PAR ME NADER AL-KURDI ET ME KIM SIMARD
SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Patenaude et Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, 2023 QCTAT 2384
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jxgkf>
La travailleuse exerce l’emploi de professeure d’anglais en contexte de pandémie COVID-19. Dans ce contexte, celle-ci est contrainte de passer à un mode d’enseignement qui lui impose des changements reliés aux règles sanitaires émises par le gouvernement. Elle allègue que ces changements ont entrainé des complications et tensions dans son milieu de travail qui constitue un évènement imprévu et soudain ayant donné lieu à un accident de travail sous forme de lésion psychologique, soit un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Elle demande au tribunal d’infirmer le refus initial de sa réclamation par la CNESST, qui a maintenu sa décision en révision administrative.
L’employeur s’oppose à la demande de la travailleuse en invoquant que les évènements qu’elle a vécus ne dépassent pas le cadre normal et habituel du travail et donc que le Tribunal ne peut pas considérer qu’elle fut victime d’un accident de travail. De plus, le fait que les évènements se soient produits sur une très courte période milite en défaveur de l’établissement d’un lien causal entre la lésion psychologique et les évènements.
Après une analyse des critères jurisprudentiels servant à la reconnaissance de la survenance d’un évènement imprévu et soudain, le tribunal établit que le fait qu’un évènement sorte du cadre normal et habituel du travail est un élément parmi d’autres qui peut contribuer à démontrer qu’un évènement était imprévu, mais ne constitue cependant pas une condition sine qua non de cette reconnaissance.
Le tribunal juge que le manque de collaboration inattendu des autres professeurs, le passage à l’enseignement sur « chariot » et ses conséquences, ainsi que le fait que la travailleuse fut empêchée de parler de ses difficultés à ses collègues durant une réunion d’équipe sont des évènements qui pris dans leur ensemble constituent un évènement imprévu et soudain. Il juge également que ces évènements sont « attribuables à toute cause » ou survenus par le fait ou à l’occasion du travail. Au surplus, le tribunal estime que bien que les évènements se soient produits sur une courte période, la preuve prépondérante démontre qu’ils constituent la cause la plus probable de la lésion psychologique.
Le tribunal déclare donc que la travailleuse a subi une lésion professionnelle dont le diagnostic est un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive et qu’elle a droit aux bénéfices y afférents.
Pierre-Jacques et CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (Hôpital général juif Sir Mortimer B.), 2023 QCTAT 2019
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx2sp>
Le travailleur est préposé aux bénéficiaires au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. En effectuant le transfert d’un patient, il subit une lésion professionnelle dont le diagnostic est une entorse lombaire et qui l’a laissé avec des limitations fonctionnelles. Il est déterminé que son emploi prélésionnel ne respecte pas ses limitations fonctionnelles.
La CNESST rend deux décisions dans son dossier. La première indique que le travailleur n’est plus capable d’exercer son emploi et qu’il lui est impossible de déterminer un autre emploi convenable chez l’employeur. La seconde indique que l’emploi de livreur de petits colis est un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer. Celui-ci conteste ces deux décisions après en avoir demandé sans succès la révision par la CNESST.
Le travailleur allègue que la première décision est prématurée, car l’employeur a fait défaut de remplir son obligation d’accommodement raisonnable, et invoque subsidiairement que l’emploi de livreur de petits colis n’est pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après « LATMP »).
L’employeur demande le maintien des décisions de la CNESST : il estime qu’il a rempli son obligation d’accommodement raisonnable et que l’emploi de livreur de petits colis est un emploi convenable au sens de la LATMP.
Le tribunal détermine que les nouvelles dispositions relatives à la réadaptation professionnelle de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (ci-après, « LMRSST »), entrées en vigueur après la survenance de la lésion professionnelle et du processus de réadaptation, mais en vigueur durant l’audience, doivent être appliquées de façon rétrospective puisque des effets juridiques sont en cours au moment de son entrée en vigueur.
