SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Teamsters Québec, local 1999 c. Molson Canada 2005, dossier 1275617, 24 mai 2022, j.a. Maude Pepin Hallé
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Dans cette affaire, le local 1999 des Teamsters Québec demande au Tribunal de rendre une ordonnance provisoire afin que l’employeur, Molson Canada 2005, cesse d’utiliser les services de trente-quatre (34) personnes, et ce, jusqu’à ce qu’une ordonnance soit rendue sur le fond de sa plainte pour utilisation de briseurs de grève. À la suite de divers engagements pris par l’employeur, ce nombre est réduit à quinze (15).
Selon le syndicat, onze (11) de ces personnes sont des salariés exclus de l’unité de négociation qui remplissent présentement des fonctions des salariés en grève, et ce, en contravention de l’article 109.1 g) du Code du travail (le Code). L’employeur, de son côté, prétend que ce sont des cadres œuvrant normalement dans les établissements visés par l’accréditation du syndicat et embauchés avant le début de la phase des négociations. De plus, le syndicat soumet que l’employeur utilise les services de quatre (4) travailleurs employés par deux sous-traitants pour remplir les fonctions des salariés en grève. L’employeur rétorque que les sous-traitants poursuivent les tâches qu’ils effectuaient avant le déclenchement de la grève et qu’il peut conséquemment continuer à recourir à leurs services.
Le Tribunal rappelle les critères devant être satisfaits pour rendre une ordonnance provisoire : 1) une apparence de droit à obtenir les ordonnances recherchées ou une question sérieuse à trancher; 2) la probabilité d’un préjudice sérieux ou irréparable dans le cas où elles n’étaient pas émises; 3) dans certains cas, démontrer un préjudice plus important que celui subi par l’autre partie si l’ordonnance était rendue.
Se fondant sur la preuve administrée, notamment sur un rapport d’enquêteurs du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le Tribunal constate une apparence de droit voulant que dix (10) des onze (11) personnes identifiées par le syndicat soient des salariés. Il conclut également qu’à première vue, l’employeur a eu recours aux services des sous-traitants pour remplir des fonctions des salariés en grève au-delà de ce qui était normalement effectué avant le déclenchement de celle-ci. Pour le Tribunal, aucune décision au fond ne serait en mesure de remédier au préjudice sérieux ou irréparable résultant de son défaut d’émettre l’ordonnance : « Ne pas intervenir permet à l’employeur de profiter d’un déséquilibre en apparence illégale du rapport de force » (paragraphe 80). La balance des inconvénients est sans conteste en faveur du syndicat.
Le Tribunal accueille donc partiellement la demande du syndicat. Il ordonne à l’employeur de cesser d’utiliser les services des dix (10) personnes identifiées dans sa décision pour remplir les fonctions des salariés en grève ainsi que ceux des sous-traitants pour accomplir, au-delà du temps d’intervention normalement effectué avant le déclenchement de la grève, les tâches partagées avec les salariés de l’unité de négociation, et ce, jusqu’à ce qu’une ordonnance au mérite soit rendue.
Bravo à Me Alexandre Grenier pour son travail dans le présent dossier!
Bai c. Collège Jade inc., 2022 QCTAT 1624
La plaignante est embauchée par l’employeur le 1er décembre 2018. Elle est responsable de l’infographie au sein du service du marketing, puis elle est promue à titre d’agente de ventes. Le 1er février 2020, elle dépose contre l’employeur une plainte pour harcèlement psychologique en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (la LNT). Elle y allègue avoir été l’objet de plusieurs propos déplacés et irrespectueux de la part de la directrice de l’entreprise.
Parmi les nombreux événements relatés par la plaignante, elle explique que, le 28 avril 2019, la directrice lui dit qu’elle est stupide et lui lance des injures. De plus, lors d’une rencontre, la directrice demande à tour de rôle aux employés ont des suggestions à formuler afin de contribuer au développement des affaires de l’employeur. Lorsque vient le tour de la plaignante, la directrice l’interrompt. Elle affirme alors que la plaignante travaille « comme une merde » et qu’elle n’est pas suffisamment qualifiée pour formuler des propositions. Le 20 juin, la directrice crie des injures à la plaignante. Elle frappe sur son bureau et y renverse son verre d’eau.
En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’ensemble des propos et des gestes relatés par la plaignante sont hostiles et non désirés. Ils constituent une conduite vexatoire au sens de l’article 81.18 de la LNT. Ceci a fait en sorte que la plaignante s’est sentie rabaissée et humiliée. Le Tribunal conclut donc qu’elle a été victime de harcèlement psychologique.
La plaignante admet cependant ne pas avoir dénoncé formellement à l’employeur le harcèlement psychologique dont elle était victime. Or, lorsque l’auteure de la conduite vexatoire est une dirigeante et une personne en autorité chez l’employeur, le Tribunal considère que cette conduite a été portée à la connaissance de ce dernier. Selon le Tribunal, l’employeur n’a rien fait pour prévenir ou faire cesser le harcèlement dont la plaignante était victime psychologique : sa plainte doit être accueillie.
