Dans l’arrêt Piché c. Entreprises Y. Bouchard & Fils inc., 2024 QCCA 1374, la Cour d’appel devait se prononcer quant au bien-fondé d’une décision du Tribunal administratif du Travail (ci-après, TAT) qui avait rejeté la contestation de la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, CNESST) ayant refusé au travailleur une demande de retrait préventif en vertu de l’article 32 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (ci-après, LSST). L’appelant était représenté par Me Amélie Soulez, associée partenaire au sein de notre cabinet.
Depuis 2001, l’appelant est un technicien ambulancier paramédical à l’emploi de Les Entreprises Y. Bouchard & Fils inc. En 2015, on lui a diagnostiqué un psoriasis sévère en gouttes et on lui prescrit à compter de ce moment-ci un médicament immunomodulateur.
Le 22 mars 2020, l’employeur le retire de ses fonctions et le place en arrêt de travail en raison de l’éclosion de la Covid-19. L’appelant est alors pleinement rémunéré jusqu’au mois de juin 2020. Il est ensuite payé par le biais de sa banque de jours fériés et maladie. À compter du 23 août 2020, cette banque étant épuisée, il ne reçoit plus de rémunération, et ce, jusqu’au 23 décembre 2020, date de son retour au travail.
Le 25 mai 2020, l’appelant dépose une réclamation à la CNESST sur le fondement de l’article 32 LSST, indiquant qu’il est en arrêt de travail depuis le 22 mars 2020 et que, vu son état d’immunosupprimé, il ne peut pas exercer son métier. Compte tenu de sa condition médicale, son médecin recommande que l’appelant ne soit pas en contact direct avec la clientèle atteinte de la Covid-19 et que, si cela est impossible, il doit être mis en retrait préventif. Il n’a pas pu être réaffecté à d’autres tâches et cesse donc de travailler jusqu’en décembre 2020, date à laquelle le retour au travail de l’appelant a été jugé sécuritaire.
Trois conditions doivent être satisfaites pour qu’un travailleur puisse invoquer le retrait préventif prévu à l’article 32 LSST : 1) l’exposition à un contaminant tel que défini à l’article 1 LSST ; 2) l’existence d’un danger pour sa santé; et 3) la présence de signe d’altération de sa santé.
Trois paliers décisionnels se sont prononcés dans ce dossier. Les refus de la CNESST se basent sur le seul motif d’absence de signe d’altération de la santé (troisième condition), tandis que le TAT justifie sa décision à la lumière des deux premières conditions.
En effet, le TAT conclut que la Covid-19 ne constituait pas un contaminant et qu’il n’y avait pas de danger pour le travailleur et. Il ne tranche pas la question de savoir s’il y avait des signes d’altération de la santé de l’appelant.
Selon la Cour d’appel, l’erreur principale du TAT est d’avoir limité son raisonnement au seul ajout par le législateur, en 2015, de l’exigence que, pour être un contaminant, la matière doit avoir été « généré[e] par un équipement, une machine, un procédé, un produit, une substance ou une matière dangereuse ». Bien que cet élément soit incontestablement pertinent, le TAT ne pouvait limiter son analyse à cette réforme sans en rechercher le sens et le contexte. De plus, son analyse omet l’objet de la loi, soit « l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs » (article 2 LSST). En effet, cette loi doit recevoir une interprétation large et libérale afin d’assurer une sécurité financière au travailleur lui permettant d’éviter de devoir choisir entre sa santé et son travail.
Bien que plusieurs lacunes interprétatives sont soulignées dans le raisonnement du TAT par la Cour d’appel, celle-ci laisse le soin au TAT de trancher de nouveau la question de savoir si la Covid-19 est un contaminant ou non au sens de la LSST, tout en lui rappelant l’importance de se soucier de « l’uniformité générale des décisions administratives » et du fait que « [l]es personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon et que les résultats ne dépendent pas seulement de l’identité du décideur […] » (voir para 51 de l’arrêt).
Quant à la décision du TAT d’écarter la notion de danger sur le fondement d’un rapport médical postérieur aux événements, elle est déraisonnable. En effet, le TAT avait le droit d’évaluer le dossier au regard d’une preuve actualisée, mais il ne pouvait juger d’un danger sur le fondement de connaissances inexistantes au moment où la décision de retirer le travailleur a été prise.
La Cour d’appel conclut qu’à un moment donné de la trame factuelle de ce dossier, il existait un danger pour la santé de l’appelant aux termes de l’article 32 de la LSST. Ce danger peut avoir cessé à différents moments. Ainsi, la Cour d’appel laisse au TAT le soin de déterminer à quel moment il était possible de croire que l’appelant pouvait réintégrer son poste sans danger.
Finalement, la Cour d’appel refuse de se prononcer sur la controverse jurisprudentielle concernant le critère de l’altération de santé de l’appelant qui n’a pas du tout été analysé par le TAT.
Selon la CNESST, si le TAT considérait, dans un premier temps, que l’application de l’article 32 LSST exigeait le constat d’une altération de la santé du travailleur résultant de l’exposition au contaminant, un nouveau courant jurisprudentiel s’est développé selon lequel l’altération de la santé peut exister dès lors qu’une condition personnelle préexistante rend le travailleur particulièrement susceptible d’être affecté par le contaminant.
La Cour considère qu’il n’est pas opportun de trancher cette controverse jurisprudentielle dans un dossier où le TAT ne s’est pas prononcé sur cette question, d’autant plus que le dossier est renvoyé au TAT sur les autres questions en litige.
L’appel est donc accueilli, le jugement de la Cour supérieure infirmé, le jugement du TAT infirmé et le dossier envoyé au TAT afin qu’il tranche le dossier de nouveau.
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