Suspensions administratives abusives : des salariés obtiennent des dommages moraux importants

10 septembre 2024

Dans la décision Syndicat des travailleuses et travailleurs des services paratechniques, auxiliaires et de métier de la santé et des services sociaux de la Côte-Nord-CSN et Centre intégré de santé et des services sociaux de la Côte-Nord, 2024 QCTA 329, 19 juillet 2024 (a. Yves Saint-André), l’arbitre est saisi de plusieurs grief contestant la validité des suspensions avec solde imposées à des agents d’intervention en février 2022 par l’employeur pour fins d’enquête au motif qu’ils auraient fait usage d’une force de manière déraisonnable auprès de jeunes d’un centre de réadaptation.

Or, selon la preuve du dossier, une enquête administrative avait révélé, en avril 2022, qu’il n’y avait rient de concluant. L’un des plaignants est avisé, en juin 2022, que l’enquête n’a pas permis d’établir qu’il aurait commis les gestes reprochés. Il réintègre son poste le 4 juillet 2022. Le 3 août 2022, l’employeur offre aux deux autres plaignants d’être déplacés temporairement dans une autre affectation. Ces derniers refusent l’offre, jugeant qu’accepter cette offre constituerait une reconnaissance tacite de culpabilité. Le 20 décembre 2022, l’employeur les avise qu’il n’est pas en mesure de conclure qu’ils ont commis les gestes reprochés. Ils réintègrent leur poste en janvier 2023.

Le syndicat juge ces suspensions abusives, déraisonnables et injustifiées et réclame pour les plaignants les avantages perdus pendant la durée de la suspension ainsi que des dommages moraux pour atteinte à la réputation et à l’intégrité.

Dans un premier temps, l’arbitre conclut à l’illégalité des suspensions administratives imposées aux trois plaignants en cause dans ce dossier. Tel que le soutient le syndicat, les avis de suspension sont laconiques et contreviennent à l’exigence, prévue à la clause 5.12 de la convention collective, visant à informer la personne salariée « des raisons et de l’essentiel des faits qui ont provoqué la mesure ». En l’espèce, les avis ne contiennent aucun énoncé de faits permettant aux plaignants d’identifier un ou des évènements dans le temps. Ce défait entraîne la nullité de la mesure imposée aux plaignants.

L’arbitre souligne également que la suspension imposée par l’employeur ne respecte pas la troisième condition établie dans l’arrêt de principe Cabiakman[1] qui consiste à suspendre provisoirement la prestation de travail pour « une durée relativement courte, déterminée ou déterminable »[2]. Or, dans ce dossier, la preuve révèle que les plaignants sont tenus dans l’ignorance de la durée de la suspension. La première rencontre des représentants de l’employeur avec les plaignants se tient plus d’un mois après le début de la suspension. De plus, alors que l’enquête administrative prend fin le 25 avril 2022, l’un des plaignants doit attendre plus de deux mois pour être réintégré dans son poste. Les deux autres plaignants sont maintenus dans l’ignorance jusqu’au début août 2022 alors que l’employeur leur présente une offre de déplacement temporaire pour une durée qui demeure indéterminée. Ils ne seront réintégrés qu’en janvier 2023.

Dans un deuxième temps, l’arbitre détermine que l’employeur a engagé sa responsabilité en exerçant son droit de manière abusive et déraisonnable, ce qui justifie l’octroi de dommages moraux aux plaignants. Il souligne notamment que l’employeur a suspendu les plaignants sans la moindre information, qu’en dépit du résultat non concluant de l’enquête, les suspensions sont maintenues et que la lettre offrant un déplacement temporaire à deux des plaignants contenait de fausses allégations. Le fait d’avoir exclu du travail les plaignants pendant près de huit mois suivant le résultat de l’enquête d’avril 2022 constitue sans conteste, selon l’arbitre, un abus de droit de la part de l’employeur. Ce dernier a fait preuve d’une grave négligence en omettant de prendre les mesures nécessaires pour lever les suspensions et permettre aux plaignants de réintégrer leurs fonctions.

En l’espèce, les dommages réclamés sont la conséquence du comportement fautif de l’employeur. L’arbitre établi la compensation salariale due par l’employeur à chacun des plaignant (primes et temps supplémentaires)[3]. Il se prononce ensuite sur les dommages moraux. Il juge que la faute commise par l’employeur est grave et qu’elle a eu des impacts négatifs sur la santé, la vie familiale et sociale des plaignants. Après avoir analysé la jurisprudence arbitrale en cette matière, le Tribunal accorde un montant de 30 000$ au premier plaignant, 25 000$ au deuxième plaignant et un montant de 12 500$ au troisième salarié.

Les griefs sont accueillis.

Text

Notes de bas de page

[1]

2004 CSC 55.

[2]

Id., par. 62. Les quatre conditions établies par la Cour suprême sont les suivantes : 1) la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’entreprise; 2) la bonne foi et le devoir d’agir équitablement doivent guider l’employeur dans sa décision d’imposer une suspension administrative; 3) l’interruption provisoire de la prestation de l’employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d’une résiliation ou d’un congédiement pur et simple; 4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels.

[3]

Voir les paragraphes 291 à 318 de la décision.

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