Dans la décision Lafrenière c. 9311-3967 Québec inc., 2024 QCTAT 3697, (j.a. Guy Blanchet), la plaignante, une serveuse comptant plus de 43 ans d’expérience, a déposé au Tribunal administratif du travail des plaintes de congédiement en vertu des articles 123 et 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après, « Loi »).
En effet, la plaignante allègue que ses employeurs ont procédé à son congédiement à la suite d’un accident de travail pour lequel elle a demandé à plusieurs reprises de réintégrer son emploi à la suite de la consolidation de sa lésion, ce que ses employeurs ont refusé.
Le Tribunal doit ainsi décider si la plaignante a fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et suffisante et, auquel cas, quelles sont les sommes qui lui sont dues.
Les faits à l’origine de cette affaire peuvent se résumer ainsi : le 7 mai 2022, la plaignante est victime d’un accident de travail et se blesse à l’épaule. À partir de ce moment, elle est absente du travail et reçoit des indemnités de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la CNESST). Au début de l’année 2022, une nouvelle propriétaire fait l’acquisition du restaurant pour lequel la plaignante travaillait. L’exploitation du restaurant est poursuivie sous la même dénomination. La CNESST communique avec le nouvel employeur concernant son obligation de collaboration aux démarches de retour au travail dans l’établissement. Cette dernière ne se reconnaît aucune responsabilité, précise que les faits reprochés ne la concernent pas et invite la CNESST à communiquer avec l’ancienne propriétaire. Une sanction administrative pécuniaire lui est imposée.
Le Tribunal rappelle que lorsqu’il y a aliénation de l’entreprise et qu’un salarié réclame ses droits, comme c’est le cas dans la présente affaire, alors les employeurs successifs sont alors liés par le contrat de travail et les obligations qui en découlent. Le lien d’emploi doit demeurer intact comme s’il n’y avait eu aucun changement.
En l’espèce, l’employeur n’a démontré aucun élément justifiant sa décision de ne pas réintégrer la plaignante dans son emploi. Le Tribunal considère que le refus de collaborer de l’employeur, ainsi que son absence à l’audience lui sont fatals. La plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante est donc accueillie.
Sur la question relative à la mesure de réparation possible, le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réintégration de la plaignante, compte tenu de la taille de l’entreprise et le manque total de confiance de la plaignante envers son employeur.
La plaignante ne réclame pas d’indemnité pour salaire perdu, puisqu’elle reçoit des prestations de la CNESST en liens avec son accident de travail jusqu’en décembre 2024. En revanche, elle réclame une indemnité pour perte d’emploi équivalant à quatre semaines par année de service. Étant donné l’impossibilité de réintégrer la plaignante, le Tribunal octroie une indemnité de perte d’emploi équivalant à quarante-quatre (44) semaines.
Également, le Tribunal estime que la plaignante a droit à 5 000 $ à titre de dommages moraux en raison de la frustration ressentie à la suite des refus répétés de réintégration.
Finalement, le Tribunal accorde une somme de 5000 $ à la plaignante à titre de dommages punitifs en tenant compte de la gravité de la faute, de la situation patrimoniale de l’employeur et du fait qu’il y a eu contravention de l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (ci-après, Charte) qui interdit toute discrimination fondée sur le handicap. En l’espèce, l’employeur n’a pas seulement été simplement négligent, il a fait preuve d’insouciance en décidant de faire fi de ses obligations légales qui lui sont dévolues à titre de nouveau propriétaire du restaurant. Étant donné l’atteinte illicite et intentionnelle à un droit reconnu par la Charte, les dommages punitifs sont appropriés.
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