Veille juridique du 16 mai 2023

16 mai 2023

 

SECTION DROIT DU TRAVAIL

GÉNÉRAL 

 

Alliance des professionnels et des professionnelles de la Ville de Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 626

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx46g>

Les syndicats appelants portent en appel un jugement rendu par la Cour supérieure le 9 juillet 2020 portant sur la constitutionnalité de la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (ci-après, « Loi 15 »).

Dans le jugement contesté, la Cour supérieure conclut que la Loi 15 ne constitue pas une atteinte substantielle à la liberté d’association des participants actifs parce qu’elle n’empêche pas toute négociation au sujet du régime de retraite. En ce qui a trait aux retraités, elle conclut cependant à une entrave substantielle à leur liberté d’association qui n’est pas justifiée en vertu de la Charte canadienne, car la Loi 15 porte atteinte à leurs droits acquis sans que soit préservé le processus de négociation. Un appel incident est déposé par le procureur général du Québec à l’égard de cette conclusion.

La Cour d’appel, pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrit la juge Gagné, conclut que la Loi 15 constitue une entrave substantielle au droit d’association des participants actifs. D’une part, la Loi 15 touche de façon significative à des aspects cruciaux du régime de négociation dans le secteur municipal. D’autre part, la Loi 15 a un impact important sur le processus de négociation qui entoure la régime des régimes de retraite. En effet, la Loi 15 restreint les sujets qui peuvent être abordés dans le cadre des négociations collectives et modifie le rapport de force des employés dans la négociation des ententes de restructuration. Le caractère permanent des mesures contenues à la Loi 15 renforce le caractère substantiel des ingérences dans la négociation collective.

Selon la Cour, « il faut écarter le raisonnement fondé sur le principe qu’une atteinte à la liberté d’association n’est pas substantielle si un champ de négociation demeure ouvert à des compensations financières futures pour pallier l’atteinte » (paragraphe 129).

Malgré cette conclusion, la Cour d’appel juge que l’atteinte est justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne. Les objectifs de la Loi, lesquels sont d’assainir la santé financière, d’assurer la pérennité des régimes de retraite en cause et de réduire les coûts pour les organismes municipaux, sont des objectifs réels et urgents constitutionnellement valables. Il existe, de plus, un lien rationnel entre les mesures prévues par la Loi 15 et ces objectifs. Finalement, selon la Cour d’appel, la décision de soustraire les mesures de la Loi 15 du champ de la négociation collective tout en préservant une certaine marge de négociation dans le cadre des ententes de restructuration satisfait au critère de l’atteinte minimale.

La Cour d’appel rejette l’appel incident du procureur général du Québec. Elle confirme que « le retrait unilatéral d’un droit issu de la négociation collective, soit l’indexation automatique de la rente, et ce, sans égard aux droits acquis des retraités, combiné à l’absence d’un processus de négociation et d’arbitrage de différends constituent des entraves substantielles à la liberté d’association qui n’est pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne » (paragraphe 241).

Le juge Rancourt, selon ses motifs concourants, est d’avis, tout comme la Cour supérieure, que la Loi 15 n’entrave pas de façon substantielle la liberté d’association des participants actifs.

Les appels et les appels incidents sont rejetés.

 

Groupe CRH Canada inc. c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 1259

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jwvg6>

Dans cette affaire, le groupe CRH se pourvoit à l’encontre d’une décision rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») le 25 novembre 2021. Dans cette décision, le juge administratif Pierre-Étienne Morand a conclu qu’en utilisant les services de madame Racicot en télétravail pendant un lock-out, le groupe CRH avait contrevenu à l’article 109.1 g) du Code du travail.

Selon le TAT, l’utilisation d’un réseau privé virtuel (RVP ou VPN selon l’acronyme en anglais) permet de déployer l’établissement d’un employeur jusqu’à l’espace privé d’où le salarié exécute son travail pour l’employeur.

