Au cours de la dernière année, le gouvernement du Québec a largement insisté, par voie de décrets et d’arrêtés ministériels, sur l’importance de prioriser le télétravail lorsque possible.
Ces actions gouvernementales ont évidemment suscité plusieurs questions quant à l’étendue des droits des employés et des obligations des employeurs en matière de télétravail.
Dans différents milieux de travail, plusieurs employés se sont posés la question à savoir si l’employeur était obligé de leur offrir du télétravail.
Cette question a suscité davantage d’intérêt lorsque, le 25 juin 2020, le décret 689-2020 (le décret) a été adopté. Ce décret prévoit notamment ce qui suit[1] :
« ATTENDU QUE différentes mesures sanitaires sont recommandées par les autorités de santé publique et qu’il est de la responsabilité de toute personne, entreprise ou organisme de prendre les moyens nécessaires afin qu’elles soient respectées ; »
« QUE, lorsqu’une prestation de travail peut être rendue à distance, le télétravail à partir d’une résidence principale ou de ce qui en tient lieu soit privilégié ; » [Nos soulignements]
À la lumière de ce décret, le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (le syndicat) a déposé un grief demandant au tribunal d’arbitrage de forcer la Ville de Québec (l’employeur) à permettre aux agents affectés au service 311 de fournir leur prestation de travail en télétravail[2].
La décision récemment rendue dans cette affaire traite des obligations des employeurs en matière de télétravail ainsi que de l’étendue de la compétence du tribunal d’arbitrage à intervenir en semblables matières.
Compétence du tribunal d’arbitrage
Le tribunal souligne d’abord qu’en l’absence de dispositions sur le télétravail dans la convention collective sa compétence se limite à vérifier si l’employeur a correctement appliqué le décret ou si, au contraire, il agit de mauvaise foi, de façon discriminatoire ou abusive[3]. Il se prête donc à cette analyse.
Application du décret
Afin de déterminer si l’employeur a correctement appliqué le décret, le tribunal se penche sur le texte même du décret qui prévoit que « lorsqu’une prestation de travail peut être rendue à distance, le télétravail à partir d’une résidence principale ou de ce qui en tient lieu soit privilégié ».
Le tribunal conclut que l’utilisation du verbe « privilégier » ne crée pas une obligation pour l’employeur. Il souligne que si l’intention du gouvernement était d’en faire une règle obligatoire, il aurait opté pour des mots qui « oblige » plutôt que « privilégie ».
Le tribunal souligne d’ailleurs que lorsque le gouvernement veut forcer un acte ou l’empêcher, tel que fermer des secteurs d’activités économiques ou imposer un couvre-feu ou un pourcentage d’occupation des locaux, il l’indique de manière non équivoque dans son décret.
Exercice du droit de gérance
Le tribunal souligne que le libellé du décret dicte que les différentes mesures sanitaires sont « recommandées » par les autorités de santé publique et qu’il est de la responsabilité de toute entreprise ou organisme de prendre les moyens nécessaires afin qu’elles soient respectées. Ce qui implique, selon lui, que le droit de gérance reste intact malgré le décret.
Le tribunal juge qu’en l’espèce la décision de l’employeur de ne pas offrir de télétravail à ses employés n’est pas prise de mauvaise foi et n’est ni discriminatoire, ni abusive.
La preuve révèle plutôt que l’employeur a dû composer avec le télétravail en début de pandémie et qu’il retient de cette expérience un grand nombre de problèmes techniques ainsi que des difficultés à assurer la qualité des services offerts au public. Le tribunal retient également que les aménagements nécessaires ont été́ faits pour que la prestation de travail puisse être faite sans danger.
Ultimement, le tribunal conclut que rien ne lui permet d’intervenir dans ce qui est l’exercice du droit de gérance conforme à la latitude qui lui est permise par le décret.
Il y a lieu de mentionner que cette décision ne traite pas de l’arrêté ministériel 2020-105 du 17 décembre 2020[4]. À titre informatif, cet arrêté énonce ce qui suit :
«QUE tous les employés des entreprises, des organismes ou de l’administration publique qui effectuent des tâches administratives ou du travail de bureau continuent ces tâches en télétravail, dans leur résidence privée ou ce qui en tient lieu, à l’exception des employés dont la présence est essentielle à la poursuite des activités de l’entreprise, de l’organisme ou de l’administration publique. »
Conclusion
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que la meilleure façon pour les syndicats et les employés de garantir le respect par l’employeur de pratiques en matière de télétravail est de les intégrer dans les conventions collectives et contrats de travail.
Le télétravail évolue clairement vers une pratique plus courante. Ainsi, il est recommandé que les conditions de travail qui y sont rattachées soient négociées afin d’en délimiter la portée, et ce, tant quant à l’obligation d’en offrir qu’aux conditions entourant son exercice.
[1] https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/decret-689-2020.pdf
[2] Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec et Ville de Québec, 2021 QCTA 89. Décision rendue le 15 février 2021. À noter également qu’une décision préalable a été rendue par l’arbitre dans ce dossier. Une décision rendue le 26 octobre 2020 faisant suite à une demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par le Syndicat : Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec et Québec (Ville), 2020 CanLII 79699 (QC SAT).
[3] Il relève de la juridiction du tribunal de déterminer si le décret a été correctement appliqué, celui-ci étant assimilable à un règlement (en référence à l’art. 100.12 a) du Code du travail, L.R.Q., c. C-27). Le cas échéant, l’intervention du tribunal se limitera à décider si l’employeur a exercé son droit de gérance de façon arbitraire, discriminatoire, abusive ou de mauvaise foi.
[4] https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/AM_2020-105.pdf
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