Instauré en 1959 par le législateur québécois[1], le recours prévu aux articles 15 à 19 du Code du travail vise à assurer une protection aux salariés dans l’exercice de leur liberté syndicale. Comme le souligne la Cour suprême du Canada, ce recours « a été ajouté au Code pour remédier aux lacunes que comportaient, du point de vue des salariés, les dispositions pénales interdisant aux employeurs tout comportement antisyndical. »[2] Ces dispositions « créent entre l’employeur et le salarié une nouvelle situation juridique, ils modifient le contrat individuel de travail et ils donnent au salarié de nouveaux droits, indépendamment du Code civil et même de toute convention collective »[3]
Les actes prohibés
Il est donc interdit à tout employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, ou d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles, ou de lui imposer toute autre sanction « à cause de l’exercice par ce salarié d’un droit qui lui résulte » de ce Code[4]. Cette énumération est limitative, et toute autre mesure imposée unilatéralement par un employeur ne peut donner ouverture à ce mécanisme de protection.[5]
Que signifient les termes « mesures de représailles » ? Il s’agit de « toute mesure de vengeance prise contre un salarié en riposte à l’exercice par celui-ci d’un droit lui découlant du Code. »[6] Concrètement, il ressort de la jurisprudence que le non-renouvellement d’un contrat[7], le refus de considérer la candidature d’un salarié et le retrait de son nom de la liste de rappel[8] et le changement d’une condition de travail importante pour un salarié[9] peuvent constituer des mesures de représailles justifiant une réparation. Qu’en est-il d’une demande d’un employeur exigeant l’un de ses salariés à lui fournir un certificat médical afin de justifier ses limitations fonctionnelles ?
La décision Noivo et Groupe BMTC inc.[10], rendue récemment, illustre qu’une telle demande peut être qualifiée de mesure de représailles lorsque les circonstances le justifient. De façon concomitante à l’exercice de ses fonctions syndicales, à titre de délégué, et au dépôt de griefs contestant le réaménagement des horaires de travail des salariés de deux départements, l’Employeur exige du Plaignant un certificat médical à jour afin de justifier son incapacité à travailler selon un horaire de soir. En 2015, une entente était intervenue entre le Plaignant et l’Employeur, afin de mettre fin à un litige de harcèlement psychologique, selon laquelle ce dernier s’engageait à respecter ses limitations fonctionnelles. Aucune date de fin n’est prévue à cette entente. Devant le Tribunal administratif du travail (ci-après « le TAT »), l’Employeur prétend avoir fait cette demande pour mettre à jour le dossier du Plaignant, car contrairement à ses collègues, celui-ci ne travaille jamais le soir, et une condition médicale évolue dans le temps. Il importe de préciser que les représentants de l’Employeur avaient fait cette constatation lors de l’analyse des horaires de travail au cours d’une réunion consacrée à l’étude du grief déposé par le Syndicat, en plus de remarquer que quatre autres salariés ne travaillaient également pas le soir. Or, la preuve a démontré qu’aucune demande justificative ne leur avait été adressée. Le Tribunal se questionne alors sur l’empressement soudain de mettre à jour le dossier médical du Plaignant alors que pendant une période de quatre ans, l’Employeur n’avait jamais cru nécessaire de le faire. L’absence de suivi du dossier médical, la justification lacunaire voulant qu’il soit le seul ne travaillant pas le soir, alors que d’autres salariés sont également dans cette situation, et la concomitance avec le dépôt du grief syndical sont d’autant d’indices qui permettent de conclure que la cause réelle de la demande de l’Employeur est en lien avec ses activités syndicales. Pour ces motifs, la plainte est accueillie.
Cette décision met en lumière qu’une mesure qui paraît légitime de prime abord peut camoufler une intention illicite, et qu’une attention particulière aux circonstances entourant son imposition s’avère primordiale. Autrement dit, chaque cas est un cas d’espèce.
