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La portée de la vie privée à l'heure des enquêtes policières en matière de cyberprédation.

Me Ariane Bergeron St-Onge

 

Le 18 avril dernier, la Cour suprême du Canada rendait la décision La Reine c. Mills[1], dans laquelle la Cour devait procéder à l’exercice délicat de balancer le droit à la vie privée et l’utilisation d’une technique d’enquête policière, qui consistait à prendre une capture d’écran de communications électroniques obtenues sans mandat.

L’accusé Mills, alors majeur, entretenait des communications sexuellement explicites en ligne avec un agent d’infiltration qu’il croyait être une jeune fille de 14 ans. Il a ultimement été inculpé de leurre après avoir été arrêté dans un parc où il lui avait donné rendez-vous. Au procès, l’accusé a tenté de faire exclure la preuve des captures d’écran de ses conversations électroniques. Il prétendait à une atteinte à sa vie privée.

Bien que les motifs exposés par la Cour soient partagés, celle-ci est unanime sur le traitement à réserver à cette affaire : la preuve ainsi obtenue est admissible au procès. Le présent pourvoi soulève deux principales questions:

 

La technique d’enquête utilisée par un agent d’infiltration équivalait-elle à une fouille ou à une saisie des communications en ligne de l’accusé Mills au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) ?

La police a-t-elle intercepté une communication privée conformément à l’article 184.2 du Code criminel (ci-après C.cr.) en l’absence d’une autorisation judiciaire préalable?

 

Les faits

En 2012, une opération d’infiltration est menée sans autorisation judiciaire afin de procéder à des arrestations de cyberprédateurs pour ainsi lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. L’agent d’infiltration Hobbs, qui travaillait à cette opération, avait d’abord créé une adresse courriel fictive, puis un profil Facebook sous le même faux nom, afin de se faire passer pour une adolescente. Il s’est fait aborder par l’accusé qui lui avait envoyé une demande d’amitié; s’est ainsi amorcée une relation virtuelle pendant plus de deux mois, lors de laquelle des communications sexuellement explicites se sont échangées. Les policiers ont conservé ces communications grâce à un logiciel de captures d’écran.

 

L’analyse

La majorité de la Cour a conclu par la négative aux deux questions soulevées. D’une part, l’accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de ses communications. Il ne peut donc y avoir de fouille au sens de l’article 8 de la Charte sans cette atteinte. D’autre part, la majorité retient que l’article 184.2 C.cr. ne s’applique pas au présent dossier.

 

Respect de la vie privée

La majorité souligne que dans le présent cas, la nature de la relation et la nature de la technique d’enquête utilisée sont décisives. Elle conclut que l’accusé ne pouvait prétendre à une expectative de vie privée sur ces communications électroniques : il s’entretenait avec une personne qui lui était inconnue, et la technique d’enquête utilisée permettait à l’agent d’infiltration de savoir d’avance qu’une telle communication aurait lieu. Par ailleurs, la majorité de la Cour souligne que les communications en ligne ne doivent pas être distinguées des messages textes, sur le plan juridique.

Bien que la majorité reconnaisse que l’accusé possédait un droit direct à l’égard des communications auxquelles il avait lui-même participé, et qu’il pouvait conséquemment s’attendre à ce que ces échanges soient privés, il n’en demeure pas moins que l’attente subjective au respect de sa vie privée n’était pas objectivement raisonnable dans les circonstances. Les adultes ne peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée dans leurs communications en ligne avec des enfants qu’ils ne connaissent pas. En l’espèce, les policiers connaissaient la nature de la relation avant qu’il ne puisse y avoir atteinte à la vie privée. L’article 8 de la Charte ne trouve donc pas application.

 

Communication privée au sens de la partie VI du Code criminel

Les articles 183 et suivants, prévus à la partie VI du Code criminel, prévoient l’encadrement légal de la surveillance électronique par les agents de l’État. Cette 6ème partie du Code s’intitule d’ailleurs « Atteintes à la vie privée ». La Cour suprême a qualifié à de nombreuses reprises[2] la surveillance électronique comme une atteinte très grave à la vie privée des justiciables, d’où la nécessité de prévoir des dispositions spécifiques à ces techniques d’enquête fort intrusives.  

L’article 183 C.cr. définit ce que constitue une communication privée, soit « une communication orale ou télécommunication […] qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers ». L’auteur d’une telle communication doit donc avoir une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de celle-ci afin d’engendrer l’application des protections prévues à la partie VI du Code criminel, notamment l’obligation légale d’obtenir une autorisation judiciaire.

Comme la majorité de la Cour a déjà conclu qu’en l’espèce, l’accusé ne pouvait soutenir raisonnablement à la protection de son droit à la vie privée à l’égard de ses communications, elles ne sont pas privées au sens de la définition de l’article 183 C.cr.

L’article 184.2 C.cr. qui prévoit que « toute personne […] peut intercepter une communication privée si l’auteur de la communication ou la personne à laquelle il la destine a consenti à l’interception et si une autorisation [judiciaire] a été obtenue » ne trouve pas application en l’espèce.

 

Conclusion

Le fragile équilibre entre le respect des droits constitutionnels des individus et les techniques d’enquête utilisées par les agents de l’État mérite un examen minutieux en tenant compte de l’ensemble des circonstances. La majorité de la Cour souligne ici que l’opération d’infiltration utilisée ne requiert peut-être pas d’autorisation judiciaire dans les circonstances propres au présent dossier, mais ses motifs ne peuvent être lus comme invitant les policiers à surveiller des communications « dans l’espoir de tomber sur une conversation qui révèle une activité criminelle ». Conclure ainsi dénaturerait complètement les motifs du Plus Haut Tribunal.

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[1] 2019 CSC 22, https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/17683/index.do?q=mills+2019.

[2] R. c. Duarte [1990] 1 R.C.S. 30, R. c. Tse, [2012] 1 R.C.S. 531.