Récemment, le Tribunal d’arbitrage a conclu que les circonstances entourant la démission d’un infirmier-chef d’équipe œuvrant dans un centre d’hébergement ne traduisaient pas une volonté réelle de quitter son emploi. Dans cette affaire, plaidée par Me Sophia M. Rossi, associée principale au sein de notre cabinet, l’arbitre ordonne à l’employeur de réintégrer le salarié rétroactivement à la date de sa lettre de démission.
Dans l’affaire Syndicat des professionnelles en soins de santé du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (FIQ) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, 23 juillet 2024 (a. Amal Garzouzi) (disponible sur demande), le Tribunal d’arbitrage (ci-après, le « Tribunal ») est saisi d’un grief contestant la validité de la démission d’un infirmier-chef d’équipe œuvrant dans un centre d’hébergement. Le salarié avait remis une lettre de démission à l’employeur le 4 mai 2020. Quelques jours plus tard, il change de cap : il informe l’employeur qu’il est malade, qu’il regrette sa démission et qu’il souhaite la retirer. Le salarié fait donc parvenir de la documentation médicale au soutien de ses propos, lesquels sont ignorés par l’employeur qui procède à la fermeture du dossier de l’employé.
Le syndicat demande au Tribunal d’examiner les circonstances qui ont entouré la démission, afin d’évaluer la valeur du consentement du plaignant au moment de celle-ci. Selon la partie syndicale, le salarié n’était pas en état de remettre une démission libre et volontaire. Il demande donc au Tribunal de l’annuler. L’employeur, quant à lui, demande au Tribunal de ne pas intervenir puisque la démission s’est matérialisée par la présence des deux éléments essentiels, soit un élément objectif (une manifestation écrite ou verbale) et un élément subjectif (l’intention de démissionner). Selon lui, la preuve démontre que l’intention qui se dégage des agissements du salarié atteste de sa volonté de démissionner.
La principale question qui se pose devant le Tribunal est de déterminer si les circonstances entourant la démission du salarié traduisent une volonté réelle de quitter son emploi. Évidemment, le premier critère de l’élément objectif est rencontré par la transmission de la lettre de démission ; reste alors l’élément subjectif.
Sous la plume de Me Amal Garzouzi, le Tribunal conclut que le salarié n’avait pas l’intention de démissionner. Tout d’abord, l’arbitre prend en considération le contexte de crise sanitaire dans lequel intervient la lettre de démission. Le salarié avait travaillé les quatre nuits précédant sa démission sur l’étage des patients positifs à la Covid-19, alors que ses fonctions habituelles étaient normalement sur l’étage des patients non infectés. Il avait ensuite pris deux journées de congé de maladie avant de démissionner.
Le Tribunal retient de la preuve que le salarié était épuisé par le fait de prodiguer des soins, seul, comme infirmier pour 144 patients et parfois, sans protection adéquate. S’ajoute à cela le nombre élevé de décès de patients et le contact avec la famille, en sus de l’appréhension face à ce virus, encore peu documenté au moment des faits. Par ailleurs, le dossier médical révèlera plus tard que monsieur vivait une dépression majeure à l’époque pertinente.
En cours d’audience, l’employeur soulève des objections relativement à l’admissibilité en preuve de faits postérieurs à la démission, notamment des documents médicaux. La preuve postérieure est jugée admissible, s’inscrivant dans un continuum de l’état du salarié qui prévalait au moment de démissionner.
Le grief est accueilli et le Tribunal ordonne à l’employeur de réintégrer le salarié rétroactivement à la date de la lettre de démission.
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