La première et modeste vague des multiples litiges à venir sur la « nouvelle » disparité de traitement

8 octobre 2020

Me Amélie Soulez

 

Bien que la question des disparités de traitement alimente les débats depuis longtemps dans le domaine du droit du travail, l’entrée en vigueur des modifications apportées aux articles 41.1 et 74.1 de la Loi sur les normes du travail dans la foulée de la réforme des normes du travail a eu un effet de bombe multipliant les divergences d’opinions sur ce qui constitue de la disparité de traitement au sens de la loi.

 

Mise en contexte

 

Une brève mise en contexte s’impose :  avant le 1er janvier 2019, l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail prévoyait ce qui suit :

«Un employeur ne peut accorder à un salarié un taux de salaire inférieur à celui consenti aux autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement, pour le seul motif que ce salarié travaille habituellement moins d’heures par semaine.

Le premier alinéa ne s’applique pas à un salarié qui gagne un taux de plus de deux fois le salaire minimum

[Nos soulignements]

 

Depuis le 1er janvier 2019, l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail est rédigé comme suit :

«Un employeur ne peut accorder à un salarié un taux de salaire inférieur à celui consenti à ses autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi, notamment parce qu’il travaille habituellement moins d’heures par semaine.»

[Nos soulignements]

 

Le législateur élargit donc la notion de disparité de traitement à tous les salariés qui se voient accorder un taux de salaire inférieur en raison de leur statut d’emploi. Voici des exemples de ce qui constitue un « statut d’emploi » suivant les débats parlementaires[1] :

  • Employé à temps plein versus un employé à temps partiel;
  • Employé temporaire versus un employé permanent;
  • Employé embauché par une agence de placement versus un employé de l’entreprise;
  • Employé sur appel versus un employé avec un horaire régulier.

 

Le législateur modifie de la même façon l’article 74.1 de la Loi sur les normes du travail afin d’interdire à un employeur de réduire la durée du congé annuel d’un salarié visé à l’article 41.1 de cette même loi et de modifier le mode de calcul de l’indemnité y afférente, par rapport à ce qui est accordé à d’autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement, uniquement en raison de son statut d’emploi.

Suite à l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions tant les acteurs syndicaux que patronaux étaient impatients de voir comment les arbitres allaient interpréter et appliquer cette nouvelle notion de disparité de traitement. La jurisprudence est encore au stade embryonnaire et peu de décisions ont été rendues sur la question, mais voici un bref aperçu de l’application de cette nouvelle norme du travail en jurisprudence arbitrale depuis le 1er janvier 2019.

 

Aperçu des sentences arbitrales rendues depuis le 1er janvier 2019

 

Dans une première affaire rendue le 30 décembre 2019, l’affaire Teamsters Québec, local 1999 c. Molson Canada 2005[2], un arbitre se prononce sur un grief par lequel syndicat réclame que les salariés occasionnels et les salariés remplaçants soient rémunérés au même taux horaire que les salariés réguliers en application de l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail. La convention collective liant les parties prévoit que tout salarié embauché a le statut d’employé occasionnel, et ce, pour une durée de six (6) mois. Par la suite, il acquiert le statut d’employé remplaçant. Les employés ayant le statut de remplaçant acquièrent certains avantages, notamment la possibilité d’obtenir un poste permanent uniquement après 2080 heures travaillées. Les salariés occasionnels et remplaçants ont un taux de salaire inférieur aux salariés permanents, ce que le syndicat conteste.

L’arbitre mentionne tout d’abord que contrairement aux prétentions de l’employeur l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail s’applique au régime collectif. Par la suite, l’arbitre détermine que pour les salariés occasionnels ainsi que les salariés remplaçants n’ayant pas effectués 2080 heures travaillées, il n’y a aucune violation de l’article 41.1 de la Loi sur les normes. L’arbitre retient de la preuve que le taux de salaire inférieur n’est pas uniquement en raison de leur statut, le taux est consenti en raison de leur manque d’expérience, de qualifications, d’habilités et de compétence. Cependant, l’arbitre constate qu’un remplaçant qui possède plus de 2080 heures travaillées bénéficie d’un taux de salaire inférieur à un employé régulier jusqu’à ce que trois employés quittent afin qu’il puisse obtenir à son tour un poste régulier. L’arbitre est d’avis que cette situation est prohibée par l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail :

«Un employé remplaçant avec plus de 2080 heures n’obtient plus aucun avantage supplémentaire jusqu’à ce qu’il devienne régulier. Il n’a aucun contrôle sur cette nomination et il peut demeurer remplaçant pendant des années sans aucune progression salariale alors qu’il fait le même travail et qu’il est bien formé. Contrairement aux employés occasionnels et aux nouveaux employés remplaçants, l’employé remplaçant avec plus de 2080 heures ne peut plus progresser. L’article 41.1. interdit justement aux parties d’accorder pour toujours à un salarié (remplaçant avec plus de 2080 heures) un taux de salaire inférieur à celui consenti aux autres salariés (réguliers) qui effectuent toujours les mêmes tâches et qui ont les mêmes compétences et qualifications. »

