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Congédiement administratif : l’avènement d’un 6e critère d’analyse ?

Me Erika Escalante

L’une des décisions marquantes en droit du travail de l’année 2019 est assurément l’affaire Kativik[1], dans laquelle la Cour d’appel du Québec soulève l’application d’un sixième critère en matière de congédiement administratif : les efforts raisonnables déployés par un employeur pour réaffecter un employé dans un autre poste compatible.

Le litige dans la présente affaire a pris naissance à la suite du congédiement d’un technicien en administration (ci-après le « Salarié ») pour rendement insatisfaisant. Ce dernier était à l’emploi de la Commission scolaire Kativik (ci-après « l’Employeur ») depuis 1998 et occupait ce poste depuis plus de dix années. En raison des difficultés rencontrées pour accomplir les tâches inhérentes à ce poste, celui-ci avait effectué des tâches allégées au cours de ces années. Toutefois, à la demande de la nouvelle directrice de l’éducation des adultes, il avait dû prendre part à un plan d’amélioration du rendement d’une durée de trois mois afin de mettre à niveau ses compétences, lequel fut infructueux. Avant de procéder à son congédiement, l’Employeur lui avait offert une mutation à un poste de réceptionniste, en exigeant une réponse de sa part dans un délai de trois jours. Le Salarié refusa cette offre, et s’en est suivi son congédiement.

En 2005, la Cour d’appel avait rendu une décision de principe en la matière, l’affaire Costco Wholesale Canada Ltd[2], dans laquelle elle énonçait qu’un employeur doit avoir satisfait les critères suivants avant de procéder à un congédiement pour motif de rendement insatisfaisant :

  1. Le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
  2. Ses lacunes lui ont été signalées;
  3. Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  4. Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
  5. Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

 

Décisions des instances inférieures

 

Sentence arbitrale [3] 

Considérant l’ensemble des circonstances en l’espèce, notamment l’ancienneté du Salarié, la tolérance de l’Employeur face à sa prestation de travail pendant ces années et la présence d’une disposition relative à la sécurité d’emploi dans la convention collective, l’arbitre Ménard conclut que le congédiement en l’espèce constituait une mesure abusive « principalement en raison du fait que l’employeur a failli à son obligation de trouver une solution alternative raisonnable ». En ajout, il reproche à l’employeur d’avoir octroyé au Salarié qu’un délai de trois jours pour réfléchir à son offre de mutation à un autre poste. Il ajoute qu’en laissant dans l’ignorance le Syndicat quant au plan d’amélioration du rendement, l’Employeur « s’est privé d’un précieux outil de gestion » puisqu’il aurait été un « allié pour satisfaire à son obligation de trouver une alternative au congédiement ». Il a donc accueilli le grief et a annulé le congédiement du Salarié.

 

Décision de première instance[4]

L’employeur se pourvoi en Cour supérieure contre ce jugement au motif que l’arbitre Ménard a erré en lui imposant l’obligation de tenter de réaffecter le Salarié à un autre poste avant de procéder à son congédiement puisque ce critère n’est pas applicable en droit québécois. Or, le Tribunal est plutôt d’avis que ce critère, trouvant assise du « test Édith Cavell[5] », repris depuis à travers le Canada, et même approuvé par la Cour suprême du Canada en 2004[6], sous la plume de l’Honorable Iacobucci, doit trouver application au Québec en matière de congédiement administratif pour incompétence. Il conclut que la sentence arbitrale rendue est raisonnable et rejette le pourvoi en contrôle judiciaire de l’Employeur.

 

Analyse et motifs de la décision

Bien que la Cour considère que « le juge de première instance se méprend dans sa manière d’aborder le caractère raisonnable de la sentence arbitrale », car il « ne lui revenait pas statuer sur sa propre vision du droit applicable à un congédiement administratif, mais il devait uniquement déterminer si la sentence arbitrale à l’étude comportait les attributs de la raisonnabilité »[7], elle refuse d’intervenir puisque cette erreur n’est pas déterminante dans l’issue du litige.

La Cour ne retient pas l’argument soulevé par l’appelante selon lequel l’arbitre aurait dû automatiquement maintenir le congédiement du Salarié pour rendement insatisfaisant dès lors qu’il avait constaté que les cinq critères du « test Costco » étaient satisfaits. Elle est plutôt d’avis que « l’appelante fait fausse route en ne voyant ici qu’une seule issue possible »[8] puisque « la question de savoir si un congédiement pour rendement insatisfaisant est justifié au regard des règles pertinentes est contextuelle »[9]. Ainsi, elle confirme qu’il n’est pas déraisonnable pour un arbitre de griefs, lorsque les circonstances de l’affaire dont il est saisi le lui permettent, de conclure au caractère injustifié d’un congédiement administratif pour incompétence lorsqu’un employeur n’a pas fait les efforts raisonnables pour réaffecter un salarié dans un autre emploi disponible et compatible avec ses aptitudes.

À l’unanimité, elle rejette l’appel et maintient la sentence arbitrale rendue.

 

Conclusion

En plus de satisfaire les cinq critères de l’arrêt Costco, précité, une sixième obligation incombe, en certaines circonstances, aux employeurs québécois désirant congédier un salarié pour rendement insatisfaisant.

Toutefois, il est important de souligner qu’il ressort de cette décision qu’il s’agit d’une obligation de moyen, et qu’elle ne saurait être impérative de façon automatique dans tous les cas d’espèce.

Malgré tout, il est intéressant de constater que depuis qu’elle a été rendue au mois de mai 2019, cette décision a déjà été mentionnée à maintes reprises par les Tribunaux québécois, ce qui laisse présager qu’elle continuera de faire couler beaucoup d’encre.

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__________________________

[1] Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961

[2] Costco Wholesale Canada Ltd c. Laplante, 2005 QCCA 788

[3] Association des employés du Nord Québecois c. Commission scolaire Kativik, 2015 CanLii 14969

[4] Commission scolaire Kativik c. Ménard, 2017 QCCS 4686

[5] Edith Cavell Private Hospital c. Hospital Employees’ Union, Local 180, (1982) 6 L.A.C. (3d) 229

[6] A.U.P.E. c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28

[7] Idem note 1, par. 3

[8] Idem note 1, par. 16

[9] Idem note 1, par. 17