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Force majeure et autorisation d’absence avec traitement : Où se situe la limite ?

Me Érika Escalante

 

Dans la foulée des événements en lien avec la pandémie de la COVID-19, plusieurs questions relatives aux relations de travail et à l’emploi se posent pertinemment. Les avocats de notre bureau s’efforcent de les cibler et d’y répondre afin de protéger et d’assurer le respect de vos droits pendant cette période de crise sans précédent, mais également après celle-ci.

Le présent article traite de la décision Syndicat du personnel d’enquête de la Commission de la construction du Québec et Commission de la construction du Québec, 2020 QCTA 114, et vise à faire un parallèle avec des situations dans lesquelles vos membres pourraient se retrouver en raison du virus.

 

Trame factuelle

Toutes victimes d’inondations à leur domicile respectif, mais à des moments différents, les trois plaignants de la présente affaire ont fait des demandes à leur Employeur, la Commission de la construction du Québec, afin que leurs absences au travail soient autorisées à titre de congés payés pris dans le cadre d’un événement de force majeure, ce que leur permet la convention collective qui régit leurs conditions de travail.

Ces demandes sont refusées par l’Employeur, car il est d’avis qu’elles ne remplissent pas les conditions d’octroi d’un tel congé avec traitement.

Suivant ces refus, plusieurs griefs sont déposés par le Syndicat.

La clause de la convention collective qui fait l’objet du présent litige est la suivante :

18.01 La présente convention collective autorise l’employé à prendre une période de congé sans perte de salaire dans les circonstances suivantes :

h) un maximum de trois (3) jours ouvrables par année pour couvrir tout autre événement de force majeure (désastre, feu, inondation) qui oblige un(e) employé(e) à s’absenter de son travail ou toute autre raison qui oblige l’employé(e) à s’absenter de son travail et sur laquelle l’Employeur et le conviennent.

 

Dans le premier cas, la plaignante s’était absentée du travail pendant une journée pour assister aux travaux de reconstruction de son sous-sol. Ces travaux devaient initialement avoir lieu quelques jours après la survenance des inondations, mais ont finalement été effectués au mois de novembre, soit plus de trois mois plus tard. De plus, la plaignante admet à l’audience que d’autres personnes qu’elle auraient pu être présentes lors de ces travaux.

Dans le deuxième cas, le plaignant s’était pour sa part absenté du travail à deux reprises, et avait présenté deux demandes de congé distinctes à l’Employeur. La première demande vise l’absence au travail pour rencontrer un expert évaluateur en sinistre quelques jours après le sinistre, lequel identifie que les infiltrations d’eau ont été causées par une fissure dans le béton, alors que la deuxième demande vise l’absence au travail pour assurer le suivi des travaux de colmatage de la fissure qui avaient débutés un mois après le sinistre.

Dans le dernier cas, le plaignant s’était quant à lui absenté du travail à trois reprises, d’abord, pour rencontrer l’expert en sinistre en charge de déterminer la source du problème, puis le lendemain, pour rencontrer l’équipe experte en après-sinistre chargée de contrôler l’humidité en vue des travaux à effectuer. Finalement, alors qu’il croyait la situation sous contrôle, il fut dans l’obligation de s’absenter du travail après la survenance d’un second dégât d’eau occasionné par des pluies torrentielles, et ce afin de rencontrer à nouveau l’équipe experte en après-sinistre.

 

Analyse et motifs de la décision

Conformément à la jurisprudence applicable en la matière, le Tribunal d’arbitrage est d’avis que, pour que leurs griefs soient accueillis, les plaignants doivent faire une preuve qui comporte deux volets :

  1. Établir qu’il s’agit d’un événement de force majeure;
  2. Démontrer que cet événement les oblige à s’absenter du travail.

Quant au premier volet, l’arbitre Rivest est d’avis qu’à l’évidence, les inondations qu’ont vécues les plaignants se qualifient d’événement de force majeure puisqu’elles répondent aux critères bien connus d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. D’ailleurs, il souligne que la convention collective prévoit expressément les inondations à titre d’illustration d’une force majeure. Ce volet n’est pas contesté par la partie patronale. Le Tribunal ne retient toutefois pas l’argument de la procureure de l’Employeur qui invoque que chaque absence, en soi, doit être justifiée par un événement de force majeure, indépendamment des faits antérieurs, puisqu’y faire droit reviendrait à ajouter des conditions à l’application de la clause 18.01 h) de la convention collective.

Dans son analyse du second volet, l’arbitre Rivest mentionne que cette clause qui prévoit un congé avec traitement constitue une exception au principe voulant que le salaire soit intrinsèquement relié à la prestation du travail fourni, et en conséquence, elle a pour objectif de couvrir des situations d’urgence seulement. Plus précisément, l’absence du travail doit être justifiée par l’urgence à agir ou à prendre les mesures nécessaires pour contrer, éviter ou limiter les impacts de l’événement de force majeure.

Suivant ce raisonnement, il ajoute que « les absences subséquentes à l’évènement lui-même de force majeure doivent démontrer qu’elles sont intimement reliées tant dans la proximité de l’évènement que dans l’urgence pour l’employé d’agir et s’absenter sans que d’autres possibilités raisonnables ne puissent être envisagées. » Ce faisant, il met en lumière l’importance d’évaluer l’urgence en regard d’un aspect temporel d’une part, et d’autre part, de la nécessité d’agir, après une évaluation des autres avenues possibles.

L’arbitre analyse la situation de chacun des plaignants comme un cas d’espèce.

 

Conclusion

Dans le premier cas, il est d’avis que la demande de congé payé pour assurer le suivi des travaux de reconstruction suite aux inondations ne peut être autorisée, car elle ne remplit pas les conditions ci-haut mentionnées. Le grief est rejeté.

Dans le cas du deuxième plaignant, l’arbitre accueille partiellement de grief, car la demande qui visait l’absence afin de rencontrer l’expert en sinistre est directement liée à la nécessité de préserver les biens endommagés par l’événement de force majeure. Toutefois, celle qui visait l’absence en lien avec les travaux de colmatage de fissure ne peut être autorisée puisque ces travaux n’ont pas cet objectif.

Pour ces mêmes motifs, le grief du troisième plaignant est accueilli. L’arbitre considère que les trois absences du plaignant étaient couvertes par l’objet de la clause 18.01 h) de la convention collective, et donc que les demandes de congé avec traitement en lien devaient être autorisées par l’Employeur.