[Nos soulignements]

 

L’arbitre accueille donc le grief du syndicat sur cet aspect et détermine que les salariés remplaçants qui sont éligibles à un poste permanent et qui ne progressent plus dans l’échelle après 2080 heures sont victimes d’une disparité de traitement. Nous sommes en accord en tout point avec l’arbitre sur cette dernière conclusion. Cela dit, le remède déterminé par l’arbitre, à notre humble avis, pose problème. L’arbitre ordonne aux parties de négocier afin de trouver une solution à la disparité soulevée et leur donne un délai de quatre-vingt-dix (90) jours pour ce faire. Ainsi, aucune véritable réparation n’est octroyée aux salariés victimes de disparités. Or, il ressort de la jurisprudence en pareille matière, qu’un arbitre n’a pas le pouvoir d’ordonner aux parties de retourner à la table de négociation. La compétence de ce dernier se limite à déclarer la clause invalide et à ordonner que les salariés victimes d’une disparité obtiennent un traitement équivalent aux salariés effectuant les mêmes tâches[3]. Il y a lieu de mentionner que cette décision fait d’ailleurs l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

 

Dans l’affaire Travailleurs et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 509  [4] rendue en date du 6 février 2020, un arbitre doit trancher un grief concernant l’article 74.1 de la Loi sur les normes du travail. Le syndicat conteste le fait que les salariées à temps partiel qui ont quitté en retrait préventif, congé de maternité et congé parental ont eu une indemnité de vacances réduite, ce qui constitue une discrimination et une disparité de traitement vis-à-vis leurs collègues temps plein. La convention collective liant les parties prévoit que les salariés à temps partiel n’ont le droit qu’à un pourcentage de leurs gains totaux alors que les salariés à temps complet ont le droit à des jours de vacances en lien avec leur salaire majoré de 6,25% pour les trois premières semaines de vacances. Le grief porte donc sur le traitement différent qui est suivi dans la détermination des indemnités de vacances des personnes salariées à temps partiel et à temps plein en congé de maternité et parental. Plus spécifiquement, les indemnités parentales sont incluses dans les gains totaux des salariés à temps régulier pour calculer les vacances alors qu’elles ne sont pas incluses pour les salariés à temps partiel. L’arbitre rejette les prétentions du syndicat basées sur l’article 74.1 de la Loi sur les normes du travail en donnant très peu de détail sur les raisons qui le poussent à conclure ainsi, ses motifs se résument aux paragraphes suivants :

[42] Faut-il incidemment ajouter que, de toute façon, mesdames Drolet, Ferreres et Fournier ne pouvaient tirer avantage de l’article 74.1 de la LNT, comme le suggère le Syndicat, puisqu’elles n’étaient pas partie de la clientèle visée par l’article 41.1 auquel il renvoie.

[43] Cette dernière disposition s’intéresse aux salariés qui ont une problématique de taux de salaire inférieur parce qu’ils feraient moins d’heures de travail que d’autres, bien qu’ils exécuteraient tous des tâches identiques. Même si l’article 74.1 comporte une interdiction de réduire le congé annuel ou de modifier le calcul de l’indemnité afférente, il faut en restreindre l’application à ce groupe de salariés visés auquel mesdames Drolet, Ferreres et Fournier n’appartiennent indéniablement pas.

 

Le raisonnement de l’arbitre n’est pas des plus limpides et laisse sous-entendre que, lorsqu’un employeur octroi le même taux de salaire à tous ses salariés effectuant les mêmes tâches, l’article 74.1 de la Loi sur les normes du travail est inapplicable et ainsi rien n’empêche l’employeur de réduire les vacances et l’indemnité de vacances d’un salarié en se basant uniquement sur son statut d’emploi. À notre avis, une telle interprétation vient restreindre considérablement l’utilité des articles 41.1 et 74.1 de la Loi sur les normes du travail et va à l’encontre de la volonté du législateur en adoptant les nouvelles dispositions relatives aux disparités de traitement.

