PAR ME NADER AL-KURDI ET ME GENESIS R. DIAZ
SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal c. Murwanashyaka, 2023 QCTAT 3481
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jzgjr>
L’employeur demande que le travailleur soit déclaré quérulent et qu’il lui soit interdit d’introduire une affaire devant le Tribunal administratif du travail (ci-après, « TAT »), à moins d’obtenir une autorisation préalable de celui-ci pour ce faire, le tout en vertu du paragraphe 2.1 de l’article 9 de la Loi instituant le tribunal administratif du travail (ci-après, « paragraphe 2.1 ») entré en vigueur le 6 octobre 2021.
Le travailleur plaide que seuls les faits survenus après le 6 octobre 2021 doivent être pris en compte. Il précise que le contraire donnerait au paragraphe 2.1 un effet rétroactif interdit, car le législateur n’a pas spécifiquement prévu cet effet dans la loi. Il ajoute qu’il n’a pas abusé de son droit d’agir en justice.
Après examen de la jurisprudence et de la doctrine, le TAT conclut que le législateur ne voulait pas restreindre l’application du paragraphe 2.1 à une période spécifique puisqu’il n’a rien mentionné explicitement dans la loi à ce sujet. Étant donné que les faits soulevés par l’employeur sont survenus à la fois avant et après l’entrée en vigueur du paragraphe 2.1, celui-ci est d’application immédiate et s’applique à une situation juridique en cours. Il n’est pas question ici d’application rétroactive, car les faits pertinents n’étaient pas entièrement accomplis le 6 octobre 2021. L’analyse de la conduite du travailleur n’est donc pas limitée aux faits survenus depuis le 6 octobre 2021.
Le TAT juge que le comportement du travailleur est vexatoire et quérulent : à travers plusieurs années de procédures judiciaires dont le résultat est le cumul de 15 décisions (sans compter des décisions issues de révisions administratives), il a fait montre d’opiniâtreté notamment en invoquant toujours les mêmes faits et concepts juridiques malgré les nombreuses décisions négatives. Il a aussi multiplié des recours à caractère vexatoires, excessifs et déraisonnables. Ces recours ont donné lieu à sept décisions de première instance, six révisions internes, et une révision judiciaire. Au surplus, le travailleur refuse de respecter l’autorité des tribunaux alors qu’il en revendique pourtant l’utilisation et l’accessibilité. Le TAT conclut que le travailleur utilise son droit d’ester en justice de manière excessive et déraisonnable. Il accapare inutilement les ressources limitées du Tribunal affectant ainsi l’accès à la justice.
Le TAT déclare donc qu’il est approprié, et même nécessaire, d’encadrer le droit du travailleur d’introduire de nouveaux recours pour éviter tout exercice excessif ou déraisonnable de son droit d’ester en justice, sans pour autant le priver de ce droit ou d’accéder au Tribunal.
Burnbrae Farms Limited et Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, FAT-COI-CTC-FTQ-TUAC, section locale 1991-P (grief patronal), 2023 QCTA 327
Disponible sur SOQUIJ.
Le syndicat est accrédité le 15 novembre 2021. Il entreprend donc la négociation de la première convention collective avec l’employeur. Certaines difficultés persistent et un arbitre de différends est nommé par le Ministre du travail. Selon le syndicat, l’employeur aurait modifié plusieurs propositions paraphées avant sa nomination, ainsi que d’autres propositions émises avant et après cette nomination, au cours de leurs séances de négociations.
Le syndicat allègue que la négociation d’une première convention collective implique des obligations de diligence et de bonne foi pour les parties. Le fait pour l’employeur de modifier sans raison particulière sa position au sujet des textes déjà paraphés au moment de la nomination de l’arbitre ou de remettre en question des propositions formelles présentées avant ou après cette nomination constitue de la mauvaise foi de sa part. Il est d’avis que l’article 93.7 du Code du travail impose au tribunal d’arbitrage de consigner au dossier toute entente convenue entre les parties avant la nomination de l’arbitre.