Alors qu’auparavant, la CNESST ne pouvait que « demander » à l’employeur s’il disposait d’un emploi convenable, les nouvelles dispositions de la LMRSST prévoient que c’est maintenant la CNESST qui détermine s’il existe un emploi convenable chez lui. Or, la CNESST a appliqué les dispositions antérieures de la LMRSST durant le processus de réadaptation professionnelle. De plus, il ressort de la preuve que même en appliquant les anciennes dispositions, l’obligation d’accommodement n’a pas été prise en compte avant de conclure qu’il était impossible de déterminer un emploi convenable chez l’employeur.
Le tribunal accueille la contestation de la première décision de la CNESST en déclarant que le dossier du travailleur doit être retourné à celle-ci pour qu’il soit déterminé s’il existe ou non un emploi convenable chez l’employeur, et ce en appliquant les nouvelles dispositions de la LMRSST. Il annule donc la deuxième décision de la CNESST, selon laquelle l’emploi de livreur de petits colis est un emploi convenable, la déclarant prématurée.
POLICIERS ET POLICIÈRES
Shakamay c. Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), 2023 QCCS 2085
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jxnds>
Le demandeur est un ancien analyste-investigateur de la Sûreté du Québec qui fut congédié. Le syndicat qui le représente conteste son congédiement par grief. Durant les procédures, le demandeur exprime un malaise par rapport à la stratégie de défense du syndicat, notamment quant au refus de ce dernier de déposer certains éléments en preuve. Le congédiement du demandeur est ultimement maintenu, et le syndicat décide de ne pas déposer de demande de contrôle judiciaire.
En réponse, le demandeur dépose ensuite une plainte au Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») contre son syndicat, selon laquelle celui-ci a manqué à son devoir de juste représentation. Cette plainte est déclarée irrecevable du fait qu’elle est déposée hors délai.
Le demandeur intente donc un recours contre le syndicat devant la Cour supérieure alléguant qu’il a commis une faute en ne l’informant pas en temps opportun du délai dont il disposait pour déposer une plainte au TAT concernant le manquement au devoir de juste représentation. Il allègue également dans ce recours que les représentations du syndicat, en réponse à ses questions relatives à des recours possibles à l’encontre de la décision qui maintient son congédiement, sont constitutives d’une faute.
Le syndicat présente à la Cour supérieure une demande de rejet de ce recours. Il est d’avis que le litige relève de la compétence exclusive du TAT, car les questions soulevées par le recours devant la Cour supérieure sont les mêmes que celles devant le TAT et que ce dernier avait compétence exclusive pour trancher la question à savoir si le syndicat a manqué à son devoir de juste représentation.
Le Tribunal indique que bien que la loi prévoie expressément que la question du manquement à l’obligation de juste représentation est dévolue au TAT, la Cour d’appel reconnait que la Cour supérieure est compétente pour entendre une demande en dommages et intérêts où il est allégué qu’un syndicat a fait perdre au demandeur la possibilité de faire valoir un droit par sa négligence. Plus précisément, la jurisprudence indique qu’un recours civil demeure possible pour sanctionner le comportement inadéquat d’un syndicat, mais seulement lorsque des remèdes utiles furent rejetés en raison de la négligence d’un syndicat.
Le tribunal considère qu’il est possible qu’un juge de la Cour supérieure puisse conclure que le demandeur a perdu son droit de faire examiner les mérites de sa plainte relative au manquement au devoir de juste représentation s’il est prouvé que le syndicat a sciemment omis d’informer le demandeur du délai de dépôt d’une telle plainte pour s’en protéger. La prudence exige que la cause soit entendue au mérite : la demande de rejet est donc rejetée.
Le cabinet RDB représentait le syndicat dans ce dossier.
Marois c. Hillinger, Cour du Québec, 500-80-043945-238, 6 juillet 2023, (Jean-François Roberge, J.C.Q.)
Disponible ici
Dans cette affaire, la policière a déposé une déclaration d’appel à l’encontre d’une suspension de huit (8) jours qui lui a été imposée par le Comité de déontologie policière. Le chef de citation lui reprochait d’avoir effectué une enquête incomplète à la suite d’un accident de la route.
