Harcèlement psychologique sur une période continue de plus de vingt ans : le TAT confirme une récidive, rechute ou aggravation

20 août 2025

Dans la décision A.B. et Ville de Saguenay, 2025 QCTAT 2717, (j.a. Chantal Girardin), plaidée avec succès par Me Amélie Soulez, associée partenaire au sein de notre cabinet, le Tribunal accueille les contestations de la travailleuse à l’encontre des décisions ayant déclaré qu’elle n’avait pas subi de lésions professionnelles.

La travailleuse est policière pour le service de police de la Ville de Saguenay. Elle possède un long historique de réclamations à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « Commission ») vu le harcèlement psychologique continu qu’elle subit depuis plus de vingt ans.

Le 23 mars 2020, la travailleuse allègue avoir subi à nouveau une récidive, rechute ou aggravation qu’elle relie à ses lésions professionnelles antérieures de trouble de l’adaptation. Tant la Commission que la révision administrative refusent cette réclamation, la travailleuse conteste ainsi cette décision devant le Tribunal. La travailleuse conteste également la décision de la Commission et de la révision administrative de reconnaître un lien entre la modification négative de son état de santé et le travail à la suite d’une autre réclamation produite le 14 juin 2022.

Dans les deux dossiers, les parties admettent que l’état psychologique de la travailleuse s’est modifié négativement. Quant à la première réclamation, le Tribunal doit déterminer si la modification négative de l’état psychologique de la travailleuse le 23 mars 2020 est en lien avec ses lésions professionnelles antérieures. Quant à la deuxième réclamation, le Tribunal doit qualifier la lésion du 14 juin 2022 subie par la travailleuse, à savoir s’il s’agit d’un nouvel évènement ou d’une récidive, rechute ou aggravation.

Sur le premier dossier, tant l’employeur que la travailleuse prétendent que celle-ci est en relation avec la fragilisation de l’état de santé psychologique de cette dernière découlant des séquelles permanentes de ses lésions antérieures et que les conséquences des blessures psychologiques sont responsables de cette modification négative de son état de santé. Ils allèguent que l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de quartier de l’arrondissement de Chicoutimi et sa nouvelle affectation au quartier général de l’arrondissement de Jonquière sont majoritairement responsables de cette modification.

Pour sa part, la Commission est d’avis que les principaux facteurs de stress de la travailleuse, qui sont contemporains à cette réclamation, sont de nature purement personnelle et en lien avec la pandémie de la COVID-19. D’ailleurs, l’annonce du transfert de la travailleuse au poste d’accueil du quartier général situé dans l’arrondissement de Jonquière fait partie du droit de gérance de l’employeur. Ainsi, il n’y a pas de relation entre cette modification et le travail.

En regard du deuxième dossier, l’employeur et la travailleuse sont d’avis qu’il s’agit d’une récidive, rechute, ou aggravation de ses lésions professionnelles antérieures. Pour sa part, la Commission soutient que la travailleuse a bel et bien été victime d’une lésion professionnelle à cette date, et ce, en regard de la preuve nouvelle ayant été présentée durant l’enquête et l’audition. Cependant, elle est d’avis qu’il s’agit d’un nouvel événement et non pas d’une récidive, rechute, ou aggravation. Selon elle, les faits non contestés sont objectivement traumatisants et démontrent que la travailleuse a, de nouveau, été confrontée à du harcèlement psychologique dans son milieu de travail et que ces événements sont majoritairement responsables de la modification de son état de santé psychologique. Le Tribunal doit donc déterminer s’il s’agit d’un nouvel évènement ou d’une récidive, rechute ou aggravation.

Le Tribunal rappelle que le concept de récidive, rechute, ou aggravation ne s’applique pas uniquement dans le cadre d’une blessure physique, mais peut aussi s’appliquer à une condition de nature psychologique. Il n’est pas non plus défini par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, mais la jurisprudence constante en la matière interprète toutefois ces termes comme étant une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion ou de ses symptômes. Il n’est pas nécessaire qu’un fait nouveau survienne, qu’il soit accidentel ou non.

Concernant la première réclamation, le Tribunal est d’avis que vu les circonstances particulières du présent dossier, il doit déterminer si, de manière prépondérante, il existe un lien de causalité entre la modification négative de l’état de santé psychologique de la travailleuse et ses lésions professionnelles antérieures de même nature. Plus précisément, la travailleuse doit démontrer, et ce, de manière prépondérante, qu’il existe un lien plausible, logique et suffisamment étroit entre les conséquences de ses lésions antérieures et la modification de son état de santé psychologique. En d’autres mots, cette modification doit découler plus probablement de ces lésions professionnelles que de toute autre cause. Il n’est donc pas nécessaire que survienne un nouvel événement au travail pour qu’une récidive, rechute, ou aggravation soit reconnue, tant pour une lésion de nature physique que psychologique.

