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R. c. Zora : Commentaire d’arrêt

Me Félix R. Larose

Le 18 juin dernier, la Cour suprême du Canada rendait jugement dans l’affaire R. c. Zora[1].

Dans une décision unanime rédigée sous la plume de l’honorable juge Martin, le plus haut tribunal au pays renverse la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et tranche en faveur d’une analyse subjective de l’intention coupable requise pour l’infraction de bris de condition prévue à l’article 145 (3) du Code criminel.

Cette décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle s’inscrit en ligne directe avec une démarche initiée par le Parlement du Canada visant à réformer le régime de remise en liberté des prévenus en attente d’un procès.

Depuis plusieurs d’années, les critiques fusent contre un régime trop enclin à émettre des conditions rigides, parfois superfétatoires et mal enlignées sur les objectifs d’une remise en liberté sous condition, nommément : le risque de fuite; le risque pour la sécurité du public et la préservation de la confiance du public en l’administration de la justice.[2] Sur ce point, la juge Martin indique que la liberté sous condition, en application du principe cardinal de la présomption d’innocence, ne doit pas être comprise comme un régime de justice préventif.   

Les faits de l’affaire Zora sont fort simples et la seule véritable question en litige concerne la qualification du type de mens rea applicable. M. Zora, en liberté dans l’attente de son procès, devait respecter un couvre-feu et répondre à la porte dans les cinq minutes lorsqu’un policier ou une autre personne responsable de sa surveillance se présentait à son domicile. Par deux fois, M. Zora ne répondra pas à la porte.

Survient alors la question en litige : de quel type d’intention coupable relève l’infraction de l’article 145 (3) C. Cr. L’intention subjective est plus difficile à prouver. Elle requiert une analyse du processus mental de l’accusé et permet d’invoquer la situation personnelle de ce dernier comme son âge, son inexpérience, son manque d’éducation. L’intention objective propose une méthode comparative entre le comportement de l’accusé et celui d’une personne raisonnable, l’intention coupable étant prouvée lorsqu’il existe un écart marqué entre ces deux comportements. Ce type d’intention trouve surtout application lorsqu’il s’agit de créer une norme sociale uniforme de conduite permettant une certaine prévisibilité du droit.

Dans un pan important de son analyse, la Cour suprême insuffle une bonne dose de vitamines à la présomption existante en faveur de l’intention subjective. En l’absence d’une intention législative manifeste à l’effet contraire, le droit criminel impose au ministère public le fardeau de faire la preuve de l’intention subjective de l’accusé. La Cour suprême le souligne à gros trait.

Ensuite, le plus haut tribunal distingue l’infraction de bris de condition des infractions dites d’obligation qui commandent généralement une preuve d’intention objective. La juge Martin écrit que bien que l’émission de conditions de remise en liberté crée nécessairement l’obligation de les respecter, il s’agit d’une obligation générale semblable à celles créées par tous les articles du Code criminel. Les infractions dites d’obligation entrainant une norme d’intention objective sont plutôt caractérisées par une obligation positive d’agir dans le cadre d’une relation entre une partie plus puissante et une partie vulnérable pouvant entrainer un risque pour la santé et la sécurité de cette dernière. C’est le cas notamment de l’obligation de fournir le nécessaire à l’existence tout comme l’obligation de conduire un véhicule automobile de manière diligente.

Tel qu’indiqué plus tôt, la position adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Zora fait écho aux préoccupations exprimées par le Parlement canadien quant au régime de remise en liberté. La Cour écrit :

[5] […] Les infractions prévues au par. 145(3) sont très courantes, sont en hausse et mettent souvent en jeu des conditions discutables imposées à des personnes vulnérables et marginalisées. Le Parlement a récemment pris des mesures pour s’attaquer à la façon dont les nombreuses et lourdes conditions de mise en liberté sous caution interagissent avec le par. 145(3) pour créer un cycle d’incarcération, particulièrement parmi les membres les plus vulnérables de la population. La Cour ne peut faire abstraction du contexte actuel dans lequel fonctionne le système de mise en liberté sous caution et propose, en réponse à cette réalité, une orientation concernant tant l’interprétation à donner au par. 145(3) que l’imposition des conditions de mise en liberté sous caution menant à de telles accusations.

La réflexion systémique se poursuit tout au long de la décision alors que la Cour suprême exprimera l’opinion que « le Parlement ne voulait pas que les sanctions pénales soient le principal moyen de gérer les risques ou les préoccupations associés aux individus libérés sous conditions. »[3]

Des conditions générales de garder la paix, à celles de s’abstenir de consommer de l’alcool, émises à l’égard de citoyens alcooliques, la Cour propose une vigoureuse remise en question des pratiques ayant cours dans les Palais de justice canadiens. Consciente de la vulnérabilité des accusés souvent prêts à prendre n’importe quel engagement pour recouvrer leur liberté et de la pression exercer sur les procureurs de la Couronne par le nombre de dossiers à traiter, le tribunal en appel à toutes les parties afin de s’attaquer à une problématique qui affecte autant les droits fondamentaux des détenus que la saine administration de la justice.

En conclusion, l’arrêt Zora offre non seulement une réponse juridique, mais de surcroit une brillante profession de foi en une justice humaine et une analyse globale d’un problème quotidien affectant l’ensemble du système de justice criminelle.

__________________________

[1] R. c. Zora, 2020 CSC 14

[2] Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 515 (10) C. Cr.

[3] Ibid, para. 63