Or, la Cour supérieure est d’avis que le TAT ne pouvait pas élargir comme il l’a fait la portée de l’article 109.1 g) du Code du travail.  La Cour reproche au juge administratif d’avoir considéré que les enseignements de la Cour d’appel étaient compatibles avec le concept d’« établissement déployé », alors qu’ils ne le sont pas.

Bien que ce motif à lui seul était suffisant pour rendre la décision déraisonnable, la Cour supérieure ajoute que le TAT n’était pas en droit d’inférer, sur la base de la nouvelle réalité imposée par la pandémie de la COVID-19, la nécessité de modifier le sens de l’article 109.1 g) du Code du travail. En le faisant, le juge administratif s’est prévalu d’une démarche qui appartient plutôt au législateur.

Par ailleurs, le TAT a omis de considérer qu’en conséquence de sa décision, le ministre pourrait désormais, sur demande, dépêcher un enquêteur accompagné de plusieurs personnes afin de visiter une résidence privée, y compris celle de madame Racicot, cela en vertu de l’article 109.4 du Code du travail. Cela aurait pour effet de mettre en cause le droit de cette salariée au respect de sa vie privée.

Le pourvoi en contrôle judiciaire est accueilli.

 

Coop Novago c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Coop Lanaudière – CSN, 2023 QCCS 1539

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx4qg>

Dans cette affaire, la Coop Novago se pourvoit à l’encontre d’une décision rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») le 23 mars 2022. Dans cette décision, le juge administratif Bernard Marceau ordonne à l’employeur de cesser et s’abstenir d’utiliser en tout temps et dans ses établissements « physiquement ou virtuellement » les services de certaines personnes (art. 109.1 g) du Code du travail). Le TAT décide que « le télétravail ne doit pas servir de mode virtuel destiné à contourner l’interdiction législative protégée par la loi » (paragraphe 35).

La Cour supérieure est d’avis que le TAT pouvait conclure que les fonctions des salariés de l’unité en grève ne peuvent être remplies à distance, en télétravail, par des employés non syndiqués, sans contrevenir à l’objet de la loi et particulièrement aux dispositions traitant des mesures anti-briseurs de grève. Dans sa décision, le TAT applique le concept d’« établissement déployé » développé dans la décision du juge administratif Pierre-Étienne Morand sans reprendre les passages cruciaux de cette décision afin d’étayer son raisonnement. La Cour supérieure juge que cette omission ne constitue pas une déficience suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision du TAT déraisonnable. Le postulat juridique retenu par le TAT est par ailleurs supporté par la preuve.

Selon la Cour, « il s’avère tout à fait approprié d’interdire de contourner les dispositions du Code du travail (art. 109.1 CT), par l’accomplissement des tâches des travailleurs en grève par des tierces salariées en télétravail » (paragraphe 43). Le pourvoi sur cette question est donc rejeté.

La Cour supérieure juge déraisonnable l’omission du TAT de rendre une décision relative à une demande d’ordonnance déposée dans le dossier portant le numéro 1243787. Le dossier est alors retourné au décideur administratif afin qu’il se prononce sur cette question.

Le pourvoi est accueilli en partie.

 

POLICIERS ET POLICIÈRES

 

E.L. c Québec (Société de l’assurance automobile), 2023 CanLII 39259 (QC TAQ)

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx48f>

Dans cette affaire, le Tribunal administratif du Québec (ci-après, le « TAQ »), doit décider s’il y a des motifs en vertu de la loi et de la réglementation qui justifie la suspension du permis pour la classe 4A de la requérante, une policière souffrant d’épilepsie nocturne.

La requérante souffre uniquement d’épilepsie nocturne, elle n’a subi aucun autre type de crise dans les cinq dernières années. Outre l’épilepsie nocturne, elle n’a subi aucun autre type de crise de toute sa vie. Analysant l’article 32 du Règlement relatif à la santé des conducteurs qui régit la conduite automobile par les conducteurs atteints d’un diagnostic d’épilepsie, le TAQ conclut qu’il n’y a pas lieu, dans ce contexte, d’appliquer de suspension.

