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Une avancée considérable en matière de liberté d’association !

Une avancée considérable en matière de liberté d’association !

Procureur général du Québec et Pierre Moreau c. Les avocats et notaires de l’état québécois (LANEQ) et Agence de revenu du Québec, 7 avril 2021, Cour d’appel.

Rédigé par Me Amélie Soulez

La Cour d’appel vient de rendre une décision d’une grande importance en matière de liberté d’association. La Cour rejette l’appel logé par le gouvernement et déclare inconstitutionnelle une loi spéciale adoptée en 2017 [1] forçant le retour au travail des avocats et des notaires et imposant les conditions de travail en lieu et place d’une convention collective pour une durée de trois ans. La déclaration d’inconstitutionnalité de la loi 2017 a été  faite en application de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne portant sur la liberté d’association[2]. Ce sont ces dispositions qui sont invoquées dans les recours constitutionnels entrepris à l’encontre de la Loi 15 et de la Loi 24.

Faits de l’affaire 

Un bref survol des faits entourant cette affaire s’impose. Le litige oppose les avocats et notaires de l’État québécois (ci-après « LANEQ »), l’association accréditée qui représente, auprès du Conseil du trésor, les juristes de la fonction publique québécoise et leur employeur et le gouvernement du Québec. En vue de renouveler une convention collective venue à échéance en mars 2015, les parties ont négocié pendant deux ans, dont les quatre derniers mois furent marqués par une grève déclenchée par LANEQ. En février 2017, l’Assemblée nationale adoptait une loi spéciale qui ordonnait non seulement le retour au travail des membres de LANEQ mais également la mise en place d’un processus pour conclure une convention collective que les parties parviennent ou non à s’entendre. LANEQ a déposé un recours constitutionnel devant la Cour supérieure afin de contester la validité de cette loi spéciale en invoquant que le gouvernement avait agi en violation de la liberté d’association garantie en vertu des Chartes, notamment en supprimant à la fois le droit de négocier collectivement et le droit de grève.

Historique judiciaire 

Le 18 septembre 2019, la Cour supérieure déclarait inconstitutionnelle la Loi 2017. La Cour en vient d’abord à la conclusion  que cette loi comporte des atteintes et des ingérences substantielles sur le processus de négociation. Elle conclut ensuite que la défense de justification invoquée en vertu  de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés[3] n’est pas fondée dans une société libre et démocratique. La Cour supérieure prend appui sur les principes découlant de l’arrêt de la Cour suprême rendu le 30 janvier 2015 dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan[4], qui constitue à n’en pas douter un net revirement jurisprudentiel,  la Cour suprême reconnaissant pour la première fois depuis l’adoption des Chartes, que l’exercice de la grève constitue une activité associative protégée constitutionnellement en vertu de l’alinéa 2 d).

Les appelants, le gouvernement du Québec et l’employeur portent la cause en appel devant la Cour d’appel du Québec.

Motifs de la Cour d’appel 

Il est important de souligner que sous la plume du juge Morrissette, l’arrêt de la Cour d’appel du Québec a été rendu à l’unanimité des juges de la formation appelée à disposer de cette affaire. La Cour d’appel débute son jugement en soulignant qu’à de nombreuses reprises, la Cour suprême du Canada, insiste d’abord sur l’importance des faits et du contexte d’ensemble lorsqu’il faut se pencher sur l’existence d’entraves ou d’atteintes à la liberté d’association. La Cour d’appel cite notamment le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act[5] et souligne qu’il faut privilégier une analyse et une approche plus téléologique et contextuelle étant donné que la négociation collective est depuis très longtemps reconnue comme un aspect fondamental de la vie de la société canadienne et constitue la plus importante activité associative dans le domaine des relations du travail. La détermination de l’existence d’une atteinte substantielle doit donc être tranchée dans le contexte propre à chaque cas, en examinant l’importance des matières qui font l’objet de la contestation et les impacts que cela comporte sur le processus de négociation.

La Cour d’appel expose l’historique des négociations entre LANEQ et le gouvernement. Cet examen est d’une grande importance et doit être lu avec circonspection afin de mieux saisir les enjeux de cette affaire et les conclusions de la Cour.

Sur le fond, la Cour d’appel aborde tout d’abord dans ses motifs le revirement jurisprudentiel opéré par l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan[6]. Elle reconnaît  que cette affaire est décisive sur la question relative à la suppression du droit de grève :

 «[25] Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. À mon avis, l’absence d’un tel mécanisme dans la PSESA représente ce qui, en fin de compte, rend les restrictions apportées par celle-ci inadmissibles sur le plan constitutionnel. »

La Cour d’appel souligne à grand trait que l’existence d’une atteinte substantielle doit s’apprécier en fonction de la finalité de la liberté d’association protégée en vertu des Chartes, et que cette finalité vise autant à fortifier le droit de négocier collectivement qu’à maintenir l’équilibre dans les rapports de force entre l’employeur et les salariés.

