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Les moyens de pression en cours de convention collective : les récents développements jurisprudentiels sur la question

Par Me Andrew Charbonneau

 

Le 24 janvier 2022, la Cour d’appel du Québec rend un arrêt important en lien avec la liberté d’association. L’arbitre Flynn a accueilli un grief patronal soutenant que les modifications à l’uniforme de travail en cours de convention collective constituaient un moyen de pression illégal, dans l’affaire Corporation d’urgences-santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du Préhositalier-CSN[1]. La Cour supérieure a  renversé la sentence arbitrale dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire. La Cour d’appel analyse à son tour les motifs du tribunal d’arbitrage.

La question au cœur de ce litige est la suivante : Est-ce qu’un syndicat peut déroger à une disposition de la convention collective, en cours de période d’application de celle-ci, en guise de moyen de pression?

 

A – L’AFFAIRE CORPORATION D’URGENCE-SANTÉ DE LA RÉGION MONTRÉAL MÉTROPOLITAIN

Essentiellement, le syndicat soutenait que la protection constitutionnelle assurée par la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après, « la Charte ») autorise l’exercice de moyens de pression en cours de convention collective. Pour sa part, l’employeur plaidait l’interdiction de déroger à la convention collective durant la période de « paix industrielle ». Ainsi, l’arbitre Flynn devait trancher quelle règle de droit devait avoir préséance dans le cas de figure qui lui était soumis.

Il importe d’abord de rappeler que chacune des instances décisionnelles a réitéré que le Code du travail autorise le recours aux moyens de pression en cours de convention collective. La Cour d’appel mentionne clairement que les articles 107 à 109 du Code du travail n’interdisent que la grève, le lock-out et le ralentissement de travail lorsque la convention collective est en vigueur[2]. Ainsi, tout autre moyen de pression est, en principe, protégé par la Charte, même en cours de convention collective. Il s’agit d’ailleurs de la conclusion à laquelle arrive la Cour supérieure :

[69] Le Tribunal ne peut voir dans le Code du travail une prohibition générale d’actions syndicales en cours de convention autre que les interdictions spécifiques qui y sont mentionnées. La liberté d’expression demeure un droit fondamental tout comme la liberté d’association.

La Cour d’appel n’a pas contredit cette conclusion du juge Nollet. En revanche, la Cour d’appel considère que l’intervention de la Cour supérieure n’était pas nécessaire car le ratio decidendi de l’arbitre de grief était raisonnable. Le raisonnement de l’arbitre est repris par la Cour d’appel:

[75] Tel qu’il ressort de ces extraits, la ratio decidendi de la sentence est qu’au cours de la période de paix industrielle, le Syndicat et ses membres ne peuvent exercer des moyens de pression qui contreviennent à la convention collective. En revanche, ils peuvent recourir à d’autres modes d’expression ou exercer d’autres moyens de pression qui ne sont pas prohibés par le Code du travail, tels que des tracts, communiqués de presse, conférences de presse, manifestations, annonces, macarons, etc.

 [76] La lecture que fait le Syndicat de la sentence arbitrale me paraît donc erronée. L’Arbitre ne confond nullement moyen de pression et grève et ne dit pas que le Syndicat ne peut exercer aucun moyen de pression au cours de la période d’application de la convention collective. Elle dit précisément le contraire et l’on comprend de l’ensemble de ses motifs qu’elle estime que l’obligation imposée aux parties de respecter la convention collective, en l’occurrence la clause 27.01 sur le port de l’uniforme, restreint les libertés d’association et d’expression de manière proportionnée compte tenu des objectifs qui se situent au cœur même du régime de rapports collectifs du travail, à savoir la négociation, la conclusion et l’application de conventions collectives. Tant le raisonnement suivi que le résultat sont raisonnables. [3]

Pour le dire simplement, la Cour d’appel conclut que l’arbitre de grief a appliqué les bons critères jurisprudentiels. L’arbitre a, à bon droit, décidé que la modification d’uniforme constitue un exercice protégé par la Charte. Cependant, le respect de la convention collective, en cours d’application, demeure une restriction proportionnée au sens de l’article 9.1 de la Charte de la liberté d’association, selon l’arbitre Flynn. À ce propos, la Cour d’appel précise que le syndicat n’a pas attaqué la validité constitutionnelle de l’article 27.01 sur le port de l’uniforme :

[57] Ce cadre d’analyse s’applique ici, avec les adaptations nécessaires dans la mesure où le Syndicat ne conteste ni la constitutionnalité de la sentence arbitrale ni la légalité de la clause 27.01 au regard de la Charte. La norme de la décision raisonnable étant une norme unique qui tient compte du contexte, la question demeure de savoir si la sentence arbitrale est justifiée au regard des libertés d’association et d’expression protégées par la Charte.[4]

Cette affirmation est importante. Le syndicat argumentait que l’employeur ne pouvait faire primer la convention collective sur la liberté d’association. Or, jamais, le syndicat n’a soulevé qu’une disposition ayant pour effet d’empêcher l’exercice d’un moyen de pression était inconstitutionnelle. En somme, la Cour d’appel décide qu’il n’y a pas lieu d’intervenir puisque la conclusion de l’arbitre Flynn fait partie des issues raisonnables.