Le recours est accueilli et le TAQ lève la suspension pour la classe 4A et B.

Le cabinet RBD représentait la requérante dans ce dossier.

 

TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

 

Rien à signaler.

 

POMPIERS ET POMPIÈRES

 

Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Candiac – SCFP 7115 c. Régie incendie de l’Alliance des Grandes-Seigneuries, 2023 QCTAT 1975

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx1bq>

Dans cette affaire, le Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Candiac – SCFP 7115 (ci-après, le « Syndicat ») dépose une plainte pour manquement à l’obligation de négocier avec diligence et bonne foi prévue à l’article 53 du Code du travail visant la Régie incendie de l’Alliance des Grandes-Seigneuries (ci-après, la « Régie »).

En 2021, la décision de la Ville de Candiac d’annexer son service d’incendie à celui de la Régie intermunicipale d’incendie de Saint-Constant et Sainte-Catherine est entérinée par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. La Régie devient l’employeur des pompiers compris dans l’unité de négociation représentée par le Syndicat. Ce faisant, deux unités de négociations existent désormais au sein de la Régie. Un recours est déposé par la Régie au TAT visant la fusion de ces deux unités de négociation en vertu des articles 39, 45 et 46 du Code du travail.

Selon le Tribunal, la preuve démontre que la Régie a refusé d’entamer des négociations collectives avec le Syndicat en vue du renouvellement de la convention collective applicable à l’unité de négociation qu’il représente.  En effet, le 17 janvier 2022, le Syndicat transmet un avis de négociation à la Régie. Celle-ci lui répond qu’elle a pris acte de cet avis, mais qu’elle est en attente de la décision du Tribunal portant sur son recours en vertu des articles 39, 45 et 46 du Code « avant de pouvoir donner suite à votre requête ».

Or, la Régie n’a jamais obtenu l’autorisation du Tribunal de suspendre les négociations avec le Syndicat et ce n’est que le 23 mars 2023 qu’elle a déposé une requête de cette nature, soit quelques jours avant l’audition de la présente plainte. Le Tribunal refuse de cautionner une telle façon de faire. « Un employeur ne peut choisir son vis-à-vis, ni lui dicter des comportements. Il en va du respect de la liberté d’association des salariés visés » (paragraphe 34).

La portée de ce manquement doit cependant être relativisée, car le Syndicat a par la suite consenti à entreprendre des négociations avec la Régie et l’association représentant les autres pompiers en fonction à la Régie en vue de fusionner les deux unités de négociation, en contrepartie de l’obtention de certaines garanties relatives aux conditions de travail des pompiers qu’il représente.

La plainte est accueillie.

Le cabinet RBD représentait le Syndicat dans ce dossier.

 

Régie incendie de l’alliance des Grandes-Seigneuries c. Association des pompiers et pompières de la régie intermunicipale d’incendie de St-Constant et Ste-Catherine, 2023 QCTAT 2050 

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jx3h7>

Dans ce dossier, la Régie intermunicipale d’incendie de Saint-Constant et Sainte-Catherine (désormais la Régie incendie de l’Alliance des Grandes‑Seigneuries et ci-après, la « Régie ») dépose une requête en vertu des articles 39, 45, et 46 du Code du travail. La Ville de Candiac lui ayant transféré son service de protection incendie, deux unités de négociations existent désormais au sein de la Régie. Cette dernière demande au Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») de constater une concession d’entreprise, de fusionner les unités de négociation et de déterminer la convention collective qui restera en vigueur.

Selon la Régie, il conviendrait d’appliquer la convention collective qu’elle a conclue avec l’Association des pompiers et pompières de la Régie intermunicipale d’incendie de St-Constant et Ste-Catherine (ci-après, « l’Association ») plutôt que celle qui s’applique aux pompiers représentés par le Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Candiac ‑ SCFP 7115 (ci-après, le « Syndicat »).

