d’altération auxquels fait référence l’article 32 de LSST. Le courant majoritaire suit le raisonnement appliqué dans l’affaire Cinq-Mars et CTAQ selon lequel l’altération qui donnerait ouverture au mécanisme du retrait préventif peut provenir d’une condition personnelle sans qu’elle soit une conséquence de l’exposition à un contaminant[18]. Cette interprétation est préconisée par le Tribunal étant donné qu’elle est moins susceptible d’engendrer des résultats absurdes et qu’elle s’arrime bien à l’objectif de prévention de la LSST. Cette approche est fondée sur la décision Duchaine Gauthier et Aquacers Société de gestion du Cers[19], dans laquelle la Commission des lésions professionnelles considère qu’interpréter l’altération comme une conséquence de l’exposition à un contaminant reviendrait à faire un double emploi avec les dispositions pertinentes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[20], ce qui rendrait à toute fin pratique, inutiles le mécanisme prévu à l’article 32 de la LSST[21].

La deuxième interprétation du Tribunal peut être observée dans l’affaire Cusson et CPE Petit à Petit[22]. Le Tribunal se rallie aux prétentions de la CNESST à l’effet que « signes d’altération » réfère non pas à une condition personnelle, mais bien à une détérioration de l’état de santé conséquente à l’exposition du travailleur à un contaminant. Ses conclusions sont fondées sur les débats parlementaires, l’intention du législateur que retire le Tribunal, ainsi que l’interprétation littérale du terme « altération » employé dans l’article 32 de la LSST, qui selon le juge administratif Magnan, ne pourrait renvoyer à une dégradation de nature personnelle.

 

CONCLUSION

À la lumière de la jurisprudence rendue en 2021 et analysée dans le cadre de cet article, il est possible pour un travailleur d’avoir droit à un retrait préventif pour exposition au SARS-CoV-2 dans la mesure où il met en preuve l’ensemble des éléments constitutifs du fardeau preuve prévus à l’article 32 de la LSST. Le courant majoritaire reconnaît le coronavirus comme un contaminant au sens de la Loi et applique l’interprétation selon laquelle les termes « signes d’altération » peuvent renvoyer à une condition personnelle.

De plus, il ressort de la jurisprudence que le Tribunal prend en considération les recommandations et avis de l’INSPQ dans l’évaluation de la preuve. Dans le présent contexte pandémique, il est porté à octroyer des retraits préventifs aux travailleurs souffrant de maladies inflammatoires, de maladies nécessitant des immunosuppresseurs à titre de traitement ou encore d’une condition médicale ayant pour effet d’altérer son système respiratoire.

En outre, le TAT s’est montré indulgent à mainte reprise face à la non-conformité des certificats médicaux dans la mesure où ils ne causaient pas un important préjudice à l’employeur. Bien que le Tribunal ait eu à se prononcer et rendre plusieurs décisions concernant le bien-fondé du recours exercé en vertu de l’article 32 de la LSST en raison du coronavirus SARS-CoV-2, il n’en demeure pas moins que chaque cas en est un d’espèce et que les décisions du TAT ne peuvent s’appliquer mutatis mutandis à ce sujet. Le contexte d’urgence sanitaire actuel ne peut servir d’excuse pour alléger le fardeau de preuve du travailleur.

 


[1] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1.

[2] Art. 32 LSST.

[3] Art. 40 LSST.

[4] Art. 48 LSST.

[5] Art. 35 LSST.

[6] Cinq-Mars et CTAQ, 2021 QCTAT 625 (requête en révision rejetée, 2021 QCTAT 4179)

[7] Id, par. 11.

[8] Id, par. 42.

[9] Loi instituant le tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1.

[10] Voir notamment Mainguy et CPE Petits Murmures, 2021 QCTAT 2007, Murray et CPE Ritourn’ailes de Sept-Îles, 2021 QCTAT 2485 (requête en révision pendante), Chamberland et CPE Sous le bon toit, 2021 QCTAT 2486 (requête en révision pendante), Grenier et Constructions LJP inc.2021 QCTAT 2221 (requête en révision pendante).

[11] Id.

[12] Dufresne et Centre de la petite enfance Les P’tits Papillons, 2021 QCTAT 2651 (requête en révision pendante et pourvoi en contrôle judiciaire pendant, C.S 200-17-032528-218).

[13] Voir notamment Cinq-Mars et CTAQ,préc. note 6, Inkell et Centre de la petite enfance Fleurimont inc., 2021 QCTAT 1162 (pourvoi en contrôle judiciaire pendant, C.S. 450-17-008064-215), Maheux et CPE Magimo, 2021 QCTAT 998 (pourvoi en contrôle judiciaire pendant, C.S. 450-17-008063-217).

[14] Cinq-Mars et CTAQ, préc., note 6, par.38.

[15] Piché et Entreprises Y. Bouchard & Fils inc, 2021 QCTAT 2484.

[16] Id., par. 19.

[17] Id., par. 26.

[18] Voir notamment Mainguy et CPE Petits Murmures, préc., note 10, Grenier et Constructions LJP inc., préc., note 10, Chamberland et CPE Sous le bon toit, , préc., note 10, Murray et CPE Ritourn’ailes de Sept-Îles, , préc., note 10, Péloquin et Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie, 2021 QCTAT 2605 (requête en révision pendante), Dufresne et Centre de la petite enfance Les P’tits Papillons, préc., note 12.

[19] Duchaine Gauthier et Aquacers Société de gestion du Cers, 2015 QCCLP 3976.

[20] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001.

[21] Duchaine Gauthier et Aquacers Société de gestion du Cers, préc., note 19, par. 83-85.

[22] Cusson et CPE Petit à Petit, 2021 QCTAT 1766.