Dans la décision Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal v Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2025 CanLII 11977 (a. Me Jean-Yves Brière), alors qu’une sentence arbitrale a déjà rejeté le grief du plaignant[1] et confirmé une suspension sans traitement de 40 jours en raison de comportements inadéquats du plaignant à l’égard de ses élèves, l’arbitre doit maintenant se prononcer sur une demande de publication de la part du Journal de Montréal qui désire accéder à deux bandes vidéo qui avaient été mises en preuve lors de l’arbitrage.
Dans un premier temps, l’arbitre rejette la demande du journaliste par courriel en lui soumettant que l’article 21 du Code de déontologie de la Conférence des arbitres du Québec qui prévoit que la preuve au litige doit être rendue accessible par l’arbitre ne s’applique qu’aux parties au litige. Le Journal demande à l’arbitre de reconsidérer sa décision étant donné le caractère public des audiences d’arbitrage.
Le Tribunal demande ainsi au Journal une requête écrite et il enjoint à l’Employeur et au Syndicat d’y répondre.
Le Syndicat rappelle que le plaignant et les élèves disposent de droits fondamentaux, tels que les droits à la préservation de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation, qui seront sérieusement compromis si les vidéos étaient rendues publiques et demande que les bandes soient frappées d’une ordonnance de non-publication et la mise sous scellé de ces pièces.
L’employeur soumet des représentations similaires au Syndicat et demande que l’arbitre ordonne la non-publication, la non-divulgation, la non-diffusion et la mise sous scellé des bandes vidéo. L’employeur rappelle que la protection de la vie privée des mineurs est un élément fondamental qui est d’intérêt public. C’est ce qui a motivé l’arbitre à ne pas identifier les élèves par leur nom dans sa sentence initiale. De plus, l’employeur précise que ce sont les audiences qui sont publiques et non pas les pièces.
Le Journal soutient que s’il obtient une copie des bandes vidéo, il s’engage à brouiller le visage des élèves mineurs. Il soutient qu’il est soumis à un encadrement juridique strict et qu’il a l’habitude de publier de telles images tout en préservant l’anonymat des personnes mineures.
L’employeur considère que l’engagement du Journal à l’effet de brouiller les visages des élèves est une mesure insuffisante, car la voix des élèves pourrait permettre leur identification.
L’arbitre déclare qu’il a toute la compétence nécessaire pour statuer sur les demandes des parties et qu’il n’est pas functus officio car les parties ne lui demandent pas de se prononcer de nouveau sur le fond du dossier, mais plutôt sur des ordonnances relatives à la gestion du dossier.
Le Code du travail ne dispose pas d’une disposition garantissant le droit d’accès d’un tiers au dossier de l’arbitre et aux pièces qui s’y trouvent, contrairement à l’article 11 du Code de procédure civile qui prévoit que tous peuvent assister aux audiences et prendre connaissance des dossiers. Le silence du Code du travail amène l’arbitre à conclure qu’il n’existe pas de droit pour tout citoyen d’obtenir copie des pièces détenues par un arbitre.
De plus, lorsque la Cour suprême s’est prononcée sur le principe de la publicité des débats judiciaires et particulièrement sur ses limites[2], elle a statué que le droit d’accès aux pièces découle du texte législatif et non du principe de la publication des débats judiciaires.
Ainsi, le Tribunal estime qu’en l’absence de règles législatives qui le prévoient, un tiers ne peut exiger d’un Tribunal d’arbitrage d’obtenir copie des pièces du dossier. Aucune disposition ne consacre le caractère public du dossier d’un arbitre de grief.
L’arbitre rappelle que le plaignant doit s’attendre à ce qu’une partie de sa vie privée soit dévoilée et que sa réputation professionnelle soit affectée à la suite d’un processus d’arbitrage public. Il s’agit de conséquences normales qui ne peuvent justifier d’écarter le principe de la publicité des débats.
Cependant, les élèves qui sont des tiers en ce qui concerne le litige doivent être protégés. La publication des bandes aurait pour effet d’identifier les étudiants et les paroles qui ont été tenues. Lorsqu’ils ont témoigné, ils avaient une expectative que leurs propos allaient demeurer confidentiels.
L’arbitre conclut de la manière suivante :
[93] […] Dans le système éducatif québécois, il est important pour ne pas dire fondamental que les élèves se sentent en sécurité et en confiance pour dénoncer des comportements inadéquats à leur égard. Si les bandes vidéo devaient être diffusées, il est à craindre que dans l’avenir, certains élèves renoncent à dénoncer des situations de crainte de voir leur image diffusée. Ainsi, l’administration de la justice arbitrale en souffrirait énormément.
Ainsi, l’arbitre accorde les ordonnances réclamées par l’employeur et le syndicat.
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