Selon la Cour d’appel, il y a entrave substantielle lorsque cet équilibre est perturbé et que les mesures contestées interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective.

Dans les cas où les négociations collectives sont dans une impasse et qu’une intervention législative s’avère nécessaire, au point d’entraîner la suppression du droit de faire la grève, l’atteinte substantielle qui en découle doit alors être compensée par l’établissement d’un mécanisme de règlement du différend qui est adéquat et qui constitue un substitut valable à l’exercice du droit de grève. Ce mécanisme doit être impartial, efficace, neutre et indépendant.

La négociation de bonne foi 

Dans sa défense, le gouvernement soulevait que l’association n’avait pas négocié selon les exigences de la bonne foi. 

La Cour d’appel rejette cet argument qu’elle considère comme n’étant pas supporté par la preuve en soulignant que de toute façon,  il n’atteint pas la cible. S’il avait été sérieux, il aurait dû être soulevé ailleurs et sous une autre forme.

L’Existence d’une entrave substantielle et la défense de justification du gouvernement

La Cour d’appel confirme également la position de la Cour supérieure selon laquelle la Loi 2017 porte atteinte d’une manière substantielle à la liberté d’association par la suppression totale du droit de grève.

Le gouvernement avait dès lors l’obligation de se justifier.

Dans cette perspective, le gouvernement invoquait que le droit de faire la grève comportait des limites temporelles et qu’en l’espèce, l’impasse dans les négociations résultait d’un artifice créé par l’association. Selon le gouvernement, l’impasse dans les négociations faisait partie de la stratégie syndicale qui ne recherchait qu’une seule chose en vérité : l’arbitrage des conditions du travail.

La Cour d’appel rejette les deux arguments.

Elle affirme d’abord qu’il n’y a pas de limite temporelle aux droits fondés sur l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne [7].  Tant qu’il y a négociation, celle-ci doit se poursuivre selon les exigences de la bonne foi.

Même lorsque les négociations collectives sont dans une impasse, cela ne met pas fin pour autant à la liberté d’association. Il faut alors se pencher sur la nature de cette impasse et sur ses conséquences.

Lorsque la grève perturbe les services qui doivent être donnés à la population au point de constituer une préoccupation urgente et réelle et que la suppression du droit de grève constitue une mesure rationnelle eu égard aux circonstances liées à l’objectif du gouvernement lorsque celui-ci est légitime, le gouvernement a alors l’obligation de compenser la suppression du droit par un véritable mécanisme de règlement du différend, ce qui n’était pas le cas.

À défaut de le faire, le critère de l’atteinte minimale n’est pas satisfait.

Cette conclusion s’imposait d’autant plus que le gouvernement n’avait pas justifié la durée de trois ans relative aux conditions de travail imposées dans la loi 2017. À défaut de justification, cette durée s’avérait trop longue pour satisfaire au critère de l’atteinte minimale. La commodité administrative invoquée par le gouvernement pour justifier ce délai afin qu’il y ait coïncidence avec l’expiration des conventions collective dans le secteur public n’a pas été jugée suffisante.

Proportionnalité et atteinte minimale 

La Cour d’appel confirme donc entièrement le jugement rendu par la Cour supérieure et rejette l’appel après avoir fait une mise en garde au gouvernement, ce qui est assez inusité.

L’association demandait à la Cour l’émission d’une ordonnance imposant un mécanisme de règlement du différend. La Cour rejette cette demande en soulignant qu’il n’était pas nécessaire de le faire pour le moment mais qu’il suffisant de lire l’arrêt de la Cour pour que quiconque se rende compte que la prochaine fois, sera peut-être  la bonne, et qu’un telle ordonnance pourrait alors être émise.

Plusieurs passages de l’arrêt laissent entrevoir une forme d’exaspération de la part de la Cour. La défense du gouvernement est battue en brèche et vraiment écorchée. Plusieurs messages y sont formulés dans une langue qui s’éloigne de la déférence habituelle envers le gouvernement et le législateur.

On sent que la banalisation de la liberté d’association n’est plus au goût du jour.

Cet arrêt ne manquera pas d’être invoqué par les syndicats dans les dossiers de la Loi 15 et de la Loi 24.

[1]Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation des services juridiques (ci-après : « Loi 2017 »).

[2]Charte canadienne des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

[3] Id.

[4] Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4.

[5] Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, 2007 CSC 27.

[6] Préc., note 4.

[7] Préc., note 2.