Par Me Mylène Lafrenière Abel
Dans notre régime de droit, les syndicats bénéficient d’un monopole de représentation. Ils sont les seuls à pouvoir négocier, au nom des salariés de l’unité de négociation, les conditions de travail et les seuls à pouvoir soumettre à l’arbitrage les litiges qui découlent de l’application de la convention collective. Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. La jurisprudence a donc, au fil de temps, imposé aux syndicats un devoir de juste représentation, désormais codifié à l’article 47.2 du Code du travail :
Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
Si un ou une salarié.e considère que son syndicat a manqué à son devoir de représentation, cette personne pourra alors déposer une plainte à l’encontre de celui-ci. Elle aura le fardeau de démontrer que le syndicat a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire, ou alors qu’il a fait preuve de négligence grave à son endroit. Si la personne plaignante obtient gain de cause, elle aura le droit de porter sa réclamation devant un arbitre de griefs.
Qu’en est-il d’une personne salariée qui n’est plus à l’emploi de l’entreprise?
Cette personne peut-elle déposer une plainte à l’encontre de son syndicat? La règle est la suivante : pour exercer un recours contre le syndicat, le ou la salarié.e doit être compris dans l’unité de négociation au moment du dépôt de sa plainte, sans quoi elle pourrait être jugée irrecevable.
C’est la conclusion à laquelle en arrive le TAT dans la décision Meunier et Syndicat des salarié-e-s de Baxters Canada inc. (CSN)[1] en 2016. Dans cette affaire, le plaignant avait été informé de la perte de son emploi en 2010. Il a déposé une plainte contre son syndicat deux mois plus tard, laquelle fût rejetée. La demande de révision déposée par le plaignant fut également rejetée et il ne s’est pas pourvu en contrôle judiciaire à l’encontre de cette dernière décision. En réponse au dépôt de nouvelles plaintes à l’encontre du syndicat, ce dernier demande le rejet sommaire, arguant que le plaignant n’est plus un salarié de l’entreprise depuis 2010. Dans les motifs de sa décision, le juge administratif Alain Turcotte précise qu’après l’expiration du délai pour contester la décision en révision, le plaignant n’avait plus aucun recours : « la conséquence est simple : en 2015, le plaignant n’est plus dans l’unité de négociation du Syndicat. Ce dernier n’a plus aucune obligation envers lui »[2].
Récemment, le TAT a dû réexaminer cette question dans l’affaire Xu c. Syndicat national des employés de Velan (CSN)[3]. Dans ce dossier, le plaignant travaillait comme machiniste depuis 2006, et le 19 juin 2017, il a été victime d’un accident de travail. En août 2019, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) constate qu’il est impossible de lui déterminer un emploi convenable à temps complet et informe le plaignant qu’il recevra une indemnité de remplacement de revenu jusqu’à 68 ans. Son emploi prend alors fin à ce moment, conformément aux dispositions de la convention collective en vigueur chez son employeur.
Or, en novembre de la même année, le syndicat et l’employeur signent une lettre d’entente dans le cadre de la négociation entourant un important projet de restructuration de l’entreprise, laquelle prévoit notamment des indemnités de départ pour la renonciation à l’emploi de certains salariés volontaires. Le plaignant demande au syndicat d’obtenir cette indemnité, mais celui-ci, après plusieurs mois de vérifications, l’informe qu’il n’a pas droit à celle-ci et qu’aucun recours n’existe pour contester cette décision de l’employeur. Le plaignant, mécontent de cette réponse, décide de déposer une plainte à l’encontre du syndicat l’accusant d’avoir manqué à son devoir de juste représentation.
Dans les motifs de sa décision, la juge administrative Anick Chainey conclut que le salarié ne remplit pas les conditions d’exercice du recours et ne peut donc pas déposer de plainte à l’encontre du syndicat. Le Tribunal constate qu’à compter du 27 août 2019, le plaignant savait que son emploi avait pris fin et qu’il n’a effectué aucune démarche auprès de son syndicat pour contester cette terminaison d’emploi. Ce faisant, lorsqu’il interpelle le syndicat en novembre 2019, il n’est plus un salarié au sens du Code du travail. Or, l’une des conditions d’ouverture du recours à l’encontre du syndicat requiert d’être un salarié compris dans l’unité de négociation. La juge conclut donc que sa plainte est irrecevable.
Ce raisonnement ne doit cependant pas nous amener à conclure qu’un syndicat n’a jamais d’obligation envers un.e salarié.e qui n’est plus à l’emploi de l’entreprise. Tel que l’a déjà précisé la Cour suprême du Canada, dans certains cas, une « obligation résiduelle de représentation » à l’égard d’employés ayant cessé de travailler pourrait s’imposer au sujet de problème découlant de leur période d’emploi[4]. Une telle obligation pourrait exister envers des ex-salariés retraités lorsque leurs situations juridiques se seraient constituées alors qu’ils étaient actifs au sein de l’entreprise[5].
[4] Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57, 2002 CSC 44, par. 21.
[5] Claude TARDIF, « Les droits des retraités à l’intérieur des rapports collectifs de travail? » dans S.F.C.B.Q., Développement récents en droit du travail, vol. 293, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, 261, à la p. 279.
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