Article initialement publié dans La Voix policière, vol. 16, édition 2024.
Le système de positionnement mondial, mieux connu sous l’acronyme « GPS », tire son origine des termes anglophones Global Positioning System. Ce système offre des services de positionnement, de navigation et de référence temporelle. Cette technologie permet, à un moment précis, de déterminer la position géographique d’un objet ou d’une personne en se servant des signaux émis par des satellites, placés en orbite autour de la Terre, vers un appareil récepteur situé à l’endroit à localiser[1].
Les outils modernes comme Waze ou Google Maps sont devenus indispensables pour une majorité d’usagers de la route. Les conducteurs comptent sur les systèmes de données GPS pour se déplacer et prévoir leurs itinéraires. La beauté de ces logiciels performants réside dans l’information en continu et en temps réel qu’ils fournissent à leurs usagers.
Les policiers et policières au Québec ne font pas exception à la règle dans leur utilisation quotidienne des systèmes GPS, que ce soit de manière volontaire ou non. Si les patrouilleurs ne les utilisent pas systématiquement pour se rendre en urgence à une adresse donnée, certains véhicules de patrouille sont tout de même munis d’un système GPS. Celui-ci permet notamment aux centrales de répartition de situer en tout temps les véhicules sur le territoire et vise à favoriser l’efficacité et la sécurité des services policiers.
Au-delà des impératifs opérationnels, les services de police peuvent être tentés de vouloir jeter un coup d’œil aux données GPS pour d’autres motifs. Tel pourrait être le cas lorsque l’employeur soupçonne un vol de temps de la part d’un salarié, ou encore dans des contextes de poursuites policières, notamment. On peut penser à toute situation où l’employeur a des motifs de croire que le salarié n’effectue pas la prestation de travail qui est attendue de lui. De tels manquements peuvent mener à de lourdes sanctions disciplinaires, voire au congédiement dans certains cas.
Quels sont les enjeux attachés au fait qu’un employeur ait un accès privilégié aux données du système GPS des flottes de véhicules de patrouille conduites par les salariés de l’organisation, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7? Quelle est l’incidence de l’utilisation des données GPS dans le processus disciplinaire?

Le droit
D’entrée de jeu, il est utile de mentionner que certaines conventions collectives du milieu policier viennent restreindre le droit de l’employeur d’utiliser les données GPS dans le cadre du processus disciplinaire.
Essentiellement, deux scénarios seront étudiés dans le présent article : celui où la convention collective contient une stipulation expresse, et sans réserve, interdisant à l’employeur d’utiliser les données GPS en vue d’imposer une mesure disciplinaire et celui où les parties n’ont pas prévu une telle disposition.
Dans le premier cas de figure, les parties ont prévu des balises conventionnelles afin de placer les salariés à l’abri des vérifications aléatoires de l’employeur et d’éviter qu’ils soient constamment épiés. Lorsque les parties ont expressément retiré à l’employeur la faculté d’utiliser les données de géolocalisation dans le cadre du processus disciplinaire, et qu’il s’octroie malgré tout ce droit unilatéralement, alors le remède approprié est de faire déclarer irrecevable en preuve lesdites données GPS par le tribunal d’arbitrage. Toutefois, la mesure disciplinaire ne sera pas automatiquement annulée. Il s’agit avant tout d’un vice procédural qui ne frappe pas nécessairement la mesure de nullité.
Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple suivant : des salariés entament une poursuite policière, sans que les conditions y donnant ouverture soient réunies. Malheureusement, cette poursuite se solde par un accident de la route pour le fuyard. Dans le cadre de l’enquête disciplinaire visant à faire la lumière sur les circonstances entourant la poursuite, l’employeur se réfère aux données GPS, malgré une disposition claire de la convention collective lui interdisant cet usage. Pire encore, l’employeur omet de communiquer cette preuve aux salariés avant la tenue du comité de discipline, contrevenant à son obligation de le faire. Au terme du processus, l’employeur sévit : les policiers sont suspendus sans traitement, lesquelles mesures sont contestées par grief. Sans surprise, devant le Tribunal d’arbitrage, la partie patronale tente d’introduire en preuve les données GPS. Si cette preuve venait à être exclue à l’audience, l’arbitre devrait tout de même poursuivre son analyse et déterminer si les salariés ont commis une faute, à la lumière de l’ensemble des autres éléments de preuve.
