Dans l’affaire Association des employeurs maritimes (l’AEM) – 2024 CCRI LD 5525 (Me Louise Fecteau, Vice-présidente), le Conseil canadien des relations industrielles (ci-après, le Conseil) conclut que le syndicat pouvait exercer son droit de grève, même partiellement, sans contrevenir à son obligation de négocier de bonne foi. Cette décision affirme la légitimité de la grève partielle dans le cadre du régime législatif et de la structure de négociation collective prévue par le Code canadien du travail (ci-après, le Code).
Le 29 septembre 2024, le Conseil a rendu une décision sommaire (Association des employeurs maritimes, 2024 CCRI LD 5468), rejetant la demande de l’AEM. Il a jugé que le préavis de grève transmis par le syndicat respectait les articles 87.2(1) et 89(1) du Code.
Le 28 septembre 2024, l’Association des employeurs maritimes (ci-après, l’AEM) a déposé une demande d’ordonnance provisoire et permanente contre le syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique (ci-après, le syndicat), visant notamment à déclarer la grève illégale et à établir un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, en vertu des articles et alinéas 16, 19.1, 50a), 91 et 97(1)a) du Code.
La convention collective entre le syndicat et l’AEM a expiré le 31 décembre 2023, et depuis, les parties sont en négociations collectives. Dès lors, le 27 septembre 2024, le syndicat a envoyé un préavis de grève à l’AEM annonçant un arrêt complet des opérations aux terminaux Viau et Maisonneuve de la compagnie Termont Montréal inc. (ci-après, Termont), du lundi 30 septembre à 7h00 au jeudi 3 octobre à 6h59 pour une durée de trois jours.
Les prétentions de l’AEM
L’AEM affirme que le syndicat a contrevenu aux art. 88.1 et 89 du Code en transmettant un préavis de grève visant spécifiquement Termont, plutôt que l’ensemble des employeurs qu’elle représente. L’employeur affirme que cela contourne la structure de négociation multipatronale imposée par l’art. 34 du Code, qui exige que les négociations se déroulent collectivement.
D’ailleurs, l’AEM soutient que le syndicat a agi de mauvaise foi en ciblant Termont, car son président est lié à la Mediterranean Shipping Company (MSC), actionnaire de Termont. L’employeur considère cette stratégie comme une atteinte à l’intégrité du régime multipatronal et une tentative de détruire le régime législatif.
L’AEM allègue que le préavis de grève est illégal, car les amarreurs ne sont pas affectés qu’à un seul terminal.
L’AEM demande au Conseil d’annuler le préavis de grève, de déclarer la grève illégale et que le syndicat a manqué à son obligation de négocier de bonne foi.
Les prétentions du syndicat
De son côté, le syndicat soutient que le préavis de grève respectait les dispositions du Code, et que, malgré le refus du Conseil d’accepter la demande en vertu de l’art. 87.4 du Code, les parties ont maintenu des négociations avec l’aide du Service fédéral de médiation et de conciliation, y compris le matin même du 29 septembre 2024.
Le syndicat soutient que la grève visait à faire pression pour accélérer les négociations, en réponse aux engagements non respectés par l’AEM concernant les horaires de travail convenus en 2021 devant l’arbitre André G. Lavoie, et non de négocier directement avec la compagnie Termont.
De plus, le syndicat précise que le préavis de 72 heures a donné à l’employeur le temps de se préparer et souligne qu’il s’agit de la quatrième plainte pour négociation de mauvaise foi déposée par l’employeur dans ce cycle de négociation, les trois précédentes ayant été rejetées.
La décision du Conseil
Le Conseil conclut que les parties ont respecté les étapes de conciliation prévues, conférant au syndicat le droit de grève ou de lock-out en vertu de l’article 88.1 du Code.
D’ailleurs, le Conseil réitère que le Code n’impose pas de forme quant à la grève, et explique que c’est à la discrétion du syndicat de décider de cibler son droit de grève à un seul employeur, comme en l’espèce ou même à certaines activités. Ainsi, le Conseil rejette l’argument de l’AEM selon lequel une grève ciblant un seul employeur contournerait la structure de négociation ou remettrait en question l’accréditation régionale prévue à l’article 34 du Code. Le Conseil considère qu’une grève partielle ne contrevient ni au régime législatif ni à l’obligation de négocier collectivement.
Par ailleurs, le Conseil rejette les arguments de l’AEM, qui soutient qu’un droit de grève est permis dans le contexte d’une relation employeur-syndicat qualifié de « classique », et qu’une grève ciblant un employeur unique serait illégale. Le Conseil précise que l’art. 34 du Code prévoit un mécanisme permettant au représentant patronal de négocier au nom d’employeurs aux intérêts potentiellement divergents, rendant ainsi légale une grève ciblant un seul employeur membre.
Finalement, le Conseil souligne que le syndicat n’a pas cherché à négocier directement avec Termont puisque le préavis et les revendications ont été adressés à l’AEM, qui agit au nom de tous les employeurs, y compris Termont. Le Conseil réaffirme également que les horaires de travail relèvent de la table de négociation et sont inscrits dans la convention collective.
Le Conseil rejette donc la demande de l’employeur.
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