Le 9 juillet dernier, la Cour supérieure a rendu un jugement très attendu par le monde syndical municipal. Dans une instance sans précédent par son ampleur, la Cour a disposé de quatorze recours contestant la constitutionnalité de la Loi favorisant la Santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (« Loi 15 »), notamment parce qu’elle contrevient à la liberté d’association en imposant une entrave substantielle à la négociation collective.
La Cour a conclu que les dispositions visant les participants actifs contreviennent à la liberté d’association parce qu’il s’agit d’ingérences dans la négociation collective, mais qu’elles ne constituent pas pour autant une entrave substantielle à celle-ci. La Cour s’appuie notamment sur le résultat de certaines des négociations collectives menées après l’adoption de la Loi 15 pour conclure que celle-ci n’a pas entravé de façon substantielle le processus de négociation collective. Elle en conclut que les participants avaient le loisir de négocier une compensation pour les avantages perdus en raison de la Loi 15. Elle retient également que les mesures de restructuration des régimes de retraite imposées par la Loi 15 s’apparentent à certaines mesures négociées par des syndicats et des employeurs avant l’adoption de cette loi.
La Cour ajoute que, même si l’entrave à la liberté d’association était substantielle, elle serait justifiée dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.
La Cour ne retient pas l’argument des demandeurs selon lequel l’objectif réel de la Loi 15 est de réduire la masse salariale des municipalités. La Cour rejette aussi l’argument selon lequel le partage à parts égales des cotisations à un régime de retraite n’a pas de lien avec le fait de favoriser la santé et la pérennité d’un régime de retraite puisqu’il s’agit de la même somme d’argent, peu importe sa provenance. La Cour conclut que le but de la Loi 15 n’est pas de porter atteinte à la liberté d’association.
Il en va autrement des dispositions concernant la suspension de l’indexation des rentes des retraités. La Cour estime qu’il s’agit d’une entrave substantielle à la négociation collective parce que cette mesure peut être imposée unilatéralement par l’employeur sans que les retraités puissent négocier quoi que ce soit. La Cour conclut aussi que et que cette atteinte n’est pas justifiée. La Cour retient que la suspension de l’indexation fait supporter indûment le poids des déficits à une partie seulement des retraités – ceux qui bénéficient d’une indexation automatique – et l’absence de lien entre la mesure et l’objectif visé fait en sorte que la mesure ne se situe pas à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables.
La Cour dispose aussi des autres arguments plus périphériques soulevés par les parties en marge de l’atteinte à la liberté d’association. La Cour rejette ainsi l’argument fondé sur l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne qui garantit le droit à des conditions de travail justes et raisonnables. Elle conclut que la preuve n’a pas démontré une atteinte à ce droit. La Cour ajoute qu’une atteinte à ce droit ne lui permettrait pas de déclarer invalides les dispositions contestées.
La Cour ne retient pas davantage l’argument selon lequel la Loi 15 constitue une expropriation du patrimoine des participants. La Cour juge que les participants ne peuvent revendiquer un droit de propriété à l’égard de la caisse de retraite qui est un patrimoine fiduciaire distinct de leurs patrimoines. Il ne peut donc pas s’agir d’une expropriation.
La Cour estime également que les mesures imposées aux retraités ne constituent pas de la discrimination fondée sur la condition sociale au sens des chartes des droits et libertés. La Cour indique qu’il est douteux que le statut de retraité puisse être considéré comme une condition sociale au sens de la Charte. Par ailleurs, elle estime que la suspension de l’indexation des rentes n’est pas fondée sur le statut de retraité, mais bien sur le fait que le régime soit déficitaire.
La Cour examine aussi l’application temporelle de la Loi 15. Elle conclut que certaines dispositions de la Loi 15 sont rétroactives, d’autres sont rétrospectives, d’autres sont prospectives et d’autres sont d’application immédiate. Cependant, ces différentes applications temporelles ne permettent pas de la déclarer inconstitutionnelle.
Au fil du jugement, la Cour fait l’historique des modifications législatives et des diverses consultations et études publiques concernant la situation des régimes de retraite à prestations déterminées, notamment le rapport D’Amours, qu’il considère comme étant possiblement l’élément déclencheur de l’intervention du législateur à travers la Loi 15. La Procureure générale du Québec a plaidé que la Loi 15 n’était qu’une mesure d’encadrement législatif des régimes de retraite, comme il y en a eu plusieurs dans le passé. Les demandeurs membres du mouvement syndical rétorquaient que cette loi était plutôt sans précédent puisqu’elle effaçait des ententes négociées et qu’elle retirait du processus de négociation collective les principales mesures de redressement envisagées.
Rappelons que la Loi 15 a imposé un ensemble de mesures de restructuration à tous les régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal et ce, peu importe l’état financier dans lequel se trouvait le régime au moment de l’adoption de cette loi. Les mesures comprenaient notamment : la création de deux volets étanches, l’ancien volet (période précédant le 1er janvier 2014) et le nouveau volet (période postérieure au 31 décembre 2013) ; l’obligation pour les participants actifs d’éponger la moitié de leur part du déficit de l’ancien volet et la moitié de tout déficit futur dans le nouveau volet ; l’obligation de créer un fonds de stabilisation dans le volet postérieur et d’y cotiser un minimum de 10% du coût du régime à parts égales avec l’employeur ; l’obligation de prévoir le partage à parts égales des cotisations d’exercice du nouveau volet entre les participants actifs et l’employeur ; l’abolition de toute indexation automatique des rentes ; et le pouvoir discrétionnaire pour l’employeur de suspendre l’indexation des rentes des retraités.
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