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Une clause conventionnelle limitant le droit aux augmentations salariales rétroactives aux anciens salariés possédant un statut de « réguliers » est-elle discriminatoire et crée-t-elle une disparité de traitement ?

Me Erika Escalante

 

Il s’agit de la question à laquelle l’arbitre Dominic Garneau répond dans la récente affaire Association des policiers de la Ville de Thetford Mines et Ville de Thetford Mines (griefs individuels, Vincent Lecompte et autres)[1].

 

Trame factuelle

Le litige dans cette affaire a pris naissance à la suite de l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective liant les parties, le 23 mai 2019, laquelle prévoit la clause de rétroactivité salariale suivante :

35.03 : Les clauses à incidence monétaire sont rétroactives au 1er janvier 2016, sauf si autrement spécifié. Cette disposition s’applique également aux salariés réguliers qui ont quitté le service depuis cette date.

Le syndicat conteste la décision de l’employeur de ne pas verser rétroactivement des augmentations de salaire aux plaignants, des policiers possédant le statut de salariés temporaires et ayant été à son service entre le 1er janvier 2016 et le 23 mai 2019. Il allègue que ceux-ci font l’objet d’une discrimination fondée sur l’âge ayant pour effet de leur accorder un traitement ou un salaire différent des autres salariés qui accomplissent un travail équivalent en violation des articles 10 et 19 de la Charte québécoise[2] et de l’article 15 (1) de la Charte canadienne[3], en plus de contrevenir à l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT»).

 

Analyse

  1. Objection préliminaire : La compétence de l’arbitre

L’employeur plaide que le tribunal n’a pas de compétence à l’égard des personnes qui ne sont ni salariés ni membres de l’unité de négociation. L’arbitre rappelle qu’effectivement, en principe, une convention collective n’a pas d’effet à l’égard des anciens salariés, et qu’en cas de silence de celle-ci, la rétroactivité de ses dispositions ne se présume pas.

Or, en l’espèce, la clause en litige est claire : les parties ont convenu d’élargir le champ d’application de la convention collective aux salariés dont le lien d’emploi est rompu depuis le 1er janvier 2016, en excluant les salariés temporaires. Ainsi, le tribunal possède la compétence pour déterminer si cette exclusion est discriminatoire, et par le fait même sans effet.

 

  1. L’effet discriminatoire de la clause 35.03 de la convention collective
  • Les fardeaux de la preuve

Le recours fondé sur l’article 10 de la Charte québécoise comporte une démarche à deux volets imposant d’abord un fardeau de preuve au demandeur puis, au défendeur.

Afin de rencontrer son fardeau de preuve, le demandeur doit établir l’existence d’une discrimination à première vue[4]. Pour ce faire, il doit démontrer par preuve prépondérante les éléments suivants :

  1. Une distinction, exclusion ou préférence;
  2. Fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10;
  3. Qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

S’il y parvient, un renversement du fardeau de preuve s’opère obligeant le défendeur à justifier sa décision ou sa conduite discriminatoire en invoquant des exceptions prévues par la Charte ou développées par la jurisprudence[5].

  • Application au cas d’espèce

Quant au premier élément constitutif d’une discrimination, le tribunal est d’avis qu’il existe une distinction, une exclusion et une préférence, car la clause 35.03 de la convention collective accorde le droit à des augmentations salariales rétroactives aux salariés ayant quitté le service depuis le 1er janvier 2016, mais uniquement à ceux détenant le statut de salarié régulier, excluant ainsi les salariés temporaires.

Ensuite, le tribunal considère qu’il y a un lien entre le motif allégué de discrimination, soit l’âge des plaignants, et leur traitement différent. En effet, la preuve démontre que les salariés temporaires sont majoritairement des personnes de moins de 30 ans alors que les salariés réguliers sont plus âgés. L’article 35.03 crée donc une exclusion basée sur le statut d’emploi mais qui produit un effet discriminatoire fondé sur l’âge.

Quant au troisième critère, le Tribunal conclut que la distinction affecte l’exercice en pleine égalité du droit des plaignants à un salaire égal aux salariés réguliers qui accomplissaient le même travail au même endroit.

Ainsi, il conclut que l’exclusion en l’espèce est contraire aux articles 10 et 19 de la Charte québécoise, et à l’article 15 (1) de la Charte canadienne.

Finalement, l’Employeur n’a ni été en mesure de démontrer que cette disparité salariale était fondée sur l’expérience, l’ancienneté, la durée du service, l’évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, comme le permet le deuxième alinéa de l’article 19 de la Charte québécoise, ni qu’elle était justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne.

  • L’absence de responsabilité du Syndicat découlant de la clause discriminatoire

Bien que la Cour suprême du Canada ait déjà conclut qu’un syndicat puisse être tenu responsable des conséquences découlant de la négociation d’une clause de convention collective discriminatoire, au même titre qu’un employeur, le tribunal ne retient pas la responsabilité du syndicat en l’espèce. Il se fonde sur l’affaire Université Laval[6] dans laquelle la Cour d’appel avait conclu qu’une violation de l’article 19 de la Charte québécoise engage la responsabilité de la partie patronale seulement.

 

  1. La création d’une disparité de traitement

Dans sa nouvelle mouture[7], l’article 41.1. LNT interdit à un employeur d’accorder à un salarié un taux de salaire inférieur à celui consenti à ses autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi.

En l’espèce, les trois critères prévus à cet article sont satisfaits. D’abord, étant exclus du bénéfice de l’article 35.03 de la convention collective, les plaignants bénéficient d’un taux de salaire inférieur à celui consenti aux salariés réguliers ayant quitté le service depuis le 1er janvier 2016. La preuve relève qu’ils effectuaient les mêmes tâches que les policiers réguliers, et ce, dans le même établissement. Finalement, étant d’avis que l’absence de lien d’emploi ne peut constituer une autre raison justifiant la disparité salariale en l’espèce, le tribunal conclut que les plaignants n’ont pas reçu la rétroactivité salariale uniquement en raison de leur statut.

Le tribunal accueille le grief et déclare que la clause litigieuse est nulle et sans effet.

Pour en savoir davantage sur l’application jurisprudentielle de l’article 41.1 LNT, nous vous invitons à lire l’article intitulé « La première et modeste vague des multiples litiges à venir sur la « nouvelle » disparité de traitement »[8]rédigé par notre collègue, Me Amélie Soulez.

________________

[1] 2020 QCTA 597.

[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

[3] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[4] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc.

(Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, paragr. 35 et 36, Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.

[5] Idem, note 4.

[6] Université́ Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA.

[7] Entrée en vigueur le 1er janvier 2019.

[8] Article publié le 8 octobre 2020 sur le site internet de Roy, Bélanger avocats, sous l’onglet Publications.