Quant aux mesures de réparation, le Tribunal ne fait pas droit à la réclamation de la plaignante pour le salaire et les autres avantages perdus, l’indemnité pour congé annuel et celle pour perte d’emploi. Le Tribunal juge cependant raisonnable la somme de 6 000$ réclamée par la plaignante à titre de dommages moraux. Il condamne également l’employeur à payer une somme de 5 000$ à titre de dommages punitifs :
[56] Les paroles de celle-ci, qui sont objectivement graves, ont été prononcées devant des collègues de travail de la plaignante, ce qui a porté atteinte à sa dignité et l’a discrédité aux yeux des autres. Ce comportement est inacceptable et il doit être réprouvé.
La plainte est accueillie : la plaignante a subi du harcèlement psychologique et l’employeur n’a pris aucun moyen pour prévenir ni faire cesser celui-ci.
Bourgeois c. Bar le Charleroi inc., 2022 QCTAT 1652
Le travailleur, un serveur à l’emploi du Bar Charleroi inc. depuis 28 ans, allègue avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (la LNT). L’employeur lui a retiré unilatéralement un de ses trois quarts de travail hebdomadaires. Il estime que cette modification à son horaire de travail est une modification substantielle aux conditions essentielles de son contrat de travail et croit que l’employeur le pousse vers la sortie parce qu’il est le seul employé masculin du bar et qu’il est le plus âgé. L’employeur plaide qu’il n’a jamais congédié le plaignant et prétend que la modification à son horaire de travail était nécessaire parce que ses ventes n’étaient pas satisfaisantes.
Le Tribunal conclut d’abord que la modification imposée par l’employeur constitue une modification substantielle aux conditions essentielles du contrat de travail de ce dernier, puisqu’elle lui ampute un tiers de ses heures de travail et de sa rémunération. Ensuite, le Tribunal juge que la preuve ne permet pas de conclure que l’employeur a exercé son droit de gérance dans les limites permises par le contrat de travail. Le Tribunal rappelle que lorsqu’un employeur invoque un rendement insuffisant pour imposer unilatéralement une modification substantielle à une condition essentielle du contrat de travail d’un salarié bénéficiant de la protection conférée par l’article 124 de la LNT, il doit démontrer avoir respecté les mêmes exigences que celles établies par la jurisprudence en matière de congédiement administratif, soit :
1) l’employeur a fait connaître au salarié ses politiques et ses attentes;
2) il a clairement avisé le salarié qu’il ne me répondait pas à ses attentes et qu’il devait se corriger dans un délai raisonnable, sinon il risquait le congédiement;
3) il a donné le soutien nécessaire pour se corriger et satisfaire à ses attentes.
Même si l’employeur avait pu démontrer que le plaignant avait un rendement insatisfaisant, le fait qu’il n’ait pas respecté les exigences lui permettant d’imposer une mesure administrative sous forme de modification substantielle à une condition essentielle du contrat de travail fait en sorte qu’il l’a fait en violation du contrat de travail. Ainsi, la modification à l’horaire de travail imposée par l’employeur constitue un congédiement déguisé, sans cause juste et suffisante.
La plainte du travailleur est accueillie.
Syndicat des employés de magasins et de buraux de la société des alcools du québec c Société des alcools du Québec, 2022 CanLII 35621 (QC SAT), https://canlii.ca/t/jp1ns
Dans cette affaire, le plaignant conteste le congédiement dont il a fait l’objet. L’employeur lui reproche d’avoir contrevenu à la « Procédure de succursale IO5 » en faisant un usage interdit d’une carte Inspire appartenant à une cliente. Le programme Inspire permet à un client d’accumuler des points en proportion de la valeur monétaire de ses achats et, le cas échéant, selon les promotions applicables à certains des produits achetés. La procédure 1O5 interdit notamment aux employés d’utiliser ses points ou celle d’une autre carte pour réduire la facture d’une tierce personne.
Le salarié admet avoir effectué cinq (5) transactions sur la carte Inspire appartenant à une cliente, qui avait oublié sa carte à la caisse, lors d’achats d’autres clients. Au total 5,615 points auraient été irrégulièrement crédités à la carte d’une cliente, soit une valeur de 5,61 $.
Dans ses motifs, le Tribunal d’arbitrage en arrive d’abord à la conclusion que les faits objectifs allégués au soutien de la mesure disciplinaire sont prouvés. Ensuite, l’arbitre conclut que les faits prouvés sont fautifs et, qu’à ce titre, ils justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. Les gestes commis par le plaignant ont lésé l’employeur en accordant indûment des points à la carte oubliée et en faussant ses informations sur le profil-client. De plus, dans le cas de la cinquième transaction, une cliente a été privé des points auxquels elle avait droit. Il s’agit, selon le Tribunal, de gestes frauduleux en ce qu’ils impliquent la violation délibérée d’une règle et un élément de tromperie au détriment d’autrui. Quant à la sanction, l’arbitre est d’avis que le congédiement était justifié et rejette le grief. Il rappelle que les manquements du salarié mettent en cause les obligations d’honnêteté et de loyauté du salarié et sont susceptibles d’affecter radicalement le lien de confiance qui est un élément fondamental de la relation employeur-employé. Le Tribunal prend notamment en compte, parmi les facteurs aggravants, le fait que le salarié a menti lors de l’enquête commandée par l’employeur. La décision de congédier est certes sévère, mais elle ne viole pas le principe de gradation tel qu’affirmé et modulé par la Lettre d’entente liant les parties.
