La région métropolitaine de Montréal a été ébranlée par trois homicides survenus en août 2022. Les trois victimes sont décédées des suites de polytraumatismes par projectiles d’arme à feu. L’une se rendait au travail, l’autre attendait l’autobus et la dernière se rendait chez sa sœur en planche à roulettes. Les trois victimes ne se connaissaient pas. Subséquemment, l’auteur des trois homicides est décédé lors d’une intervention du Groupe tactique d’intervention (GTI) du SPVM. L’enquête policière a démontré que les faits sont survenus alors que l’auteur des trois homicides étaient sous le contrôle de la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM) après avoir été jugé non criminellement responsable d’infractions commisses en 2018. L’enquête sur les circonstances de ces décès ont fait l’objet d’un rapport de la coroner Me Géhane Kamel.
Le présent article se veut un résumé des principales observations juridiques et factuelles de la coroner. Outre l’habituel manque de financement des institutions, la coroner émet des recommandations qui concernent le travail des forces policières.
D’une part, la coroner constate le véritable labyrinthe judiciaire auquel les personnes souffrant de troubles mentaux sont confronté au Québec.
Lorsqu’elle a commis des infractions criminelles, la personne souffrant de troubles mentaux est soumise à l’examen de la Commission des troubles mentaux (CETM) qui relève du Tribunal administratif du Québec (TAQ). La CETM a deux rôles en vertu de la Loi. Elle évalue les verdicts d’inaptitude à subir un procès et les verdicts de non-responsabilité criminelle.
Dans le cas du verdict d’inaptitude à subir un procès, la CETM évalue l’état mental de la personne accusée et détermine si elle est devenue apte à subir son procès. Dans ce cas, la CETM ordonne son retour devant la cour criminelle.
Dans le cas du verdict de non-responsabilité criminelle, la CETM évalue l’importance du risque que présente la personne accusée pour la sécurité du public, en fonction, notamment, de son état mental. La CETM décide si la personne doit être libérée, avec ou sans condition. La CETM détermine si la détention se fait en milieu hospitalier et elle fixe les mesures pour assurer la protection du public[1].
Une personne souffrant de troubles mentaux peut simultanément être soumise à la Cour du Québec pour une garde préventive, une garde provisoire ou une garde autorisée en établissement. La garde préventive est autorisée pour une durée maximale de 72 heures lorsqu’un médecin est d’avis que la personne souffrant de troubles mentaux présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. Elle s’applique en l’absence de consentement de la personne, en l’absence d’autorisation du tribunal et en l’absence d’évaluation psychiatrique préalable. Essentiellement, il s’agit d’une décision médicale prise par un médecin.
La garde provisoire repose sur une ordonnance de la Cour du Québec. Elle sert à garder en établissement une personne souffrant de troubles mentaux pour y subir une évaluation psychiatrique. Elle est d’une durée maximale de 144 heures à partir de la prise en charge par l’établissement qui doit réaliser dans ce délai deux examens psychiatriques sur la nécessité ou non de la garde.
Dans l’éventualité où les deux examens psychiatriques concluent à la nécessité de la garde, il faut également obtenir l’autorisation de la Cour du Québec pour garder en établissement la personne souffrant de troubles mentaux pour une période plus longue. Le Cour du Québec doit être convaincue que la personne est dangereuse et que sa garde est nécessaire[2] indépendamment des deux examens psychiatriques.
Indépendamment des procédures devant le CETM ou la Cour du Québec, si une personne souffrant de troubles mentaux n’est pas capable de consentir seul aux soins ou qu’elle refuse catégoriquement des soins, il revient à un juge de la Cour supérieure de statuer sur une ordonnance de soins. Cette ordonnance peut viser, notamment, un traitement pharmacologique.
Cette multiplication de forums pour la personne souffrant de troubles mentaux amène la coroner à émettre le constat suivant :
La grande diversité des lois en matière de santé mentale au Québec est en elle seule un vrai labyrinthe pour le commun des mortels et ajoute à la complexité d’une prise en charge plus simple tant pour les patients que pour les milieux hospitaliers.
Cette grande diversité entraîne un manque de communication entre les différents forums. Ainsi, la coroner remarque que les procureurs du DPCP ne participent que rarement aux auditions devant la CETM ce qui réduit la portée des informations transmises aux juges administratifs de la CETM. Les antécédents judiciaires de la personne souffrant de troubles mentaux sont rarement pris en charge par le CETM.
Dans le même ordre d’idée, la CETM se base sur des rapports de professionnels de la santé qui disposent d’informations parcellaires en raison des règles de confidentialité. Ces professionnels de la santé se basent la plupart du temps sur les informations obtenues volontairement du patient ou de ses proches. Il arrive fréquemment que le parcours criminogène ancien ou actif du patient obtenu soit fragmentaire.
Ces informations fragmentaires ou parcellaires entraînent nécessairement une difficulté systémique pour la CETM : comment peut-elle prendre décision éclairée sur la dangerosité d’une personne souffrant de troubles mentaux dans un tel contexte ?
Il appert du rapport de la coroner que l’évaluation de la dangerosité et des risques d’une personne souffrant de trouble de mentaux n’est pas systématisée au Québec ; elle dépend en quelque sorte du juge administratif. Pourtant, cette évaluation devrait tenir compte de plusieurs facteurs dont les traits de personnalité, le parcours criminologique antérieur et la toxicomanie de la personne souffrant de troubles mentaux, puisque ces facteurs augmentent considérablement le danger et les risques selon la coroner.