C’est précisément le raisonnement qu’a adopté l’arbitre MeDominique‑Anne Roy dans l’affaire Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et Ville de Québec[2] qui dépeignait les mêmes faits que ceux précités. L’arbitre a fait droit aux deux moyens préliminaires soulevés par le syndicat en déclarant que l’employeur avait contrevenu à la convention collective en utilisant les données GPS à des fins disciplinaires et en ne les ayant pas communiquées aux salariés avant leur convocation devant le comité de discipline. Devant de telles contraventions au texte, l’arbitre a jugé irrecevables en preuve les données GPS : elles auraient dû être exclues avant même que le processus devant le comité de discipline ne soit enclenché. Le texte de la convention collective est clair et sans réserve, et il paraît manifeste pour l’arbitre que les données GPS ont largement guidé les représentants de l’employeur dans leur enquête et dans la rédaction du rapport de recommandations disciplinaires. Seule la contravention à l’obligation de divulgation de la preuve a été considérée comme étant indemnisable, compte tenu du préjudice relevant du droit à une défense pleine. Cette violation a donné droit à une réparation en dommages aux plaignants.
Toutefois, malgré l’exclusion des données GPS, l’arbitre a maintenu les suspensions disciplinaires imposées aux salariés pour avoir entrepris et maintenu une poursuite policière sans droit. Deux autres éléments de preuve ont joué un rôle prépondérant relativement à la détermination de la vitesse des véhicules, élément crucial dans l’examen d’une poursuite. Le premier tient des aveux extrajudiciaires et judiciaires des policiers énonçant leur vitesse et celle du fuyard à divers moments. Le second, et le plus important, les bandes vidéo du ministère des Transports qui permettent d’inférer des conclusions probantes.
Que faut-il en retenir? Il s’avère que dans certaines circonstances, les employeurs sont en mesure de rencontrer leur fardeau de preuve en utilisant d’autres moyens que les données GPS pour démontrer une faute. Il faut donc être prudent dans l’interprétation des clauses restreignant l’utilisation des données GPS dans le cadre du processus disciplinaire et ne pas oublier que ces dispositions n’anéantissent pas le droit de l’employeur de discipliner, sans bénéficier de l’analyse des données GPS néanmoins.
Le deuxième cas de figure est celui qui persiste à faire couler de l’encre dans la communauté juridique. Un employeur peut-il utiliser les données GPS dans le cadre du processus disciplinaire si la convention collective ne lui interdit pas de s’en servir?
Entrent alors en conflit les droits fondamentaux des salariés et le droit de gérance de l’employeur. En effet, une procédure de surveillance ou de suivi des données GPS peut représenter, à première vue, une atteinte à la vie privée des salariés, plus précisément aux articles 3, 35, 36 du Code civil du Québec et 5 et 46 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. La jurisprudence interdit généralement aux employeurs de se livrer à une surveillance constante et continue de leurs employés.

La décision de principe en matière de surveillance d’un salarié par un employeur, hors de son établissement, est l’arrêt Syndicat des travailleur(euse)s de Bridgestone Firestone de Joliette (csn) c. Trudeau [3] (ci‑après « Bridgestone Firestone »), rendu par la Cour d’appel du Québec en 1999. Quoique cette décision intervienne dans un contexte où la surveillance du salarié avait lieu alors qu’il n’effectuait aucun travail pour l’employeur (dans sa sphère d’activités personnelle), les tribunaux n’ont pas hésité à appliquer les critères dans des contextes de surveillance durant les heures de travail.
Les principes cardinaux qui ont guidé les tribunaux à travers les années pour déterminer si la surveillance peut être justifiée, malgré l’atteinte apparente au droit à la vie privée, sont les suivants :
- L’employeur avait a priori des motifs sérieux et rationnels de soumettre le salarié à une telle mesure.
-
La surveillance doit être conduite par des moyens raisonnables et proportionnels, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Autrement dit, l’employeur doit avoir des motifs sérieux de mettre en doute l’honnêteté ou le comportement du salarié. La jurisprudence a précisé ce qu’il faut entendre par « motif sérieux » : « Un motif sérieux et raisonnable n’est pas un simple doute, de vagues soupçons ou des rumeurs. Il s’appuie sur la raison plutôt que sur le préjugé, la première impression ou les idées reçues. C’est un motif susceptible d’objectivation. S’il s’agit de contradictions ou d’incohérences d’ordre médical ou factuel, elles doivent, par leur importance, leur nature et par la fiabilité des sources d’information, être suffisamment sérieuses pour mettre en doute l’honnêteté du comportement de la travailleuse. Il ne doit jamais s’agir d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard » [4].
La surveillance par GPS est un moyen toléré par la jurisprudence dans la mesure où il ne porte pas atteinte à la dignité du salarié visé. Dans l’arrêt Bridgestone Firestone précité, la Cour d’appel n’exige pas que le moyen choisi soit le seul moyen pouvant être utilisé.