L’employeur considère que l’exercice de négociation d’une première convention collective doit être repris dans son entièreté dès lors qu’une demande d’arbitrage de différends est autorisée par le Ministère du travail puisque cet exercice ne peut porter seulement sur un ou quelques fragments de la convention collective. L’employeur ne peut avoir reculé sur ses positions puisqu’aucune convention collective n’existe, et dans ce contexte, s’intéresser aux discussions préalables à la nomination de l’arbitre serait inapproprié.
L’arbitre rejette l’argument patronal selon lequel il faut faire table rase des échanges qui précèdent sa nomination. Une telle approche est difficile à concilier avec la négociation collective qui est un exercice évolutif où l’arbitre, conformément à l’article 93.7 du Code du travail, doit considérer les textes de la convention faisant l’objet d’une entente expresse avant sa nomination comme réglés et conséquemment consignés à la sentence arbitrale qui déterminera le contenu de cette convention. Cependant, la question de la modification des textes paraphés préalablement à la nomination de l’arbitre ne s’analyse pas sous l’angle des règles exigeant la tenue de négociations de bonne foi. Il s’agit d’une question qui concerne plutôt l’étendue du mandat de l’arbitre : celui-ci demande aux parties de lui faire part des textes déjà réglés afin qu’il puisse se focaliser sur les textes qui ne le sont pas.
La négociation collective est un processus constitué d’échanges et de propositions dont la nature évolutive peut amener à des changements d’approches en raison de motifs légitimes. Une partie peut modifier son point de vue pour s’adapter à une nouvelle réalité ou sortir d’une impasse, faisant ainsi progresser les discussions. Limiter le droit de l’employeur de modifier les positions qu’il a exprimées dans le passé et qui ne font pas l’objet d’ententes formelles, que ce soit avant ou après la nomination de l’arbitre, va à l’encontre de la nature même du processus de négociation.
L’arbitre permet donc au syndicat de faire la preuve des ententes formelles étant intervenues entre les parties dans le cadre de la négociation collective.
Syndicat des travailleuses et travailleurs du CRSSS de la Baie-James c. Clément, 2023 QCCS 3241
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jzt28>
Dans le cadre d’une plainte pour manquement au devoir de juste représentation dans laquelle l’employeur était mis en cause, le syndicat admet, la veille de l’audience, qu’il a manqué à ce devoir et annonce au Tribunal administratif du travail (ci-après, « le TAT ») qu’il n’a pas de moyen de défense à présenter. L’audience est tout de même maintenue et le syndicat y est absent.
Durant celle-ci, l’employeur réclame à titre de dommages le remboursement des frais et honoraires encourus pour ses représentations, car il considère que le comportement du syndicat constitue un abus de procédure. Le TAT rejette cette réclamation, car il estime qu’elle est de la nature d’une demande en dommages et intérêts qui ne relève pas de sa compétence. L’employeur dépose donc un grief patronal visant l’obtention de cette même réclamation à un arbitre de grief, et le grief est accueilli. Le syndicat se pourvoi en contrôle judiciaire de la sentence arbitrale accueillant ce grief patronal auprès de la Cour supérieure.
Le syndicat reproche à l’arbitre de s’être accordé une compétence matérielle pour entendre le grief patronal. Selon lui, l’arbitre a erré en décidant que le comportement du syndicat était relié à la relation employeur-employé régie par la convention collective. Le syndicat est plutôt d’avis que l’essence du grief provient de la plainte initiale d’une salariée pour manquement au devoir de juste représentation, laquelle ne trouve aucun rattachement à la convention collective. L’arbitre n’ayant pas compétence pour entendre cette plainte, il n’en a pas non plus pour entendre le grief portant sur le remboursement des frais et honoraires qui en ont résulté. L’employeur à l’inverse est d’accord avec l’arbitre lorsque ce dernier indique que le grief relève de l’application, l’interprétation ou de l’exécution de la convention collective dans son essence.
