Les critères d’un lock-out illégal dans le contexte des services d’urgence d’incendie

9 avril 2024

Le contexte de la décision Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Prévost – SCFP 7161 et Ville de Prévost, 2024 QCTAT 950 est le suivant : le syndicat, représentant tous les pompiers salariés de la ville de Prévost, et l’employeur, la Ville de Prévost, sont en période de négociation du renouvellement de la convention collective échue depuis le 31 décembre 2021.  

Le 12 décembre 2023, la Ville a envoyé une note de service indiquant un changement dans sa manière de procéder pour combler une équipe complète d’intervention. Au lieu de combler le manque par un cadre ou un pompier, la Ville procédera maintenant en ayant recours au service d’une municipalité voisine avec laquelle elle a une entente d’entraide. Conséquemment, aucun membre du syndicat ne sera appelé pour combler le quart de travail et incidemment, les membres ne recevront plus la prime de disponibilité.  

Suivant cela, le syndicat demande au Tribunal administratif du Travail de rendre une ordonnance à l’encontre de la Ville afin de faire cesser les moyens de pression exercés à leur endroit, notamment un lock-out, le tout en vertu des articles 111.16 et suivants du Code du travail. De son côté, la Ville dépose un recours en redressement afin que le syndicat cesse la grève illégale ou un ralentissement d’activités. Selon la Ville, le syndicat ne fournissait aucune disponibilité d’officiers syndiqués pour les périodes de garde. 

Le tribunal doit donc répondre aux questions suivantes :  

1) Le manque de disponibilité d’officiers lors des périodes de garde découle-t-il d’une action concertée?  

2) Dans l’affirmative, cette action concertée porte-t-elle préjudice ou est-elle susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit?  

3) Les pompiers font-ils l’objet d’un lock-out par la mise en application de la note de service du 12 décembre 2023?   

4) Dans l’affirmative, ce lock-out porte-t-il préjudice ou est-il susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit?  

La compétence du tribunal en matière de redressement nécessite la présence de trois éléments : un conflit ; un lock-out ou une action concertée ainsi qu’un préjudice ou un risque vraisemblable de préjudice à un service auquel le public a droit.  

Pour ce qui est du premier critère, la preuve démontre qu’il est évident qu’il y a présence d’un conflit entre les parties. Celui-ci découle notamment du processus de négociation difficile pour le renouvellement de la convention collective, la dernière étant venue à échéance le 31 décembre 2021. Les deux autres critères seront analysés en répondant aux questions énoncées précédemment. 

Tout d’abord, la première question à trancher impose le fardeau à la Ville de démontrer qu’il s’agit d’une décision concertée et non pas de décisions individuelles. La jurisprudence établie qu’une action concertée n’implique pas nécessairement de préméditation, mais une décision qui est prise de concert ou ensemble. Or, bien que la demande d’aide aux autres municipalités ait augmenté drastiquement dans les dernières années, la preuve démontre qu’elle n’est pas entièrement imputable aux refus des salariés de combler les quarts de travail. Ainsi, aucun élément soulevé par la Ville ne permet au tribunal de trancher en faveur du fait qu’il s’agisse d’un refus collectif. La première question est donc répondue par la négative par le tribunal.  

La question relative au préjudice n’a donc pas à être tranchée en l’espèce. 

La troisième question vise essentiellement le reproche de l’utilisation de moyens de pression illégaux par la Ville. Le syndicat, pour rencontrer son fardeau de preuve, doit démontrer l’existence de deux éléments : le fait matériel, soit le refus de fournir du travail, et l’élément intentionnel, soit l’intention de contraindre des salariés à accepter certaines conditions de travail. 

La preuve démontre que la note de service du 12 décembre 2023 a pour effet direct de priver les salariés d’effectuer du travail lors de possibles interventions et de leur prime de garde. En effet, les salariés ne sont plus appelés lorsque se présente une opportunité d’effectuer des interventions. Le refus de fournir du travail est donc démontré. 

Pour ce qui est de l’élément intentionnel, il appert de la preuve soumise que des négociations avaient lieu entre les parties avant l’émission de la note de service contestée. Par cela, le syndicat a l’impression que la Ville veut mettre de la pression sur les membres du syndicat afin de forcer la signature d’une lettre d’entente. Dans un but de compréhension, une rencontre entre les parties a eu lieu quelques jours plus tard afin de discuter de la problématique soulevée par la Ville. Or, le syndicat apprend pour la première fois ce problème de disponibilité. La chronologie des événements de même que l’ensemble des circonstances démontrent que la Ville a agi intentionnellement, de sorte à forcer les membres du syndicat à accepter les conditions de travail. Justement, un délai d’un an s’est écoulé entre la problématique soulevée par la lettre d’entente et la lettre d’entente elle-même. La troisième question est donc répondue par l’affirmative. 

La preuve démontre finalement que ce moyen de pression a pour conséquence de faire attendre en moyenne 12 minutes supplémentaires le citoyen avant qu’il ne reçoive l’aide demandé lors d’appels mineurs. Incidemment, il appert que le public ne reçoit pas le service auquel il a droit de s’attendre et il y a ainsi contravention aux dispositions du Code du travail. 

Le Tribunal ayant compétence pour trancher des questions en litige, la demande du syndicat est accueillie. Le Tribunal déclare donc que la note de service de la Ville constitue un lock-out illégal et est susceptible de porter préjudice aux services d’incendie auquel le public a droit. 

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