Un salarié qui souhaiterait contester l’admissibilité de la preuve de surveillance devra démontrer une atteinte à un ou des droits fondamentaux et que l’utilisation de cette preuve déconsidérerait l’administration de la justice, conformément à l’article 2858 du Code civil du Québec.
L’affaire Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Ville de Montréal [5] récapitule brillamment l’ensemble du deuxième cas de figure. L’employeur, Ville de Montréal, avait des motifs raisonnables de croire que son salarié n’effectuait pas la prestation de travail requise de lui. Le salarié en question se devait de parcourir la ville afin d’inspecter les bornes-fontaines. Sur la base de deux plaintes à l’effet que le salarié se rendait souvent chez lui sur ses heures de travail, l’employeur a décidé de procéder à une surveillance par données GPS sur une période totalisant 20 jours. Il est à noter que l’employeur avait commencé son enquête par une filature, mais le salarié s’était rapidement rendu compte qu’il était suivi. L’arbitre conclut que la surveillance était motivée et qu’elle a été faite sur les heures de travail. Les passages suivants de la décision sont éloquents :
paragr. 146 : Je suis d’avis qu’il n’y a pas ici atteinte à la vie privée, puisque le véhicule de la Ville conduit par M. Bourdon a été suivi par le GPS dans les rues publiques, durant les heures de travail, que les arrêts du véhicule notés sont survenus sur les rues publiques et qu’en aucun temps, la Ville n’a cherché à savoir ce que M. Bourdon faisait à l’intérieur des endroits où il s’arrêtait, que ce soit chez lui ou ailleurs. Même s’il s’agissait d’une atteinte à la vie privée, je conclurais qu’elle est minime, parfaitement justifiable dans le contexte et que l’exclusion de cette preuve déconsidérait l’image de la justice.
Ainsi, la preuve des données GPS a été jugée recevable par l’arbitre à la lumière des critères ci‑haut mentionnés et a été considérée comme prépondérante dans la détermination de la faute.
Dans une sentence arbitrale très récente, Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791 et PNR Railworks Québec inc. (Martin Robert)[6], l’employeur a congédié un contremaître pour vol de temps, alors que les entrées d’heures travaillées entraient en contradiction avec les informations obtenues par le biais des données de localisation GPS de son véhicule de service. Cette décision s’inscrit dans le deuxième cas de figure du présent article, considérant qu’elle aborde les droits de gestion résiduaires de l’employeur, à défaut d’une stipulation expresse de la convention collective limitant son droit d’agir.
Dans cette affaire, le syndicat contestait le congédiement imposé au plaignant sur la base de deux motifs. Le premier étant que la preuve de géolocalisation est inopposable au plaignant, puisqu’elle résulte d’une politique rédigée uniquement en anglais. Le second étant que l’utilisation de la géolocalisation contrevient à la vie privée du salarié et qu’en conséquence, cette preuve devrait être déclarée irrecevable.
Le Tribunal retient que le véhicule de service sert aux déplacements du salarié à travers les différents chantiers ainsi qu’à ses déplacements jusqu’à son domicile. Lors de la remise du véhicule de service, le salarié a reçu une copie de la politique d’utilisation des véhicules de service, a paraphé chacune des pages, a signé un engagement à la respecter ainsi qu’une annexe par laquelle il reconnaissait que ledit véhicule était équipé d’un GPS et autorisait l’employeur à faire usage des capacités de ce GPS afin de localiser le véhicule au besoin et à n’importe quelle fin, non interdite par la loi. De plus, dans ce cadre, le plaignant renonçait à ses droits à la vie privée.
L’élément déclencheur de l’enquête survient lorsque l’employeur vient pour remettre un avis disciplinaire au plaignant, mais qu’il ne se trouve pas sur le chantier.
L’employeur le géolocalise et s’aperçoit qu’il est à sa résidence. L’employeur a par la suite voulu vérifier s’il s’agissait d’un événement isolé ou plutôt d’une tendance chez le salarié. L’analyse des données GPS a révélé plusieurs occurrences de vol de temps.
L’arbitre Nathalie Faucher rappelle que les principes de l’arrêt Bridgestone Firestone ont toujours autorité en la matière, avec les adaptations nécessaires. L’arbitre considère que l’employeur n’a pas procédé à une surveillance en temps réel du plaignant, ni même à une vérification de l’ensemble de ses déplacements à bord du véhicule. L’enquête n’a porté que sur les arrivées et les départs du plaignant du travail et non sur l’ensemble des déplacements qu’il a pu faire avec le véhicule. Il s’agit donc d’une recherche ciblée de ce qui est pertinent au contrôle des heures de travail. La preuve a donc été déclarée recevable.