La Cour supérieure juge que le grief découle du comportement du syndicat lors de la procédure d’une salariée concernant le manquement au devoir de juste représentation devant le TAT et ainsi le recours de l’employeur repose non pas sur un exercice abusif de la procédure de grief, mais bien sur le comportement du syndicat lors de l’application d’une disposition du Code du travail, c’est-à-dire l’article 47.3 de ce Code. L’arbitre n’a donc pas respecté toutes les contraintes juridiques et factuelles pertinentes lorsqu’il a rendu sa sentence. S’il l’avait fait, sa conclusion quant à l’essence du litige aurait été différente.
Vu que la seule conclusion raisonnable au sujet de la compétence de l’arbitre est que le grief patronal ne relève pas de la compétence du Tribunal d’arbitrage, la Cour supérieure juge qu’il est inutile de renvoyer ce grief à un arbitre et accueille donc le moyen de révision relatif à sa compétence.
La sentence arbitrale est annulée et le grief patronal est rejeté.
Syndicat du personnel enseignant du campus de Saint-Lawrence et Cégep Champlain-St. Lawrence (Lisa Birch), 2023 QCTA 256
Disponible sur SOQUIJ
La plaignante dépose trois griefs alléguant notamment qu’elle est victime d’harcèlement psychologique et que l’employeur ne lui a pas fourni un milieu de travail sécuritaire. L’employeur invoque un moyen préliminaire relatif à la compétence du Tribunal d’arbitrage.
Selon l’employeur, étant donné que la majorité des allégations concernent des faits survenus exclusivement dans le contexte des activités du conseil d’établissement du Cégep Champlain-St. Lawrence (ci-après, « collège ») dont la plaignante est membre, et non pas dans le cadre de son statut de salariée, le Tribunal d’arbitrage n’a pas compétence pour entendre les griefs. Lorsque la plaignante siège au conseil d’établissement, elle bénéficie d’un statut différent du fait qu’elle exerce des activités totalement étrangères à celles qu’elles exercent chez l’employeur. Dans un tel contexte, il n’existe pas de hiérarchie entre eux. Les membres du conseil ne sont pas tous des employés et l’employeur n’a donc aucun contrôle sur ceux-ci ni sur leurs activités. Il argue qu’un code d’éthique régit leurs rapports, ce qui rend la convention collective inapplicable, et que ladite convention ne mentionne pas expressément le conseil d’établissement.
Le syndicat souligne que l’employeur a l’obligation de protéger ses salariés en tout temps et plaide que la présence de la plaignante au conseil d’établissement est tributaire de son statut de salariée : il existe donc un lien entre elle et l’employeur qui permet l’intervention dudit employeur. La procédure de grief trouve application dans un tel contexte, et l’employeur ne peut se soustraire à l’application de dispositions d’ordre public en invoquant simplement que les faits se sont produits ailleurs que sous sa supervision directe. Aussi, les faits en question entraînent des répercussions sur le milieu de travail.
Le Tribunal rappelle que la responsabilité d’un employeur peut être engagée pour des incidents survenus à l’extérieur du lieu et des heures de travail, là où l’application de la loi n’est pas empêchée, tant que les évènements en cause ont une relation directe avec le travail. Il rejette la position de l’employeur, car l’application de dispositions d’ordre public qu’il propose est trop rigide.
Il note également que plusieurs des allégations de la plaignante visent le directeur du collège. Or, tous deux détiennent des postes au sein du conseil qui requièrent qu’ils soient à l’emploi du collège. Ainsi, n’eut été de leurs postes respectifs, la plaignante et le directeur ne participeraient pas aux activités du conseil, activités qui sont intimement liées à leur travail dans la mesure où le conseil d’établissement prend plusieurs décisions ayant une incidence directe sur le collège. L’employeur a l’obligation de fournir un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement, et ce même lorsque la sécurité des salariés est compromise à la suite de faits survenus à l’extérieur du milieu de travail.
Le tribunal rejette donc le moyen préliminaire de l’employeur et déclare avoir compétence pour statuer sur les griefs.
