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Les pratiques de tirs et la surdité chez les policiers : les critères de l’article 29 de la LATMP sont-ils rencontrés?

Me Laurence Lorion

 

Plusieurs policiers ont connu au début de leur carrière des pratiques de tirs fréquentes et bruyantes. Les protections auditives n’étant pas celles qu’elles sont aujourd’hui, plusieurs constatent avoir subi une perte auditive. Mais est-ce suffisant pour se faire indemniser par la CNESST?

Malheureusement, la seule affirmation que ces pratiques de tirs étaient bruyantes et fréquentes ne permettra pas d’obtenir gain de cause devant la CNESST ou encore devant le Tribunal administratif du travail (ci-après : le « TAT »).

Pour y arriver, il faudra démontrer l’existence d’une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après : Latmp).

Le législateur a prévu à l’article 29 de la Latmp une présomption de maladie de professionnelle afin de faciliter la preuve des travailleurs.

Pour pouvoir bénéficier de cette présomption, il faut démontrer être victime d’une atteinte auditive causée par le bruit et avoir occupé un travail impliquant une exposition à un bruit excessif.

Mais comment démontrer que l’atteinte auditive est causée par le bruit? La réponse se trouve dans les courbes audiométriques de l’audiogramme, soit le graphique faisant état des résultats du test auditif. Une atteinte causée par le bruit « se traduit généralement par des courbes typiques, se caractérisant par une chute évidente du seuil d’audition dans les fréquences de 4000 Hz, avec une remontée dans les fréquences de 6000 et 8000 Hz »[1]. « De plus, la perte auditive est bilatérale et les courbes sont habituellement symétriques »[2]. Ainsi, l’atteinte des deux oreilles doit être semblable.

Le policier qui n’a pas une courbe audiométrique typique d’une atteinte auditive causée par le bruit pourra tout de même bénéficier de la présomption prévue à la loi. Il devra toutefois démontrer par une preuve prépondérante que son atteinte est causée par le bruit (absence d’historique familial de surdité, absence d’activités personnelles l’exposant au bruit, atteinte ne s’expliquant pas uniquement par l’âge).

Même en présence d’une courbe audiométrique typique d’une surdité causée par le bruit, il faut démontrer avoir occupé un travail nous exposant à un bruit excessif. Est-ce que des séances de tirs étalées sur plusieurs années permettent de démontrer l’exposition à un bruit excessif? Bien souvent, la fréquence, la durée et l’endroit des séances de tirs varient d’une année à l’autre au fil de la carrière des policiers.

Le législateur n’a pas défini et n’a donné aucune précision quant à la notion de bruit excessif. La jurisprudence nous enseigne qu’il faut interpréter cette notion comme étant un bruit « dépassant la mesure souhaitable », un bruit « trop grand ou trop important »[3]. Quelques jugements ont retenu le seuil de 85 dBA comme étant « celui au-delà duquel un bruit peut être considéré comme excessif[4].

En 2018, le TAT a rendu quelques décisions établissant que les exercices de tirs constituaient une exposition à un bruit excessif, se basant notamment sur les résultats de l’étude « L’exposition au bruit des policiers municipaux de la Montérégie [5]. Dans chacun de ces dossiers, le TAT a évalué et pris en considération le type d’armes à feu utilisée lors des séances de tirs, l’endroit, le nombre de tirs et le nombre de policiers ainsi que les protections auditives utilisées par les policiers.

Selon l’étude « L’exposition au bruit des policiers municipaux de la Montérégie » se basant sur une évaluation des salles de tirs, un Magnum 357 émet une pression acoustique de 165 dB, un pistolet 9mm en émet une de 160 dB et un fusil de calibre 12 de 162 dB. Cette étude a également transposé le bruit d’impact d’un tireur d’un revolver magnum 357 en bruit continu sur une période journalière de 8 heures. Les résultats de cette transposition démontrent qu’un tireur encourt le même risque qu’un travailleur exposé à un bruit continu journalier de 108 dBA[6].

Malgré l’utilisation de protections auditives, il peut y avoir une atteinte auditive. Dans cette même étude, il a été démontré que l’efficacité des protections auditives pouvait être compromise par le port de lunettes de protection ; les branches épaisses venant interférer avec l’étanchéité de la coquille[7].

Il est donc possible qu’un policier démontrant avoir participé à plusieurs séances de tirs bruyantes soit indemnisé par la CNESST suivant l’application de l’article 29 de la LATMP. Il faut toutefois être en mesure de fournir une série de détails concernant lesdites pratiques de tirs, allant du type d’arme utilisée, du nombre de balles tirées jusqu’au nombre de tireurs s’exerçant en même temps.

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Bibliographie

[1] Thessereault et General Motors du Canada Ltée, C.L.P. 176682-64-0201, 18 mars 2003, C.-A. Ducharme.

[2] Thessereault et General Motors du Canada Ltée, C.L.P. 176682-64-0201, 18 mars 2003, C.-A. Ducharme.

[3] Sorel et Sûreré du Québec, CLP 149595-07-001,1-C, 19 févrierr 2002, M. Langlois

[4] Ferland et Brasserie O’Keefe et als, C.L.P. 369272-62B-0901, 20 octobre 2009, M. Watkins/ Corporation ambulancière Beauce inc., 2012 QCCLP 1796/ Poisson et Ville de Terrebonne, 2018 QCTAT 502.

[5] Poisson et Ville de Terrebonne, 2018 QCTAT 502/ Tardif et Ville de Sherbrooke, 2018 QCTAT 2002/ Labrie et Sûreté du Québec 2018 QCTAT 2468/ Boisclair et Sûreté du Québec, 2018 QCTAT 2768/ Robitaille et Ville de Montréal- Sécurité-Policiers, 2018 QCTAT 5521

[6] Pauline Fortier, L’exposition au bruit des policiers municipaux de la Montérégie, volet pratiques de tir : nocivité, mesures préventives et éléments pour l’élaboration d’un sous-programme de santé spécifique. 1. Document de référence à l’intention des équipes de santé au travail, [S.I.], Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie, Direction de la santé publique, 1996.

[7] Id., p. 52.