Un parallèle peut être dressé dans le contexte d’une poursuite policière. Certes, les véhicules de patrouille munis d’un système GPS compilent les données de manière constante, mais l’employeur, lui, ne les surveille pas de manière constante. Dans le cadre d’un accident de la route, l’employeur irait donc vérifier les données GPS de cet incident en particulier et il ne serait pas fondé à faire enquête plus largement, par exemple, pour tenter de prouver un vol de temps à cette occasion.

Nuances et réflexion
Bien que certaines conventions collectives puissent être silencieuses quant à l’utilisation des données GPS dans le processus disciplinaire, une décision de 2014 porte à la réflexion et apporte des nuances intéressantes. En effet, dans l’affaire Travailleurs québécois de la pétrochimie, section locale 194, SCEP et Énergie Valero/Raffinerie Jean‑Gaulin de Lévis (grief collectif)[7], le syndicat s’opposait vigoureusement aux nouvelles fonctionnalités des radios portatives numériques qui venaient d’être remplacées par l’employeur. En effet, le syndicat contestait le refus de l’employeur de désactiver en tout temps deux (2) fonctions qui enregistraient les employés d’une raffinerie de pétrole (fonction moniteur distant) et fournissaient leur position (fonction GPS). Ces dispositifs servaient principalement à des fins de sécurité.
D’ailleurs, l’employeur avait même transmis un communiqué à cet effet : il s’engageait à ne jamais utiliser les données recueillies par les radios à des fins disciplinaires, mais aucune disposition conventionnelle ne le prévoyait, ni aucune politique n’avait été instaurée. Du côté du syndicat, ce dernier prétendait que les nouveaux dispositifs portaient atteinte à la vie privée des salariés, car il s’agit de surveillance constante et complète.
L’arbitre se range derrière l’argument patronal selon lequel les deux fonctionnalités (GPS et moniteur distant) étaient destinées à être activées seulement en cas d’urgence. Il a ainsi conclu que l’atteinte était minimale et qu’elle était justifiée pour des fins de sécurité, en cas d’urgence. Il est acquis qu’une raffinerie de pétrole est indéniablement un milieu de travail dangereux considérant les risques accrus d’incendie, d’explosion, de déversement ou encore de fuites de gaz, etc.
Bien que le grief fût rejeté, le Tribunal a néanmoins ordonné à l’employeur de mettre en vigueur une politique qui interdit l’utilisation des données GPS et vocales à des fins disciplinaires.
Cette décision pourrait être plaidée en faveur des syndicats qui sont aux prises avec une convention collective muette. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’une disposition expresse, le syndicat s’expose à une utilisation des données GPS à des fins disciplinaires par l’employeur si un arbitre considère qu’elles satisfont les critères jurisprudentiels et que l’administration en preuve de ces données ne déconsidère pas l’administration de la justice.

Conclusion
À la lumière de ce qui précède, l’utilisation des données GPS dans le cadre du processus disciplinaire est une question propre à chaque affaire. Les deux cas de figure présentés ici se distinguent au niveau de la preuve que peut faire l’employeur dans des dossiers impliquant le suivi des données GPS.
Dans le premier cas de figure, l’employeur ne pourra se servir des données GPS à des fins disciplinaires si la convention collective prévoit une telle interdiction. Dans le second scénario, en l’absence de disposition conventionnelle, l’employeur pourra utiliser les données GPS si l’administration en preuve de celles-ci passe le test développé dans l’arrêt Bridgestone Firestone.
L’affaire Travailleurs québécois de la pétrochimie fait toutefois réfléchir dans le contexte où la surveillance des données GPS d’un véhicule de police est constante. Un syndicat, dans de telles circonstances, pourrait s’adresser au Tribunal en demandant de forcer l’employeur à instaurer une politique claire sur l’utilisation des données afin de le contraindre à utiliser les données à des fins de sécurité seulement et lui interdire de les utiliser pour imposer des mesures disciplinaires.
Cependant, l’un et l’autre des scénarios disposent d’un point en commun. Que la convention collective restreigne ou non le droit de l’employeur d’utiliser les données GPS dans le but d’imposer une mesure disciplinaire, un salarié qui commet une faute risque d’être sanctionné. Il serait illusoire de croire que la simple existence d’une clause restrictive empêche automatiquement l’imposition de toute mesure disciplinaire. Rien n’empêche les employeurs d’être créatifs et d’invoquer d’autres éléments de preuve pour parvenir au même résultat. En tous les cas, les syndicats doivent demeurer vigilants dans ce type de dossier. Chaque cas étant un cas d’espèce, il est préférable de consulter un avocat dans l’éventualité d’une mesure disciplinaire dans un tel contexte.
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