À la suite de la réception de cet avis d’appel, la Commissaire à la déontologie policière avait déposé une demande en rejet d’appel, en faisant valoir que l’appel entrepris par la policière était frivole et voué à l’échec.
Le juge Jean-François Roberge de la Cour du Québec rejette la requête en rejet d’appel de la Commissaire. Il affirme que la policière présente des arguments défendables juridiquement et que le recours n’est pas manifestement voué à l’échec. Le juge Roberge conclut que les arguments présentés par la policière, en particulier celui à l’effet que le Comité ait considéré « particulièrement aggravant » la demande d’intenter des procédures à l’égard des plaignants, devraient bénéficier d’une audition complète sur le fond.
Le cabinet RBD représentait la policière dans ce dossier.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Rien à signaler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Isabelle c. Régie des services de sécurité incendie regroupés de la MRC de Maskinongé, 2023 QCTAT 2452
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jxj9p>
Le plaignant occupe un poste de cadre au sein de la Régie des services de sécurité incendie regroupés de la MRC de Maskinongé (ci-après « la Régie »). Il allègue être victime d’une destitution déguisée au sens du Code municipal en raison de l’imposition unilatérale par la Régie de nouvelles conditions de travail. Il demande au tribunal de conclure que la Régie a fait montre de mauvaise foi depuis son embauche et qu’elle a manifesté la volonté de ne plus être lié à lui contractuellement par le cumul de gestes vexatoires et abusifs.
En effet, selon lui la Régie agit de mauvaise foi de façon répétée durant la négociation de son contrat de travail afin de provoquer son départ. Cette conduite se traduit ultimement par l’imposition d’un contrat de travail qui modifie substantiellement les conditions de travail.
La Régie allègue ne jamais avoir agi de mauvaise foi puisque tous les projets de contrat de travail soumis au plaignant tenaient compte de la nouvelle structure et besoins opérationnels de son organisation.
Le tribunal considère qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances conclurait que la Régie cherchait à se départir des services du plaignant. La preuve démontre que la Régie n’a jamais réellement voulu négocier un contrat de travail qui respecte le cadre juridique en vigueur entre les parties, selon lequel le plaignant avait droit à des conditions de travail au moins équivalentes aux conditions qu’il avait dans son emploi antérieur. À travers les négociations, la Régie ignore les demandes légitimes du plaignant et lui soumet des projets de contrat qui de toute évidence ne pouvaient le satisfaire, du fait notamment qu’ils comprennent des reculs importants entre autres au niveau salarial. Ces modifications touchent des conditions essentielles des contrats de travail dont bénéficiait le plaignant par le passé. La Régie n’a pas su justifier l’inclusion de modifications et clauses moins avantageuses aux projets de contrats proposés au plaignant.
Certains autres faits postérieurs aux négociations révèlent également la volonté de la Régie de ne plus être liée par contrat au plaignant : l’instauration d’une nouvelle procédure qui limite grandement le nombre d’interventions du plaignant lui causant ainsi des pertes financières, le fait que des tâches soient directement confiées à un employé qui relève de l’autorité directe du plaignant, la décision du conseil d’administration de ne pas le nommer substitut du directeur des incendies en cas d’absence, et le fait qu’on lui retire la gestion du personnel et du système d’alarme d’une caserne.
Le tribunal accueille la plainte pour destitution déguisée.
Syndicat des pompiers et pompières du Québec (Section locale Saguenay – SCFP 7171) c. Saguenay (Ville), 2023 CanLII 51430 (QC SAT)
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jxn9l>
Dans cette affaire, la convention collective prévoit que des pompiers au statut temporaire sont inscrits sur une liste de progression et qu’une priorité dans le rappel au travail est octroyée aux six premiers pompiers temporaires inscrits sur cette liste lors de la distribution des heures de travail. L’octroi du rappel au travail pour ces six pompiers est effectué selon l’ancienneté entre eux. Pour les autres pompiers temporaires, le rappel au travail est octroyé en fonction de l’équité. L’employeur conteste par grief un mot d’ordre du Syndicat demandant aux officiers syndiqués de ne pas suivre cette procédure administrative.
