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L’épilepsie chez les conducteurs de véhicules d’urgence

Par Me BÉATRICE PROULX

 

L’épilepsie est une condition chronique reliée à un déséquilibre dans les réseaux du cerveau. Elle se manifeste sous différentes formes et différentes intensités, qu’elle soit diurne ou nocturne. Chez les salariés qui sont policiers, pompiers ou techniciens ambulanciers, recevoir un tel diagnostic est susceptible d’influencer drastiquement le cours d’une carrière.

En raison des risques inhérents à l’épilepsie, le législateur québécois a édicté des règles visant à encadrer la conduite d’un véhicule routier par les personnes aux prises avec cette maladie. Il s’agit du Règlement relatif à la santé des conducteurs[1](ci-après, le « Règlement »), lequel découle de l’article 191 du Code de la sécurité routière[2].

En effet, le Code de la sécurité routière oblige la Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après, la « Société ») à suspendre un permis de conduire ou une classe de celui-ci lorsque le titulaire est porteur d’une maladie, établie par règlement, qui est essentiellement incompatible avec la conduite d’un véhicule routier.

Le règlement précité stipule que l’épilepsie, au sens large de la maladie, est essentiellement incompatible avec la conduite d’un véhicule routier dans certaines circonstances. C’est le cas notamment pour les restrictions chez les titulaires de permis de conduire d’un véhicule personnel (classe 5) et d’un véhicule d’urgence (classe 4A).

 

L’affaire E.L. c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2023 QCTAQ 04563

Cette récente décision rendue par le Tribunal administratif du Québec comble un silence en jurisprudence et une certaine confusion au sein de la littérature médicale. Sous la présidence des juges Lucie Le François et Jacques Labrèche, le tribunal clarifie dans quelles circonstances une personne souffrant d’épilepsie nocturne peut conserver le privilège de conduire un véhicule d’urgence.

La requérante, une policière, contestait une décision en révision rendue par la Société le 14 septembre 2022 qui suspendait la classe 4A de son permis de conduire (véhicule d’urgence) pendant 5 ans, de même que les classes 5, 6B et 8. La preuve médicale non contredite à l’audience révèle que la requérante souffre uniquement de crises d’épilepsie nocturne et qu’elle n’a jamais, au cours de sa vie, subi d’autres types de crise. Le diagnostic d’épilepsie nocturne avait été posé pour la première fois le 20 juillet 2022.

Au soutien de ses prétentions, la requérante avance que le Règlement est clair : le paragraphe 4 de l’article 32 fait exception à la règle générale d’interdiction de conduire pendant 5 ans en cas d’épilepsie. L’article 32 est libellé comme suit :

« Article 32. L’épilepsie, s’il s’est écoulé un délai de moins de 5 ans depuis la dernière crise, est essentiellement incompatible avec la conduite d’un véhicule routier de l’une des classes 1 à 4, sauf si la personne atteinte est dans l’une des situations suivantes:

 […]

4° elle a eu des crises se produisant durant le sommeil ou peu de temps après le réveil et il s’est écoulé au moins 5 ans sans autre type de crise.

                                                   [Nos soulignements]

La Société, quant à elle, motivait sa décision de suspendre le permis de conduire de la requérante en stipulant que celle-ci devait démontrer qu’il s’est écoulé un délai de 5 ans sans aucune crise d’épilepsie, depuis le diagnostic.

Tentant de justifier sa décision, la Société a déposé en preuve une note explicative émanant de son médecin conseil au service de l’évaluation médicale, le Dr. Claude Monfette. Dans ce document, le médecin conseil se prononçait sur l’interprétation à donner à la règlementation en vigueur. En sus, ce document avait été confectionné de façon postérieure à la décision rendue en révision par la Société. La requérante s’est objectée au dépôt d’un tel document.  L’objection est accueillie ; le Tribunal réitère le principe cardinal voulant qu’il n’est pas du ressort d’un médecin d’interpréter la loi.

Enfin, le Tribunal donne raison à la requérante : le Règlement est clair et sans équivoque. Il y a lieu d’appliquer textuellement l’exception prévue au paragraphe 4 de l’article 32 du Règlement. Seules deux conditions cumulatives doivent être rencontrées pour que la suspension soit levée, soit : (1) que les crises se produisent durant le sommeil ou peu de temps après le réveil et (2) qu’il se soit écoulé au moins cinq (5) ans sans autre type de crise.

Le Tribunal considère que la requérante, âgée de 46 ans, n’a jamais subi d’autres crises que celles survenues durant son sommeil de toute sa vie. Il n’est nullement question de computer le délai de 5 ans à compter de l’émission du diagnostic. Ce serait d’ajouter une condition à une disposition claire.

La suspension du permis de conduire de la requérante est levée.

 

Obiter – évolution de la règlementation

Il est intéressant de noter l’évolution de la législation en matière d’épilepsie nocturne chez les conducteurs de véhicules d’urgence. En effet, avant que le Règlement relatif à la santé des conducteurs ne soit adopté en 2015, son prédécesseur était le Règlement sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs[3]. L’ancienne version du Règlement comportait une disposition quasi-identique à celle prévue à l’article 32 du Règlement dans sa forme actuelle, soit l’article 49 pour une personne épileptique titulaire d’un permis de classe 4A.

Or, sous l’égide de l’ancien règlement, l’article 49 ne prévoyait aucune exception pour le conducteur ayant un diagnostic d’épilepsie nocturne seulement. Autrement dit, avant 2015, le législateur considérait que l’épilepsie nocturne était essentiellement incompatible avec la conduite d’un véhicule d’urgence, sans exception possible à la règle générale.

Dans une décision rendue en 2007, l’affaire D.L. c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2007 QCTAQ 031123,le Tribunal avait été appelé à se prononcer sur la même question que celle dans le présent dossier. Le juges administratifs Paul Mercure et François Brunet s’étaient montrés fort empathiques à la situation d’un conducteur de véhicules lourds souffrant de crises d’épilepsie la nuit. Le Tribunal avait été contraint de maintenir la suspension de son permis de conduire, vu l’absence d’exception à ce moment.

Le Tribunal avait cependant bouclé son dispositif sur une note laissant place au changement dans la société et dans la règlementation :

[38] Le requérant voudrait que l’on tienne compte de la particularité de son cas. Le Tribunal veut bien en tenir compte mais il ne peut voir comment la particularité du cas correspond à une particularité de la réglementation.

[…]

[40] Comme le Tribunal vient de le dire, non seulement il n’existe pas de particularité du cas qui trouve un écho dans la Loi et la réglementation, mais il n’y a toujours pas d’assouplissement dans cette dite réglementation. »

 

Aujourd’hui, la particularité des conducteurs automobile souffrant d’épilepsie nocturne est prévue dans un Règlement qui ne laisse place à aucune interprétation.

Aujourd’hui, ces personnes qui sont des policiers, des pompiers ou des paramédics, malgré leur affection, peuvent continuer de rendre service à la population. Ils peuvent, aujourd’hui, conserver leur autonomie et leur emploi.

 

 


[1] Règlement relatif à la santé des conducteurs, chapitre C-24.2, r. 40.1, disponible au lien suivant.

[2] Code de la sécurité routière, RLRQ c C-24.2, disponible au lien suivant.

[3] Règlement sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs, c. C-24.2, r.8, art. 49, disponible au lien suivant.