Le Tribunal privilégie l’opinion de l’expert de la travailleuse. Lors de son examen objectif, ce dernier a observé chez elle une forme de perception cristallisée d’être victime de harcèlement et de victimisation chronique en milieu de travail, et ce, depuis 2003. Un seul facteur de stress à la source de la condition psychologique de la travailleuse est retenu par l’expert de cette dernière, soit, les problèmes professionnels récurrents vécus. Il ne note aucun facteur de stress extrinsèque qui pourrait expliquer médicalement la fragilisation autre que la décision de l’assureur de mettre fin aux prestations d’assurance-salaire, cette interruption découlant notamment de la dénonciation d’un collègue de la travailleuse.

Le Tribunal conclut que le trouble de l’adaptation, qui s’est chronicisé au fil du temps, est d’une gravité certaine. Les agressions psychologiques que la travailleuse a endurées à son travail durant plus de 20 ans ont été le fait de collègues, mais aussi de personnes en position d’autorité, ayant contribué à l’émergence de divers symptômes qui ont eu d’importantes répercussions dans la vie personnelle de la travailleuse.

Il est par ailleurs manifeste que celle-ci a continué à vivre avec des symptômes importants malgré la consolidation de ses lésions professionnelles antérieures.

Par ailleurs, dans bien des décisions ayant été prises dans le dossier de la travailleuse, l’employeur a abusé de son droit de direction et ne l’a pas utilisé de manière raisonnable et équitable, notamment, il n’a pas respecté les limitations fonctionnelles de la travailleuse, notamment lors de l’annonce de la fermeture du poste d’accueil de l’arrondissement de Chicoutimi, en mars 2020.

En effet, il était inévitable que, au quartier général, cette dernière soit régulièrement en contact avec ses anciens harceleurs. Ce transfert a entraîné pour la travailleuse, qui était déjà fragilisée, des conséquences désastreuses sur son état psychologique. Le délai entre sa réintégration dans l’emploi convenable et la modification négative de son état de santé est par ailleurs très court. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2020 dont le diagnostic est un trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive chronique.

Concernant la deuxième réclamation, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante milite en faveur de la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation en juin 2022 et non pas d’un nouvel événement. En effet, l’ensemble des spécialistes en psychiatrie sont de cet avis, et bien que le Tribunal ne soit pas lié par ceux-ci, il estime que les opinions émises par ces experts sont crédibles, probantes et appuyées par des compétences cliniques significatives. Il n’y a donc pas lieu de les écarter dans ce dossier.

Le Tribunal constate que ce sont majoritairement les séquelles fonctionnelles découlant de ses lésions professionnelles antérieures qui sont responsables de ses erreurs ou oublis en lien avec son manque de concentration qui ont mené à sa suspension sans solde à durée indéterminée en juin 2022.

De plus, le Tribunal tient à souligner que la travailleuse a dû, en plus de subir du harcèlement psychologique de manière continue durant plus de 20 ans, se battre pour faire reconnaître, tant auprès de son employeur que de la Commission, qu’elle a été victime de lésions professionnelles. Il déplore les nombreuses démarches administratives ayant dû être entreprises par la travailleuse depuis 2005 afin de faire valoir ses droits et obtenir gain de cause. Il est anormal qu’une travailleuse ait à contester chacune des décisions de la Commission découlant de ses réclamations au Tribunal. Ces nombreuses décisions défavorables et qui ont toujours eu une conclusion favorable débordent de ce qui est normalement acceptable dans le cadre de la gestion de ce type de dossier. En plus des faits survenus au travail, elle a dû avoir le courage de se battre à chaque réclamation contre son employeur et la Commission.

C’est donc l’ensemble de ces événements, ainsi que ses séquelles fonctionnelles découlant du harcèlement psychologique subi durant des années qui sont responsables de la modification négative de l’état de santé de la travailleuse. Un fait éloquent qui démontre, de manière prépondérante, qu’il existe un lien entre cette modification et le travail, est que le docteur Turcotte, dans son rapport d’expertise du 16 juillet 2024, observe une nette amélioration de son état psychologique dès le retrait du travail et de l’acceptation de la travailleuse du fait qu’elle ne pourra plus exercer son métier de policière, métier qu’elle adorait. La contestation est accueillie et le Tribunal considère cet événement comme une récidive, rechute ou aggravation.

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Milia Langevin

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