Pour remédier à cette problématique, la coroner recommande la création d’un tribunal exclusif et spécialisé pour les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont judiciarisées.
Et les forces policières dans tout ça ?
La coroner est d’avis que l’intervention des forces policières ayant menée au décès de l’auteur des trois homicides a été faite conformément aux règles du métier aux enseignements de l’École nationale de police du Québec (ENPQ).
Même si une intervention respecte les normes, il ne faut pas minimiser les risques pour la santé et la sécurité des policiers et policières. Les policiers et policières risquent des blessures physiques et psychologiques étant donné l’imprévisibilité des interventions. Ils peuvent être blessés physiquement par l’usage d’une arme ou de la force. Ils peuvent être blessés psychologiquement, notamment, par leurs décisions, par ce qu’ils voient ou par un sentiment d’impuissance.
Le SPVM estime que ses policiers et policières répondent annuellement à plus de 33 000 appels concernant une personne en crise ou dont l’état mental est perturbé[3].
La coroner émet diverses recommandations qui pourraient être en mesure de faciliter le travail des policiers qui interviennent auprès d’une personne souffrant de troubles mentaux, en crise ou dont l’état mental est perturbé.
D’une part, elle recommande au ministère de la Sécurité publique de valoriser les initiatives de déploiement d’équipes mixtes en octroyant les ressources financières nécessaires à tous les corps de police pour qu’ils aient accès facilement et en tout temps à des services d’aide pour les personnes en situation de crise. Cette recommandation améliorerait les interventions de policiers et policières auprès des personnes présentant un état mental perturbé.
D’autre part, elle demande au ministère de la Sécurité publique de rappeler à tous les corps de police l’importance de compléter dans les meilleurs délais un rapport d’évènement pour chaque intervention faite auprès d’une personne présentant un état mental perturbé et d’encourager la remise d’une copie du rapport à l’équipe soignante. La Loi P-38 fait présentement l’objet de travaux de l’Institut québécois du droit et de la justice mais la coroner insiste sur l’importance du partage de l’information entre les différentes ressources (police, équipe soignante incluant psychiatre, criminologue, personnes-ressources, etc.) pour éviter les situations dramatiques et favoriser la prévention.
Toujours dans une optique de favoriser le partage de l’information, la coroner recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux et au ministère de la Justice d’implanter une structure d’agents de liaison. Ces agents de liaison s’occuperaient de faire le pont entre les milieux hospitaliers et les milieux judiciaires (CETM et policiers). Ils pourraient faire le suivi des modalités et des antécédents judiciaires des personnes prises en charge par la CETM. Idéalement, ces agents de liaison auraient les pouvoirs nécessaires pour agir dans l’intérêt véritable du patient, voire de la société, s’ils constatent des manquements au niveau du suivi ou des conditions imposées à la personne souffrant de troubles mentaux suivie par la CETM.
Le partage de l’information en la matière soulève la question légitime de la protection de la vie privée des citoyens, mais la coroner considère qu’il y a place à des améliorations. Verrons-nous dans l’avenir des policiers et policières occuper cette fonction d’agent de liaison ?
Finalement, la coroner traite de l’intervention des policiers et policières du Groupe tactique d’intervention (GTI) du SPVM.
La coroner remarque que l’intervention auprès de l’auteur des trois homicides a nécessité de déployer une vaste gamme d’équipements spécialisés. Elle explique que le GTI a nécessairement besoin d’équipements technologiques de pointe et d’une grande diversité pour mener à bien ses interventions.
Cependant, la coroner constate que le GTI manque un outil indispensable pour assurer la sécurité des policiers et des citoyens, à savoir un bras hydraulique sur le camion blindé du SPVM. Ce bras hydraulique aurait permis aux policiers du GTI d’avoir un plan B pour se déployer de manière sécuritaire advenant une incapacité à défoncer la porte derrière laquelle se cachait un homme barricadé et armé lourdement. De plus, ce bras hydraulique aurait permis de communiquer plus facilement avec l’homme barricadé et armé.
Fidèle à un principe cher de la santé et sécurité au travail, la coroner invite le SPVM à ne pas attendre un scénario catastrophe pour équiper les policiers et policières du GTI.
Également, la coroner affirme ne pouvoir passer sous silence la vétusté des lieux qui loge l’équipe du GTI qu’elle considère déplorable dans les circonstances. Elle mentionne que la population est en droit de s’attendre que les policiers et policières du GTI soient équipés des meilleurs outils d’intervention, des meilleures formations et d’un environnement adéquat. Malheureusement, la coroner a visité des lieux inadéquats pour le repos des policiers et policières. Ceux-ci étaient dysfonctionnels et nécessiteraient des travaux majeurs.
Dans ce contexte, la coroner recommande au SPVM de munir le véhicule blindé d’un bras hydraulique, d’allouer les budgets et les ressources nécessaires pour garantir le maintien des compétences des policiers et policières du GTI et de maintenir le niveau des connaissances et nouveaux développements en matières d’équipements et d’outils de travail.
Espérons que les recommandations de la coroner se traduiront en mesures concrètes au courant des prochaines années, la balle est dans le camp des élus.
Le 2 octobre dernier, le gouvernement a adopté la Loi « Maureen Breau » (Loi visant à renforcer le suivi des personnes faisant l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou d’inaptitude à subir leur procès) qui va permettre à un organisme du secteur de la santé et des services sociaux de communiquer à un corps de police un renseignement qui est nécessaire à ses interventions auprès de personnes faisant l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou d’inaptitude à subir leur procès.
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