 

La sentence dans l’affaire Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (FIQ)[5] rendue le 20 mai 2020, adopte une application plus libérale de ces normes. Le syndicat conteste le fait que l’employeur refuse de considérer les libérations syndicales dans l’avancement d’échelon des employés temps partiels. L’arbitre donne raison au syndicat et conclut qu’à la lumière des dispositions de la convention collective, les journées de libérations doivent être considérées dans l’avancement d’échelon comme des jours travaillés. Cette décision est pertinente en ce que l’arbitre ouvre également une courte parenthèse sur l’article 41 de la Loi sur les normes du travail et indique que le fait de retenir les prétentions de l’employeur créerait une disparité de traitement :

[73] Enfin, les auteurs enseignent qu’il faut écarter, parmi les interprétations possibles, celles qui ne seraient pas conformes à la loi ou produisent des résultats inéquitables. Les distinctions salariales faites sur la base du statut sont suspectes à la lumière de l’interdit édicté à l’article 41 de la Loi sur les normes du travail. La proposition voulant qu’une partie des salariées libérées sans perte de salaire progresse plus rapidement dans les échelles salariales que les autres, sur la base de leur statut, produit un résultat injuste alors que toute la structure salariale repose sur l’équité.

[Nos soulignements]

 

Dans l’affaire Syndicat des travailleurs de la boulangerie Vincent Massey[6], l’arbitre se prononce sur la question suivante : est-ce que l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail qui interdit à un employeur d’accorder à un salarié un taux de salaire inférieur à celui d’autres salariés qui effectuent les mêmes tâches a pour effet de rendre illégale une partie de l’échelle salariale prévue à la convention collective ? À la révision de l’ensemble de la preuve, y compris les échelles de salaires, à la lumière de l’article 41.1 de la loi, l’arbitre indique qu’il est forcé de conclure que, même si les salariés à temps partiel et les étudiants sont appelés à effectuer les mêmes tâches que les salariés réguliers, il demeure que ce n’est pas uniquement en raison de leur statut que leur était accordé un taux de salaire inférieur aux salariés réguliers. En effet, malgré que l’échelle réfère effectivement à leur statut, les écarts salariaux peuvent s’expliquer par la différence d’expérience acquise par l’exercice des fonctions inhérentes à un poste que les parties ont, de bonne foi, quantifiée en nombre d’heures effectuées. D’ailleurs, la preuve révèle également que le statut de temps partiel constitue généralement la porte d’entrée menant à l’acquisition d’un poste régulier, ce qui implique que, durant une période de temps, ces salariés acquièrent diverses connaissances utiles à l’accomplissement de leurs tâches.

En conclusion, l’étude de ces premières décisions nous laisse sur notre faim quant à l’application d’une « nouvelle » disparité de traitement. Nous pouvons néanmoins retenir de cette première vague qu’il ne suffit pas pour le syndicat d’invoquer que les salariés effectuent les mêmes tâches que ceux dont ils disent victimes de disparités afin de conclure à une violation des articles 41.1 et 74.1 de la Loi sur les normes du travail. Il faut aussi vérifier si cette disparité repose sur la différence de statut ou sur un autre motif. Cependant, à notre avis, il est clair que si le nombre d’heures réellement travaillées au sein de l’entreprise est égal et que les tâches sont les mêmes, les salariés devraient bénéficier du même traitement.  À notre avis, il importe d’interpréter les articles 41.1. et 74.1 de la Loi sur les normes du travail de manière large et libérale afin de rendre efficace cet instrument législatif mis en place afin de renforcer l’égalité entre salariés. Ce faisant, tous les salariés effectuant les mêmes tâches devraient progresser dans l’échelon de la même façon et passer par le même chemin, sans que leur progression soit tributaire d’un facteur sur lequel ils n’ont aucun contrôle.

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_________________________________

[1] Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n°176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, 41e législature, 1er session (20 mai 2014 au 23 août 2018), mardi 29 mai 2018, Vol. 44 N°167.

[2] Teamsters Québec, local 1999 c. Molson Canada 2005* (grief collectif), 2019 QCTA 746.

 

[3] Métallurgiste Unis d’amérique, section Locale 6839 c. Infasco (Robert Choquette), 15 décembre 2008, AZ-50526779, Travailleurs et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 509 c. Démix Béton, division holcim Canada inc., établissement de Québec, Tribunal d’arbitrage, Me Robert Choquette, 24 avril 2012; Syndicat des travailleuses et travailleurs des autobus La Montréalaise – CSN c. Les Autobus La Montréalaise inc., Tribunal d’arbitrage, Me Diane Veilleux, 23 novembre 2013.

[4] Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Centrale de coordination santé de la région de Québec (CSN) c. Centre de communication santé des Capitales (griefs individuels, Andréanne Drolet et autres), (T.A., 2020-02-06), 2020 QCTA 258.

[5] Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (FIQ) c. CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (griefs individuels, Nathalie Thibault et autres), 2020 QCTA 233.  

[6] Syndicat des travailleuses et travailleurs de la boulangerie Vincent Massey – CSN c. Boulangerie Canada Bread ltée (Usine de Québec), (grief syndical), (T.A., 2020-07-21), 2020 QCTA 345, SOQUIJ AZ-51696442.

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