 

B – PLUSIEURS COURANTS JURISPRUDENTIELS

La décision résumée ci-haut se distingue des motifs de l’affaire Fraternité des policiers de Mont-Tremblant où l’arbitre Lavoie arrive à la conclusion suivante :

[167] Comme mon collègue Jean-Yves Brière, je suis d’avis que cette idée de paix industrielle en cours de convention collective ne doit pas recevoir une interprétation aussi large que le prétend la partie patronale, mais qu’elle se limite aux prohibitions codifiées des articles 107 et 108 de Code du travail et ne touche que les moyens visant un arrêt de travail (grève) ou une action concertée touchant directement les tâches à accomplir (ralentissement de travail).[5]

Dans cette affaire, le tribunal d’arbitrage tend plutôt à restreindre la portée du concept de paix industrielle. Pour lui, seuls les moyens de pression s’apparentant à une grève ou un ralentissement de travail sont directement interdits par le Code du travail, en cours de convention collective. Il est à noter que les moyens de pression effectués par le syndicat ne contrevenaient pas à une disposition négociée entre les parties[6].

De son côté, l’arbitre Brière entend un grief patronal semblable à celui soumis à l’arbitre Flynn. Des pompiers entament des moyens de pression, notamment celui de modifier leur uniforme de travail en caserne, et cela, en cours de convention collective. Dans l’affaire Régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-du-Richelieu, le tribunal rend une décision qui se situe à mi-chemin entre les deux courants. En effet, en raison d’un contexte singulier, soit la fusion de plusieurs services incendies municipaux, les parties se sont vu imposer une convention collective par le tribunal administratif du travail. Cependant, la convention collective ne prévoyait aucune condition de travail pour des pompiers permanents ce qui était l’objectif de la création d’une régie intermunicipale. Se basant sur une disposition de la convention collective qui impose aux parties de négocier les conditions de travail d’une nouvelle fonction, l’arbitre Brière détermine que les parties sont de facto en négociation. Malgré la présence d’une clause sur le port de l’uniforme, le tribunal en arrive à la conclusion suivante :

[45] Il est vrai que la convention collective et une directive de l’Employeur décrètent que le port de l’uniforme est obligatoire (art. 24.02 et Directive générale, pièce E-5), le Tribunal estime cependant que cette obligation dans un contexte de négociation que s’imposent elles-mêmes les parties doit céder le pas devant les libertés d’expression et d’association des pompiers;[7]

L’employeur prétendait, à tort, que tout moyen de pression en cours de durée de convention collective était illégal[8].  Malgré le contexte décrit, la suite du jugement semble s’éloigner du raisonnement de l’arbitre Flynn. Me Brière est d’avis que le respect de la convention collective doit céder le pas devant la liberté d’association, en raison du principe de la hiérarchie des sources de droits :

[48] Dans le présent dossier deux droits s’affrontent. D’une part, le droit de l’Employeur au respect de la convention collective (le port de l’uniforme) et d’autre part, la liberté d’expression des pompiers. Le Tribunal estime qu’il doit accorder préséance au droit qui est enchâssé dans la Charte des droits et liberté de la personne (art. 3), et ce, en vertu du principe de la hiérarchie des sources de droit. Cette conclusion peut certes entraîner un certain flottement ou instabilité dans les rapports contractuels prévalant entre les parties, mais il s’agit là de la conséquence de la primauté du droit;

[49] Par ailleurs, il est vrai que la liberté d’expression des pompiers pourrait s’exercer autrement, comme par exemple en publicisant dans les journaux leurs revendications, en faisant pression auprès des conseils des villes, etc. Cependant, il n’appartient pas au Tribunal de dicter au Syndicat la façon de faire. Le rôle du Tribunal est de déterminer si les moyens mis en place sont légalement fondés;[9]

 

CONCLUSION

Au regard des derniers développements jurisprudentiels concernant l’exercice de moyens de pression en cours de durée de convention collective, on peut affirmer que ceux-ci ne sont pas interdits par le concept de « paix industrielle » ou le Code du travail. En revanche, les arbitres de griefs ont accordé une importance variable au respect des dispositions de convention collective négociées pendant cette période. Force est de conclure que l’intervention prudente de la Cour d’appel tend à favoriser une analyse contextuelle de la liberté d’association en cours de convention collective. Chaque arbitre aura à déterminer si le contexte singulier de chaque affaire justifie une restriction proportionnée et minimale de la liberté d’association.

 

 


[1] Corporation d’urgences-santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du Préhospitalier-CSN, 24 octobre 2017 (Me Maureen Flynn).

[2] Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du préhospitalier-CSN

2022 QCCA 97.

[3] Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du préhospitalier-CSN, 2022 QCCA 97

[4] Corporation d’Urgences-Santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du préhospitalier-CSN, 2022 QCCA 97

[5] Fraternité des policiers de ville de Mont-Tremblant c Mont-Tremblant (Ville), 2021 CanLII 88394 (QC SAT)

[6] Fraternité des policiers de ville de Mont-Tremblant c Mont-Tremblant (Ville), 2021 CanLII 88394 (QC SAT), para 178-180

[7] Régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu c Syndicat des pompiers et pompières du québec, section locale régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu, 2020 CanLII 2733 (QC SAT)

[8] Régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu c Syndicat des pompiers et pompières du québec, section locale régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu, 2020 CanLII 2733 (QC SAT), para 22-24

[9] Régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu c Syndicat des pompiers et pompières du québec, section locale régie intermunicipale de sécurité incendie de la Vallée-Du-Richelieu, 2020 CanLII 2733 (QC SAT), para 48-49