L’employeur considère que la règle « Obéir maintenant, se plaindre ensuite » devait être respectée, et qu’elle fut transgressée par le Syndicat qui a voulu se faire justice lui-même en contrevenant aux dispositions claires de la convention collective sur la distribution des heures de travail alors qu’aucun grief n’a été déposé par celui-ci pour contester l’application de ces dispositions. Le Syndicat ne peut écarter unilatéralement les paramètres de la procédure du seul fait qu’il ne les considère pas appropriés.
Le Syndicat estime que la convention collective est silencieuse sur l’octroi du rappel au travail pour les pompiers temporaires aux rangs précédents les six premiers sur la liste de progression, et que cette matière tombe donc dans les droits de direction résiduaires de l’employeur. Or, considérant les préjudices subis par ces pompiers temporaires l’employeur fait défaut d’utiliser ses droits de direction de manière raisonnable et de bonne foi.
Le tribunal tranche en indiquant que le défaut du Syndicat de se conformer à la procédure préexistante constitue un refus d’obéir et que les conditions pour se soustraire au devoir d’obéir sont absentes : s’il jugeait que l’application de la procédure de rappel des pompiers temporaires était déraisonnable et empreinte de mauvaise foi, il devait contester cette application par procédure de grief. Étant donné que le grief demeurait un recours accessible et susceptible de produire des effets, rien ne justifiait le Syndicat de se faire justice lui-même en refusant de respecter la discrétion dévolue à un employeur. En agissant ainsi, le Syndicat usurpe les droits de direction de l’employeur.
Le tribunal accueille donc partiellement le grief patronal en déclarant que Syndicat contrevient à la convention collective par son mot d’ordre et lui ordonne de cesser de contourner la méthode de rappel au travail établie.
ARTISTES
Rien à signaler.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
R. c. Guay, 2023 QCCQ 3564
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jxld2>
Dans cette affaire, les coaccusés sont policiers au SPVM et font face à des accusations de séquestration, menaces et de voies de fait dans l’exercice de leurs fonctions à l’égard d’une personne itinérante.
Plus spécifiquement, après une interpellation par des superviseurs pour un méfait, le plaignant est confié aux accusés. La version du plaignant est à l’effet que les accusés se rendent au PDQ20 à deux reprises pour aller chercher un sac poubelle. Un des coaccusés aurait enfilé le sac par-dessus la tête du plaignant et lui aurait fixé autour de la tête avec du ruban adhésif aidé par l’autre coaccusé et ce, de manière à lui obstruer la vue. Ensuite, il est conduit à un endroit lui étant inconnu. Les accusés le font descendre de l’auto-patrouille. Ils le font s’agenouiller à l’arrière du véhicule. On lui dit: « Tu aurais dû nous écouter avant, on n’en serait pas là. », puis il entend un bruit qu’il associe à celui d’une arme à feu que l’on charge avant de ressentir une pression d’un objet derrière sa tête. L’un des accusés mentionne à l’autre: « Tu peux le tirer, j’ai tiré les derniers. ». Ensuite, les accusés lui retirent le sac poubelle fixé sur sa tête et les menottes. Ils l’auraient abandonné en bordure de l’autoroute 40, avant de retourner en direction du centre-ville.
Cette version des faits est niée par les policiers, qui affirment qu’ils ont conduit le plaignant chez un ami qui réside dans l’ouest de l’île en bordure de l’autoroute 40, à sa demande et avec son consentement.
Bien que le tribunal ne croit pas d’emblée la version des accusés et que leur défense laisse le Tribunal perplexe, après une étude complète de la preuve, le Tribunal conclut que leur version à l’effet qu’ils ont conduit le plaignant dans l’ouest de l’Île à sa demande et avec son consentement est plausible. Conséquemment, elle soulève un doute raisonnable. Les co-accusés sont acquittés.
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