POLICIERS ET POLICIÈRES
Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3333
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jzxkv>
La Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement, L.Q. 2017 c. 20 (ci-après, la « Loi 20 ») s’attaque au moyen de pression auquel les policiers et policières du Québec ont généralement eu recours depuis plusieurs décennies, en l’occurrence la substitution ou d’altération de différents éléments de leurs uniformes.
Les associations syndicales contestent la constitutionnalité des articles 263.2, 263.3, 313.1 ainsi que du deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police tels qu’adoptés dans le cadre de la Loi 20. Elles plaident que ces dispositions créent une interdiction totale de modifier les uniformes de travail des policiers comme moyens de pression de sorte que ces articles portent une atteinte injustifiée à la liberté d’expression de ses membres, en plus d’entraver substantiellement à leur liberté d’association, protégées par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne.
D’abord, pour la Cour supérieure, nul doute que les dispositions interdisant la substitution ou l’altération de l’uniforme portent atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte : « en restreignant ces moyens de pression qui constituent des activités expressives, les dispositions de la Loi 20 emportent une restriction sur le contenant et le contenu du message, tant par l’objet que par ses effets ». De plus, les policiers s’exposent à des amendes importances de l’ordre de 500 $ à 3 000 $, qui double en cas de récidives.
Ensuite, au regard de la preuve entendue, la Cour conclut que les moyens de pression liés à la substitution ou l’altération de l’uniforme jouissent d’une grande importance dans le processus de négociation des policiers et policières au Québec depuis 40 ans. Par ailleurs, ce moyen de pression s’est avéré, au fils des ans, particulièrement efficace pour attirer l’attention des médias et pour transmettre un message dans la sphère publique. Dans ce contexte, la Cour juge que les dispositions contestées constituent une entrave substantielle au droit collectif des policiers à une consultation et à une négociation menée de bonne foi.
Finalement, la Cour conclut que les interdictions prévues par la Loi 20 ne peuvent se justifier en vertu de l’article premier de la Charte et doivent être annulées en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
La Cour supérieure estime que l’annulation doit prendre effet immédiatement en l’absence de motifs pouvant justifier une suspension des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité.
Le cabinet RBD représentait la Fédération et la Fraternité dans ce dossier.
Un résumé plus détaillé du jugement est disponible au lien suivant.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Rien à signaler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Rien à signaler.
ARTISTES
Rien à signaler.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
Cousineau c. R., 2023 QCCA 1054
Disponible ici: <https://canlii.ca/t/jzrkn>
L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un verdict le déclarant coupable d’agression sexuelle. Au procès, l’appelant avançait que la plaignante avait consenti par ses gestes et qu’à défaut le comportement de celle-ci donnait lieu à une croyance sincère, mais erronée du consentement communiqué de l’appelant. Le juge de première instance a indiqué ne pas croire l’appelant, mais retenir la version de la plaignante et a considéré que la preuve ne soulevait aucun doute raisonnable. L’appelant soulève plusieurs moyens, le principal étant que le juge de première instance n’a fait aucune analyse de la question du consentement.
De l’avis de la Cour, l’appelant a raison. Le jugement de première instance est silencieux sur la question du consentement alors que les parties l’ont placé au cœur du débat. La Cour ne peut retenir l’argument du ministère public voulant que puisqu’il s’agit d’une question de crédibilité et que la version de la plaignante est retenue, il en est de même pour l’absence de consentement. Il devait y avoir une analyse sur le consentement puisqu’elle était la question centrale du débat, de l’aveu des parties. Le jugement est déficient à cet égard et aurait dû analyser le consentement, d’abord à par de l’actus reus et par la suite par la mens rea. Plusieurs éléments de la preuve peuvent être considérés à l’une ou à l’autre étape de cette analyse. Même en écartant complètement la version de l’appelant, n’étant pas toujours requis pour évaluer les versions contradictoires, et en ne retenant que celle de la plaignante, certains éléments du témoignage pourraient être considérés afin de déterminer si la preuve soulève un doute sur l’absence de croyance sincère, mais erronée de l’appelant que la plaignante a manifesté son accord à l’activité sexuelle.
L’appel est accueilli. Un nouveau procès est ordonné.
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