Dans la décision Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Construction Favco inc., 2024 QCCQ 7460, (j.c.q. Chantal Beaudin), la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (ci-après, « CNESST ») réclame au nom du salarié la somme de 2 500 $ à titre de préavis de fin d’emploi. L’employeur conteste la réclamation au motif que le salarié a volontairement quitté son emploi, en plus d’avoir commis une faute grave justifiant son congédiement sans préavis.
Au cours de l’instruction, la CNESST s’oppose à l’admissibilité en preuve de captures d’écran de multiples messages instantanés échangés entre le salarié et des tiers à partir de sa messagerie personnelle. C’est dans ce contexte que le Tribunal doit décider si le salarié avait des attentes raisonnables en matière de vie privée alors qu’il utilisait l’ordinateur de son employeur.
Les faits pertinents au litige sont les suivants : ayant été embauché par l’employeur afin de restructurer l’entreprise, notamment afin de la rendre plus rentable, l’employeur fournit un ordinateur de travail au salarié, qui possède déjà lui-même sa propre entreprise. Au cours de la période de travail concernée, le salarié relate que le président et administrateur de l’entreprise devient de plus en plus impatient, qu’il fait des crises de nerfs au bureau et qu’il crie contre les chargés de projet et, à un moment donné contre lui. Le salarié relate qu’à la suite de ces évènements, il rencontre le président de l’entreprise et l’informe qu’il entend quitter son emploi à une date ultérieure afin de finaliser de gros contrats. Toutefois, à peine quelques jours plus tard, l’employeur demande à rencontrer le salarié puisqu’il allègue que ce dernier travaille déjà pour quelqu’un d’autre, ce qu’il ne peut pas tolérer. Il lui demande alors de remettre son ordinateur et de quitter.
Le salarié explique que, pour les fins de son travail et de sa propre entreprise, il utilise l’ordinateur fourni par l’employeur à cet effet, ainsi que pour des fins personnelles, et ce, à la connaissance de l’employeur. Il n’existe aucune politique formelle sur l’utilisation des ordinateurs de l’entreprise. C’est dans ce contexte que l’employeur admet avoir ouvert de nombreuses conversations personnelles du salarié à partir de son propre ordinateur puisqu’un compte commun Google lui permet d’y accéder et d’en recevoir les alertes. L’employeur remonte le fil de ces conversations sur plusieurs années par curiosité et se rend compte que des tiers, incluant un compétiteur, feraient de la gestion de projet avec son employé. Des captures d’écran des messages personnels sont prises et l’employeur cherche à les introduire en preuve.
Le Tribunal rappelle que l’alinéa 1 de l’article 2858 du Code civil du Québec prévoit que le tribunal doit rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. En l’espèce, la preuve démontre que le salarié est autorisé à utiliser accessoirement l’ordinateur fourni pour son travail à des fins personnelles. Ainsi, le salarié utilisant son compte de messagerie personnel uniquement à des fins privées a, dès lors, une expectative raisonnable de respect de sa vie privée à l’égard de ce compte.
En l’absence de faute ou de soupçons quant à un conflit d’intérêts ou un manquement à son devoir de loyauté, l’employeur n’avait pas de motif rationnel lui permettant d’outrepasser les droits fondamentaux de son employé. De l’avis du tribunal, l’employeur n’avait aucun reproche à lui faire pendant qu’il était à son emploi. Le tribunal ne peut avaliser une preuve acquise sans droit, en contravention grave et répétée à la protection de la vie privée de son employé, et ce, sans justification autre que la curiosité de l’employeur. En raison de la gravité de la violation du droit à la vie privée, l’administration de la justice serait déconsidérée si le tribunal n’écarte pas cette preuve et ne se dissocie pas de cette conduite.
Dans les circonstances, le droit à la vie privée du salarié a été violé et les captures d’écran sont jugées inadmissibles en preuve. La réclamation quant à son préavis de fin d’emploi est également accueillie.
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