Le grief contestant le congédiement est rejeté.
POLICIERS ET POLICIÈRES
Rien à signaler.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Rien à signaler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Rien à signaler.
ARTISTES
Faucher et Petit Chat Bleu Productions, 2022 QCTAT 694
La travailleuse est assistante de production sur des plateaux de tournage depuis 2010. Le 30 juin 2021, dans le cadre d’un contrat de travail intervenu avec Petit Chat Bleu Productions, l’employeur, elle dépose à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST), un Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite, afin de bénéficier du programme Pour une maternité sans danger prévu par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST).
À la suite d’une révision administrative, la CNESST déclare que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 17 octobre 2021, et que le revenu brut assurable servant à son calcul est de 53 794,79 $. La travailleuse demande au Tribunal de déclarer qu’elle avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 5 février 2022, soit jusqu’à quatre semaines avant la date de son accouchement, prévu le 6 mars 2022. Elle demande également au Tribunal de déclarer que le revenu brut assurable selon lequel l’indemnité de remplacement du revenu doit être calculée est de 85 391,76 $, ou de façon subsidiaire, 67 981,34 $ ou 58 048,17 $.
La travailleuse explique que, bien que son contrat se terminait le 17 octobre 2021, elle aurait continué à travailler au-delà de cette date. Par exemple, en juillet 2021, elle a reçu une proposition de contrat débutant le 2 septembre 2021 et qui devait se terminer le 6 janvier 2022. Le Tribunal conclut que la CNESST devait poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 5 février 2022, puisque la travailleuse a démontré, par une preuve prépondérante, qu’elle aurait assurément travaillé, n’eût été sa grossesse. Il écrit :
[19] Le Tribunal est d’avis que, bien que la travailleuse ait un statut d’emploi considéré comme étant précaire ou atypique, cela ne doit pas l’empêcher de bénéficier de tous les avantages et bénéfices du programme Pour une maternité sans danger.
[20] Le Tribunal constate, comme il l’a fait d’ailleurs récemment dans l’affaire Matteo et Ville de Pointe-Claire, que la décision de la Commission, telle que rendue, « stigmatise les femmes dont le statut d’emploi est précaire, soit en les exposant à une vulnérabilité économique en raison de leur état de grossesse ou encore en les obligeant, pour y pallier, à s’exposer à un danger pour elles ou l’enfant à naître alors qu’elles ne peuvent conclure un nouveau contrat à durée déterminée avec l’employeur sans être à nouveau exposée à ce danger ».
Quant à la base salariale retenue par la CNESST, le Tribunal est d’avis que celle-ci ne reflète pas la réalité et la capacité de gains de la travailleuse pour l’année 2021. Il retient le revenu brut assurable de 73 000$.
Le Tribunal accueille donc partiellement la contestation de la travailleuse.
Perreault-Saule et District 31 IV inc., 2022 QCTAT 1236
Dans cette affaire, le travailleur a subi une lésion professionnelle le 8 août 20191 par le fait de son travail de « preneur de son » pour le compte de l’employeur. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST) a déterminé le montant de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit sur la base d’un revenu brut annuel de 26 070,00 $, soit le salaire minimum assurable à l’époque pertinente. Le travailleur conteste cette détermination.
Le Tribunal est donc appelé à déterminer le revenu annuel brut sur la base duquel l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit doit être calculée. Pour rendre sa décision, la CNESST s’est appuyée sur l’information qu’elle a obtenue de l’employeur. La preuve offerte par le travailleur à l’audience est tout autre. De plus, le Tribunal précise que la détermination du revenu annuel brut doit avoir une corrélation avec la réalité de l’emploi du travailleur dont la capacité de gains futurs doit être préservée :
[18] En plus d’appliquer les termes mêmes du contrat de travail, cette approche reflète la capacité de gain réelle du travailleur, ce dernier ayant déclaré sous serment que la demande pour des « preneurs de son » était forte dans l’industrie tout au long de l’année, sauf pour une période d’accalmie, en hiver. On comprend que la production de séries télévisées répond à des impératifs d’échéancier serré faisant en sorte que les heures travaillées sont concentrées sur une période de calendrier relativement courte et surtout immuable, puisque la date de livraison doit être respectée à tout prix.
Le Tribunal juge que l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit doit être établie sur la base d’un revenu annuel brut de 76 500,00 $, compte tenu du maximum annuel assurable en vigueur à l’époque pertinente.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
Rien à signaler.
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