Article publié dans Repères, Éditions Yvon Blais, Avril 2024 sous la référence EYB2024REP3731
Indexation
PÉNAL ; APPEL D’UNE CONDAMNATION OU D’UN ACQUITTEMENT ; INFRACTIONS PROVINCIALES ;CODE DE LASÉCURITÉ ROUTIÈRE ; INFRACTIONS RÉGLEMENTAIRES ; RESPONSABILITÉ ABSOLUE ; RESPONSABILITÉSTRICTE ; MOYENS DE DÉFENSE ; SORTES D’ORDONNANCES
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I– LES FAITS
II– LA DÉCISION
A. La décision de première instance et de la Cour supérieure
B. L’analyse
1. La question en litige
2. Le principe d’interprétation applicable en matière d’infraction pénale
3. L’application aux faits de l’affaire
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
CONCLUSION
Résumé
L’auteure commente cette décision rendue par un banc unanime de cinq juges de la Cour d’appel accueillant l’appel du Directeur des poursuites criminelles et pénales de la décision de la Cour supérieure ordonnant un nouveau procès. Ce faisant, elle confirme la déclaration de culpabilité de monsieur Dafinei prononcée par la Cour du Québec sur l’infraction d’excès de vitesse, mais renvoie le dossier à un autre juge pour la détermination de la peine. Elle profite de cet arrêt pour clarifier le principe d’interprétation applicable aux infractions pénales provinciales afin de déterminer à quelle catégorie de responsabilité elles appartiennent, et déclare que l’infraction visée à l’article 329 du Code de la sécurité routière est une infraction de responsabilité stricte.
INTRODUCTION
Le régime de responsabilité applicable aux infractions pénales a fait l’objet d’une jurisprudence abondante depuis l’arrêt phare de la Cour suprême R. c. Sault Ste. Marie[1] de 1978 qui avait déterminé les distinctions entre la responsabilité stricte et la responsabilité absolue. Dans la décision Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dafinei[2], la Cour d’appel saisit l’opportunité de préciser à quelle catégorie sont présumées appartenir les infractions réglementaires québécoises selon un principe d’interprétation d’application générale.
I– LES FAITS
L’intimé est accusé d’avoir conduit à une vitesse de 126 km/h dans une zone limitée à 70 km/h, commettant ainsi une infraction à l’article 329 du Code de la sécurité routière[3] (ci-après « CSR »). Il témoigne à son procès et présente une défense d’erreur de fait raisonnable. Selon sa version, son indicateur de vitesse affichait 112 km/h au moment de son interception, mais il avait eu l’impression de conduire à 115 km/h. Neuf mois plus tard, il remarque un écart de 16 km/h entre la vitesse affichée sur son indicateur et celle enregistrée sur son téléphone cellulaire. Un mécanicien témoigne également en défense comme témoin ordinaire, et non comme expert, et confirme l’écart et la défectuosité de l’indicateur de vitesse.
L’intimé affirmait qu’il pouvait présenter cette défense puisque l’infraction reprochée en était une de responsabilité stricte au sens de l’arrêt Sault Ste. Marie[4] de la Cour suprême.
II– LA DÉCISION
A. La décision de première instance et de la Cour supérieure
La juge du procès conclut que l’infraction reprochée d’excès de vitesse en est une de responsabilité absolue, s’estimant liée par l’arrêt Baie-Comeau (Ville de) c. D’Astous[5] rendue par la Cour d’appel en 1992. Bien que la défense d’erreur de fait raisonnable avancée par l’intimé ne pouvait être soumise en réponse à cette catégorie d’infraction de responsabilité absolue, elle décide de l’examiner, puis de la rejeter sur le fond.
La Cour supérieure en appel ordonne un nouveau procès. Elle conclut, conformément à l’arrêt Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé[6] de la Cour d’appel en 2018, qu’il existe une présomption au Québec voulant que les infractions pénales provinciales sont de responsabilité stricte. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (ci-après « DPCP ») a porté en appel cette décision.
B. L’analyse
1. La question en litige
Par un banc de cinq juges, la Cour entend le pourvoi afin de déterminer comment classifier les infractions pénales québécoises, selon qu’elles soient de responsabilité stricte ou absolue. L’ouverture à un type de défense dépendra donc du régime de responsabilité retenu.
2. Le principe d’interprétation applicable en matière d’infraction pénale
La Cour réitère la conclusion de la Cour supérieure précisant qu’il existe une présomption au Québec selon laquelle l’ensemble des infractions pénales de compétence provinciale appartient à la catégorie des infractions de responsabilité stricte au sens de l’arrêt Sault Ste. Marie, en soulignant que ce principe est d’application générale au Québec, depuis l’arrêt Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé : toute jurisprudence antérieure incompatible doit être écartée.
