LES MESURES DE RÉPARATIONS À LA SUITE D’UNE PLAINTE POUR MANQUEMENT AU DEVOIR DE REPRÉSENTATION D’UN SYNDICAT
Le 25 janvier 2019, le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a rendu une décision[1] sévère sur les mesures de réparation offertes à un salarié qui a été victime d’un manquement à l’obligation de juste représentation de son syndicat.
Dans cette affaire, deux salariées ont déposé une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail contre leur syndicat pour voir fait preuve de discrimination à la suite d’une restructuration de leur régime de retraite.
Effectivement, le syndicat et l’employeur ont dû renégocier certains paramètres du régime de retraite applicable aux plaignantes afin de se conformer à la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (Ci-après la « Loi 15 »). Dans le but de combler le déficit actuariel du régime, le syndicat a pris la décision de réduire les droits et avantages de retraite d’un petit groupe de membres qui ont exercé de la fonction supérieure, et ce, rétroactivement à 2012.
Les deux plaignantes font partie du groupe de salariés qui ont effectué, durant de longues périodes de temps, de la fonction supérieure, c’est-à-dire qu’elles ont occupé un poste de cadre, hors unité. Durant leur affectation, les plaignantes ont bénéficié d’un salaire supérieur et ont dû payer une cotisation supplémentaire au régime de retraite. En vertu des règles applicables sous l’ancien régime de retraite, le fait d’avoir exercé de la fonction supérieure a bonifié le montant des rentes de retraite que les plaignantes avaient droit.
Ces droits bonifiés ont été retirés dans la négociation enclenchée par la Loi 15 afin de capitaliser le régime et ainsi éponger le déficit actuariel.
Dans une première décision[2], le TAT a conclu qu’en utilisant uniquement un petit groupe qui représente moins de 4 % des membres pour payer le déficit actuariel, alors que les causes du déficit sont attribuables à l’ensemble des membres, le syndicat a fait preuve de discrimination et d’arbitraire.
Se pose alors la délicate question des mesures de réparation à accorder aux deux plaignantes. Jusqu’alors, il n’existait aucun précédent jurisprudentiel concernant la réparation appropriée dans un cas où un syndicat, par ses agissements, a privé l’un de ses membres de droits découlant d’une participation dans un régime de retraite à prestations déterminées.
Le TAT a déterminé que la réparation appropriée est de condamner le syndicat à payer aux plaignantes des dommages dont la valeur correspond au montant requis pour l’achat d’une rente viagère équivalant (avec les mêmes avantages) à la rente dont elles auraient bénéficié, n’eût été la faute du syndicat. Pour les deux plaignantes, la somme représente près de 450 000 $ !
Étant donné qu’il s’agit de la première fois qu’une telle mesure de réparation est accordée, le TAT s’est réservé compétence pour trancher tout litige découlant de l’impact d’une décision des organismes responsables de la fiscalité afin de s’assurer que les plaignantes soient pleinement dédommagées.
Par ailleurs, le juge a condamné le syndicat à payer les frais raisonnables d’avocat des plaignantes pour l’ensemble du dossier. Ceci comprend les frais pour la plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail, les frais pour le pourvoi en contrôle judiciaire déposé par le syndicat et les frais engagés pour obtenir la décision sur les mesures de réparation. L’ensemble de ces frais découlent de l’application de l’article 47.5 du Code. Il est ajouté aux frais d’avocat, les frais actuariels engagés par les plaignantes.
Le TAT, conformément à la jurisprudence, a cependant refusé d’indemniser les plaignants pour le temps consacré à la préparation de leur dossier.
Finalement, chacune des plaignantes se sont vu accorder une somme de 20 000$ à titre de dommages moraux pour les troubles tracas et inconvénients qui ont découlé des agissements discriminatoires du syndicat. Dans le cas de dommages moraux, le juge rappelle qu’il n’est pas nécessaire de démontrer un abus de droit.
Le syndicat a tenté de faire assumer une partie des dommages par l’employeur. Cependant, le juge a conclu que bien que l’employeur soit une des parties à l’entente de restructuration, le recours des plaignantes ne peut viser que le syndicat. C’est dans les agissements du syndicat afin d’éponger sa part du déficit actuariel que le Tribunal a déterminé qu’il y avait eu une contravention à son devoir de juste représentation. Aucune responsabilité de la part de l’employeur n’a été engagée.
Toute cette affaire amène un éclairage complet sur les mesures de réparation que peut demander un salarié victime d’un manquement au devoir de représentation du syndicat. Il s’agit également d’une mise en garde importante pour le mouvement syndical lorsque surviennent des choix difficiles dans le cadre d’une négociation. Un syndicat ne peut, sans raison, réduire ou sacrifier les conditions de travail d’une minorité de ses membres afin de satisfaire la majorité. La discrétion du syndicat doit se justifier et ne peut être utilisée arbitrairement.
[1] Loiseau et Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP), 2019 QCTAT 332
[2] Loiseau et Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP), 2018 QCTAT 2211
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