Le Syndicat et l’Association ne contestent pas que le transfert du service de protection incendie de la Ville de Candiac à la Régie constitue une concession d’entreprise, mais s’opposent à la reconfiguration des unités.

Le TAT rappelle que la reconfiguration des unités de négociations est une mesure ultime et exceptionnelle. Lors de l’audience, la Régie décrit toute une série d’enjeux qui découlent du fait de devoir composer avec deux associations accréditées sur un même territoire. De l’avis du Tribunal, ces difficultés ne suffisent pas à ce stade-ci pour revoir la reconfiguration des unités de négociations.

De plus, même si la Régie avait réussi à démontrer l’existence de difficultés sérieuses et réelles, il aurait fallu que des efforts raisonnables pour trouver des solutions aux difficultés d’application de l’article 45 du Code du travail aient été démontrés. Aux yeux du TAT, ces efforts sont bien insuffisants, la Régie ayant plutôt tenté dès le début d’organiser la représentation collective des pompiers de la manière qu’elle juge la plus appropriée.

La requête de la Régie est accueillie en partie. La concession de l’entreprise est constatée, mais le TAT déclare que la Régie est liée par l’accréditation du Syndicat.

Le cabinet RBD représentait le Syndicat dans ce dossier.

 

ARTISTES

 

Rien à signaler.

 

SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

 

R. c. Roy, Cour du Québec, décision rendue le 10 mai 2023, par la Juge Danielle Côté

Disponible ici.

Dans cette affaire, l’accusé, qui est policier, fait face à des accusations d’abus de confiance et d’entrave à la justice pour ne pas avoir procédé à une enquête lors de l’interception de sa conjointe, à la suite d’un appel d’un citoyen pour signer une conduite erratique.

Le 17 décembre 2020, l’accusé et sa partenaire répondent à un appel d’un citoyen qui suit un véhicule ayant une conduite erratique. L’accusé et sa partenaire constate que le véhicule circule dans l’accotement et ils font demi-tour pour l’intercepter. L’accusé enquête la plaque d’immatriculation au CRPQ et informe sa partenaire que la conductrice est sa conjointe. L’accusé lui dit qu’il va aller la voir et demande à sa partenaire de rester dans le véhicule. L’accusé revient ensuite vers le véhicule patrouille et indique qu’il ira chercher sa conjointe après son quart de travail. Il est en colère, il parle de médicaments, qu’elle aurait pu se tuer, et il informe sa partenaire que si elle n’est pas à l’aise avec la situation, elle ne doit pas hésiter à en parler à ses supérieurs.

L’accusé, qui a témoigné pour sa défense, mentionne qu’il est en état de choc lorsqu’il réalise qu’il s’agit du véhicule de sa conjointe : il est inquiet car elle a des problèmes de santé mentale. Elle est en dépression profonde, pleure beaucoup, et son humeur est affectée, elle s’alimente peu et son hygiène laisse à désirer. Lorsqu’il arrive au côté conducteur, il constate qu’elle est en détresse psychologique. Elle pleure, lui dit qu’elle n’est pas bien dans sa tête et qu’elle a besoin d’aide. Elle est toutefois lucide et ne présente aucun signe d’intoxication. L’accusé conclut que sa conduite erratique est dû à son état mental perturbé et il lui demande de l’attendre pour qu’il puisse la raccompagner avec le véhicule.

La juge Danielle Côté de la Cour du Québec croit l’accusé quant à son état d’esprit lors de l’intervention. Elle affirme qu’il a fait preuve d’un manque de jugement évident, mais que ce manque de jugement découle de l’état de choc qu’il a éprouvé lorsqu’il a constaté l’état de détresse psychologique de sa conjointe derrière le volant. La juge Côté reprend le critère énoncé dans l’arrêt Beaudry et conclut que le manque de jugement de l’accusé n’équivaut pas à une infraction criminelle.

Le policier est acquitté.

Le cabinet RBD représentait le policier dans ce dossier.

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