La Cour résume ainsi l’application du principe d’interprétation :
[8] Ce principe général peut se résumer en deux points. Premièrement, il existe une présomption selon laquelle, au Québec, les infractions pénales de compétence provinciale appartiennent à la catégorie des infractions de responsabilité stricte, sauf si les termes exprès de la loi, ou par déduction nécessaire, imposent d’interpréter l’infraction comme requérant la preuve d’un élément de faute ou comme une infraction de responsabilité absolue. La partie qui cherche à soulever l’une ou l’autre de ces exceptions doit pouvoir la justifier. Deuxièmement, les infractions de responsabilité stricte permettent souvent la présentation de moyens de défense spécifiques selon les modalités du régime législatif dont elles font partie. Elles offrent aussi la possibilité de soulever des moyens de défense généraux, qui doivent être établis selon la prépondérance des probabilités, y compris tout moyen qui réfute la preuve de l’actus reus (p. ex., l’acte involontaire, l’impossibilité, l’alibi), la diligence raisonnable, les erreurs de fait raisonnables, les troubles de santé mentale et la nécessité. (Renvoi omis.).
Deux exceptions résistent à l’application du principe d’interprétation : lorsque le texte de loi indique de façon expresse ou par déduction nécessaire que l’infraction requiert la démonstration d’une faute d’intention qu’exige la mens rea ou comme une infraction de responsabilité absolue. Il doit y avoir une indication claire de la volonté du législateur révélant l’intention de réfuter la présomption applicable.
3. L’application aux faits de l’affaire
En l’espèce, la présomption du régime de responsabilité stricte n’est pas repoussée à l’égard de l’article 329 CSR. La Cour est d’avis que la juge du procès a analysé les défenses soulevées et les a rejetées à bon droit.
Sur la défense d’erreur de fait raisonnable basée sur la défectuosité de l’indicateur de vitesse, la juge conclut que cette défectuosité n’a pas été établie selon le fardeau imposé au défendeur, la prépondérance des probabilités, car elle a été constatée neuf mois plus tard. Le mécanicien a témoigné à titre de témoin ordinaire, aucune preuve d’expert n’a été présentée, et il n’est pas de connaissance judiciaire qu’un téléphone cellulaire est fiable pour mesurer la vitesse.
Quant à la preuve présentée par le témoignage de l’intimé au sujet de sa vitesse qu’il estimait à moins de 115 km/h, la Cour est plutôt d’avis qu’il ne s’agit pas d’un moyen de défense, mais d’un aveu de culpabilité à l’égard de l’infraction d’excès de vitesse. Pour mener à un acquittement, le doute raisonnable quant à la vitesse exacte doit mener celle-ci en deçà de la limite permise.
Dans ces circonstances, la Cour accueille l’appel et retourne le dossier en première instance pour l’audition sur la peine.
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
La catégorisation du régime de responsabilité applicable à l’infraction réglementaire est primordiale puisqu’elle donnera ouverture à certaines défenses qui seraient autrement non disponibles au défendeur. La Cour suprême a pour la première fois distingué les deux régimes de responsabilité stricte et absolue dans l’arrêt incontournable Sault Ste. Marie. La responsabilité absolue se rapporte à la notion de responsabilité sans faute : la culpabilité se prouve par la seule preuve que l’acte reproché a été commis.
À l’autre côté du spectre, les infractions dites de mens rea ou de faute morale, qu’elle soit subjective ou objective, qui consiste à prouver chez le défendeur un état d’esprit conscient comme une intention, une connaissance ou une insouciance, pour que l’infraction soit consommée, en plus d’exiger la présence de l’élément matériel de l’infraction ou actus reus.
Quant à une infraction de responsabilité stricte ou de négligence réglementaire, qui est le régime de responsabilité présumé aux infractions pénales québécoises, l’accomplissement de l’acte comporte une présomption d’infraction, mais le défendeur pourra opposer qu’il a pris toutes les précautions nécessaires afin d’écarter sa responsabilité, comme la diligence raisonnable ou encore l’erreur de fait raisonnable. C’est ce régime de responsabilité qu’on retrouve généralement aux infractions contre l’ordre public.
CONCLUSION
Il n’existe donc plus de tergiversation jurisprudentielle en matière réglementaire et le droit est dorénavant limpide au Québec grâce à la présomption d’interprétation d’application générale aux infractions pénales.
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