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L’obligation de mitigation des dommages en cas de congédiement : survol de la jurisprudence

Me Elizabeth Perreault

 

Le Code civil du Québec prévoit l’obligation, pour une victime, de ne pas aggraver un préjudice subi :

« 1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »

Cet article trouve application en droit du travail, particulièrement dans le cadre de l’évaluation des dommages-intérêts payables à un salarié congédié sans cause juste et suffisante. Concrètement, cela signifie qu’une personne congédiée injustement ne pourra réclamer une indemnisation pour les dommages découlant de la perte d’emploi qui auraient pu être évités si elle avait fait des démarches raisonnables et sérieuses pour se trouver un autre emploi. Par ailleurs, la passivité totale du salarié ou l’absence d’efforts pour se trouver un autre emploi ne peuvent, sauf cas exceptionnel, justifier l’absence totale de toute indemnité[1].

En application de ce principe, un salarié congédié est tenu de minimiser ses dommages en faisant un effort raisonnable pour se trouver un nouvel emploi dans son domaine d’activités ou un domaine connexe, et en ne refusant pas un emploi disponible raisonnable dans les circonstances[2]. Pour démontrer qu’il a cherché de manière active et diligente un emploi dans son domaine, le salarié peut notamment expliquer qu’il a envoyé son curriculum vitae à des entreprises œuvrant dans le même secteur d’activités, qu’il a eu recours aux services d’une firme spécialisée[3] ou qu’il a consulté régulièrement un centre local d’aide à l’emploi[4]. Il est également recommandé de conserver les preuves des démarches effectuées, par exemple les offres d’emploi consultées et les courriels accusant réception de la candidature.   

Le décideur tiendra compte d’une multitude de facteurs afin d’évaluer si le salarié s’est acquitté de son obligation de minimiser les dommages. En effet, l’âge[5], le niveau d’éducation[6], le taux de chômage dans le domaine d’emploi[7], ou encore l’état du marché de l’emploi en général[8] ont été considérés comme étant des paramètres permettant d’évaluer la suffisance des démarches entreprises par un salarié.

Nous recensons ces quelques décisions récentes sur l’obligation de mitigation des dommages :

 

Hôtel Travelodge Montréal Centre et Union des employés de la restauration (Gyselène Multidor), 2020 QCTA 275 (arbitrage de griefs)

Après avoir annulé la fin d’emploi imposée à madame Multidor, l’arbitre Jacques Larivière s’est prononcé sur l’indemnisation à laquelle celle-ci avait droit. Elle réclame un montant de 48 384,19 $, représentant les pertes salariales des trois dernières années. Madame Multidor, âgée de 64 ans, n’a pas de véhicule et n’a pas de diplôme d’études secondaires. À l’audience, celle-ci présente une liste d’endroits où elle aurait envoyé sa candidature et mentionne être allée à quelques reprises au Centre d’emploi de son quartier. Or, la preuve présentée à l’audience est à l’effet que la majorité des employeurs nommés à la liste n’a pas reçu son CV, et que d’autres ont fermé leurs portes plusieurs années auparavant. En dépit de l’âge de la travailleuse et de son faible niveau d’éducation, l’arbitre lui octroya huit semaines de salaire.

 

Trachy et Clinique dentaire Andreea-Oana Radu Mirza, 2020 QCTAT 2685 (tribunal administratif du travail)

La travailleuse occupait le poste d’adjointe administrative pour un cabinet de dentiste depuis près de 30 ans. Lors de l’achat de la clinique par une nouvelle dentiste, la relation d’emploi se détériore et la travailleuse est congédiée. Le congédiement est jugé sans cause juste et suffisante par le Tribunal administratif du travail, et il est établi que la réintégration dans son emploi est impossible. La travailleuse a rempli son obligation de mitiger ses dommages. Grâce à ses démarches, elle a pu se trouver sept contrats de remplacement dans différentes cliniques de dentiste de la région entre 2017 et 2019. Pour calculer la perte salariale de la travailleuse, le Tribunal a donc soustrait les sommes gagnées de ces contrats du salaire qu’elle aurait gagné n’eût été de son congédiement.

 

Société Radio-Canada c Association des professionnels et des superviseurs, 2020 CanLii 25109 (arbitrage de griefs – société fédérale)

Dans cette sentence arbitrale, l’arbitre Serge Brault est appelé à se prononcer sur les sommes dues à une salariée suite à son congédiement. La travailleuse occupait jusqu’à sa fin d’emploi un poste dans les communications chez Radio-Canada depuis trente-trois ans. Elle bénéficiait d’un régime de retraite et de plusieurs avantages sociaux. L’employeur reproche à la travailleuse de ne pas avoir mitigé ses dommages, puisqu’une candidate de son calibre aurait dû se trouver un autre emploi facilement après la fin d’emploi. La preuve démontre plutôt que la travailleuse a consulté une firme spécialisée dans la recherche d’emploi, qu’elle a sollicité tous ses contacts dans le monde des communications et qu’elle a fait une vigie quotidienne des guichets d’emplois, sans succès. Malgré ses démarches, elle a trouvé un poste à temps partiel dans une école, poste rémunéré environ 14 $ de l’heure, alors qu’elle en gagnait plus de 30 $ chez Radio-Canada. Elle a également dû prendre une retraite anticipée. La travailleuse a démontré qu’elle avait mitigé ses dommages.

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[1] Carrier c. Mittal Canada, 2014 QCCa 679.

[2] Standard Radio inc. c. Doudeau, 1994 CanLII 5840 [1994] R.J.Q. 1782 (Cour d’appel).

[3] Voir notamment :  Société Radio-Canada c Association des professionnels et des superviseurs, 2020 CanLii 25109

[4] Idem.

[5] Voir notamment  Hôtel Travelodge Montréal Centre et Union des employés de la restauration (Gyselène Multidor), 2020 QCTA 275

[6] Voir notamment : Syndicat des employés de Transport et Transport LFL inc., 2015 QCTA 259

[7] Voir notamment : UNIFOR, section locale 1213 et Transport Jacques Auger inc., 3 janvier 2020, Me Jean-François La Forge, 2020 CanLii 34.

[8] Voir notamment  Hôtel Travelodge Montréal Centre et Union des employés de la restauration (Gyselène Multidor), 2020 QCTA 275