Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth – CSN c. 3428826 Canada Ltd. (Cadbridge Investors, Queen Elizabeth Hotel et Société d’exploitation FHR QEH), 2024 QCTAT 4568 (j.a. Guy Blanchet), le Tribunal se demande s’il y a lieu de rendre une ordonnance de sauvegarde à l’encontre de l’employeur en ce qui concerne la teneur de ses communications destinées aux employés syndiqués.
Les relations de travail sont très tendues entre les parties. Le syndicat est accrédité afin de représenter les quelque 650 salariés visés par trois unités de négociation au sein de l’hôtel exploité par l’employeur.
Il n’est pas interdit à un employeur de communiquer avec ses employés, mais il doit respecter le monopole de représentation du syndicat. Les communications analysées par le Tribunal s’attaquent directement à la crédibilité du syndicat et de ses agents négociateurs et n’apparaissent pas à première vue constituer des communications factuelles et objectives. De plus, plusieurs énoncés semblent faire appel aux émotions des salariés alors que d’autres s’apparentent à des menaces ou propagent une opinion plutôt négative du syndicat.
Dans sa publication du 13 septembre 2024, lorsque l’employeur écrit que les demandes syndicales sont déraisonnables, que le syndicat est inflexible et manque d’ouverture, il ne s’agit pas de propos neutres et objectifs. Il émet une opinion somme toute assez péjorative qui vise manifestement à discréditer le syndicat auprès de ses membres.
Dans cette même publication, il remet également en question la stratégie syndicale des grèves surprises. Le 24 octobre 2024, il revient à la charge en précisant avoir attendu toute la journée, en vain, un retour de la partie syndicale. Il s’immisce ainsi dans la vie syndicale et apparaît contester les décisions prises par ce dernier. Cet énoncé vise à dénigrer la stratégie syndicale vis-à-vis de ses membres.
De plus, le 2 novembre 2024, le directeur de l’hôtel invite les salariés à communiquer directement avec lui en fournissant son numéro de téléphone cellulaire afin de discuter des négociations. Par cette invitation, l’employeur contourne le syndicat en tentant de traiter directement avec les salariés.
L’employeur indique aux salariés qu’à défaut d’un règlement rapide, les revenus des salariés seront impactés et qu’il est crucial que les salariés comprennent bien les conséquences potentielles des positions adoptées par le syndicat.
Plusieurs communications emploient des qualificatifs négatifs, visent à entraver les activités du syndicat et à influencer négativement les membres quant aux stratégies de négociations de ce dernier.
En ce qui concerne le préjudice irréparable, le Tribunal conclut que les multiples publications de l’employeur entravent les activités du syndicat et nuisent à sa crédibilité face à ses membres. Ainsi, la poursuite de telles communications compromet grandement les chances d’en venir à un règlement rapide de l’actuel conflit de travail qui perdure.
La prépondérance des inconvénients joue en faveur du syndicat. En effet, si le Tribunal ne rend pas l’ordonnance demandée, la poursuite des communications de l’employeur aux salariés ne pourra être contrebalancée par la décision finale qui sera rendue sur le fond de la plainte, compte tenu du but poursuivi par les dispositions du Code du travail. D’ailleurs, plusieurs membres du syndicat ont déclaré être inquiets par rapport à la négociation, ont communiqué leur mécontentement envers le syndicat et du fait qu’ils ne savent plus qui croire. L’effet négatif sur le syndicat est réel.
Étant donné que les salariés sont actuellement en lock-out, il y a une certaine urgence à ce que cette décision soit rendue étant donné l’état actuel des relations de travail entre les parties.
Il ressort ainsi de la preuve administrée qu’il existe une forte apparence de droit que l’employeur a entravé les activités du syndicat par les nombreuses communications publiées pendant les négociations et que le syndicat en subit un préjudice irréparable.
Le Tribunal ordonne à l’employeur de cesser d’entraver et de s’ingérer dans le rôle de l’agent négociateur, de s’abstenir de faire état publiquement des négociations avec le syndicat ainsi qu’aux négociations des conditions de travail s’y rapportant, sauf au moyen de comptes-rendus factuels et objectifs et de remettre par courrier ordinaire ou par courriel à chacun des salariés visés par les unités de négociations en lock-out copie de la présente ordonnance provisoire.
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