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Dualité entre devoir de représentation et régie interne

Par Béatrice Proulx

 

Alors que nous publions en 2021 un article portant sur la quérulence, notamment dans un contexte de plaintes pour défaut de représentation du syndicat en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail, nous abordons aujourd’hui un sujet connexe.

Il peut s’avérer difficile pour les syndicats de concilier leurs obligations envers les membres avec celles qui ont trait à l’administration et la bonne gouvernance de la vie associative. À première vue, il parait évident que l’organisation, les structures, les règles et les autres mécanismes constituent l’essence même de la gestion de ces entités distinctes et dynamiques[1]. Ces sphères englobent, entre autres, l’élection et la destitution d’officiers syndicaux, l’appartenance et l’adhésion au syndicat, les modalités de vote en assemblée générale, l’application des politiques internes ou les relations entre l’exécutif et les membres[2].

Dans notre jargon, ce concept est mieux connu sous l’appellation de « régie interne ».

Sont alors saisis les tribunaux lorsque certaines conduites du syndicat naviguent en zone grise. C’est précisément la question de fond qui occupait le Tribunal administratif du travail dans l’affaire De Chatigny c. Syndicat lavallois des employés de soutien scolaire (SLESS-CSQ)[3], sous la présidence du juge administratif Erick Waddell.

Les faits au soutien de la présente décision dépeignent le portrait d’une salariée qui reproche à son syndicat d’avoir manqué à son devoir de juste représentation dans le cadre de la convocation à une assemblée générale extraordinaire. Elle prétend que le fait d’avoir invité les membres via la plateforme Facebook plutôt que par courriel ne permettait pas de rejoindre le plus grand nombre de personnes. Madame De Chatigny s’était inscrite en remplissant le formulaire sur la page Facebook, mais n’avait jamais reçu le lien de l’assemblée qui devait se tenir virtuellement par Zoom. Elle a donc été privée d’exercer son droit de vote à la grève proposée en assemblée. Selon la plaignante, il s’agirait d’une pratique discriminatoire à l’égard des membres qui n’auraient pas reçu la convocation.

En réponse à cette plainte, le Syndicat demandait le rejet sommaire au motif que les reproches de la plaignante ne relèvent pas de l’obligation générale prévue à l’article 47.2 C.t., mais plutôt de la régie interne. Ainsi, le Tribunal n’aurait pas la compétence requise pour intervenir.

Verdict : la plainte est rejetée. Le Tribunal affirme qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général de surveillance sur l’ensemble des actions d’un syndicat, moins encore sur celles se situant en dehors de la relation salarié-employeur. Pour en arriver à une telle conclusion, le juge examine l’étendue du devoir de juste représentation par rapport aux allégations en cause :

« [10] Il est bien établi que l’obligation prévue à l’article 47.2 ne couvre pas les questions relevant de la gestion interne du syndicat, mais plutôt les actes du syndicat où il agit comme écran entre le salarié et l’employeur en vertu de son monopole de représentation prévu au Code. »

De la même manière, dans la récente décision Huard c. Unifor[4], une autre plainte en 47.2 C.t. se voit rejetée au motif que les allégations ne sont pas couvertes par la disposition précitée. Cette fois, la plainte portait sur le refus du syndicat de considérer une candidature au poste de président du comité syndical qui avait été reçue hors délai. Il est de jurisprudence constante[5] que les élections à des fonctions syndicales ne relèvent pas du devoir de juste représentation.

Le même raisonnement s’est appliqué en matière de remboursement de sommes dues en vertu d’une Politique de remboursement des salaires et des dépenses adoptée par le Syndicat[6]. Plus précisément, les sommes correspondaient aux périodes où un salarié libéré agissait à titre de délégué syndical. Le Tribunal a dû décliner compétence, voyant que la réclamation relevait manifestement de la gestion interne du Syndicat.

À la lumière des illustrations qui précèdent, on en retient que la ligne n’est pas aussi mince qu’elle ne le semble entre le devoir de juste représentation des syndicats à l’égard des membres et leurs activités associatives. Résumé succinctement, dès lors que les actions du syndicat n’ont pas pour effet d’affecter la défense des intérêts du salarié face à l’employeur, les associations n’ont pas nécessairement d’obligation d’égalité de traitement[7]. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les salariés conservent leurs recours devant les tribunaux de droit commun.  Chaque cas étant un cas d’espèce, la prudence est de mise et la bonne foi continue de gouverner la conduite des parties.

 


[1] Anne PINEAU, « Le devoir de représentation syndicale : une dérive inquiétante », dans S.F.C.B.Q., vol. 293, Développement récents en droit du travail (2008), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 143.

[2] Voir notamment : Pagé et Alliance des intervenantes en milieu familial Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (CSQ), 2019 QCTAT 873.

[3] De Chatigny c. Syndicat lavallois des employés de soutien scolaire (SLESS-CSQ), 2021 QCTAT 4969.

[4] Huard c. Unifor, 2022 QCTAT 598.

[5] Voir notamment : Michaud c. Syndicat de la fonction publique du Québec, 2007 QCCRT 0461, par. 14.

[6] El Alaoui Cherifi c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale-CSN (STT du CIUSSS-CN-CSN), 2021 QCTAT 5236.

[7] Meier c. Métallurgistes unis d’amérique, section locale 7625, 2006 QCCRT 233 ; Gilbert c. Syndicat des chauffeurs de la Société de transport de la Ville de Laval (CSN), 2005 QCCRT 471 ; Beausoleil c. Syndicat des travailleurs(euses) du Centre d’accueil Éloria Lepage (CSN), 2005 QCCRT 0576; Mainville c. Section locale 405 du syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier (SCFP), 2005 QCCRT 202 ; Paradis c. Métallurgistes unis d’Amérique, local 9379, 2005 QCCRT 230 et Cusson c. Syndicat des employés de Soucy international inc., 2005 QCCRT 41 .