La présomption
Se voulant complet par lui-même[11], ce recours prévoit une procédure sommaire[12], laquelle est édictée aux articles 16 et 17 C.t. D’abord, afin de bénéficier de la présomption qui l’exemptera de faire la preuve d’un lien de causalité entre l’exercice d’un droit conféré par le Code et la mesure imposée, le salarié doit d’abord démontrer au TAT:
- Son statut de salarié, au sens de l’art. 1 l) du Code;
- L’imposition d’une mesure prohibée par l’art. 15 du Code;
- L’exercice d’un droit qui résulte du Code;
- La concomitance entre l’exercice de ce droit et l’imposition de la mesure.[13]
Ensuite, une fois la présomption établie, il s’en résulte un renversement du fardeau de la preuve, incombant à l’employeur de démontrer une « autre cause juste et suffisante »[14]. Il est maintenant bien établi par la jurisprudence que pour réussir à repousser cette présomption, celui-ci devra convaincre le TAT, par prépondérance de la preuve, que cette autre cause est une cause sérieuse, par opposition à un prétexte, et qu’elle constitue la cause véritable[15] de la mesure prise à l’égard du salarié.
Les mesures de réparation
Conformément au paragraphe b) de l’art. 15 C.t., lorsqu’il accueille une plainte fondée sur des mesures de représailles imposées, le TAT peut ordonner à l’Employeur de cesser d’exercer ces dites mesures à l’endroit du salarié visé, et pourra lui ordonner de lui verser une indemnité équivalente au salaire et autres avantages dont celles-ci l’ont privé. Cette réparation s’applique également au cas de mesures discriminatoires. Une telle indemnité peut également être ordonnée lorsque la mesure contestée est une sanction imposée, en ajout à une ordonnance d’annulation de celle-ci.
Dans le cas d’un congédiement, d’une suspension ou d’un déplacement, le paragraphe a) de cet article trouvera plutôt application, lequel prévoit que le TAT peut ordonner la réintégration du salarié visé dans son emploi, avec tous ses droits et ses privilèges, et le versement d’une indemnité.
L’éventail des mesures réparatrices de ce recours est restreint à celles ainsi libellées, et le TAT ne possède aucune latitude lorsqu’il rend des ordonnances.[16] De ce fait, il ne pourrait puiser dans les pouvoirs généraux de réparation conférés par l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Autrement, « cela bouleverserait sensiblement l’équilibre que le législateur québécois a voulu établir entre employeurs et salariés. »[17]
Conclusion
En assurant une protection individuelle, la mise en place d’un tel mécanisme de plainte était nécessaire à la sphère des rapports collectifs de travail. Permettant d’une part aux salariés d’exercer leur réelle liberté syndicale en s’engageant dans leur vie associative, il leur confère d’autre part, une meilleure stabilité d’emploi en limitant la liberté de manœuvre des employeurs québécois à leur égard[18].
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[1] Loi modifiant la Loi des relations ouvrières, S.Q. 1959–1960, c. 8.
[2] Plourde c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2009 CSC 54, par. 35.
[3] United Last Co. Ltd. c. Tribunal du travail, (1973) R.D.T. 423 (C.A.).
[4] Art. 15 du Code du travail.
[5] V. MORIN, F., BRIÈRE, J.-Y., ROUX, D. et VILLAGGI, J.-P., Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2010, V-9.
[6] Poirier c. Collège de Rosemont, 2016 QCTAT 3186, Produits alimentaires Grandma Ltée (division I.T.C. Canada) c. Forget, 1985 CanLII 3461 (QC TT).
[7] Notamment, Robillard c. Université du Québec à Montréal, 2016 QCTAT 6132.
[8] Poirier c. Atelier de travail Jeunesse 01 (Carrefour Jeunesse-emploi Rimouski-Neigette), 2011 QCCRT 312.
[9] Noël c. 9155-7280 Québec inc. (Transport Dostie), 2008 QCCRT 181.
[10] 2020 QCTAT 2015.
[11] Idem, note 3.
[12] Idem, note 2, par. 39.
[13] Foucault et Gatineau (Ville de), 2016 QCTAT 2712 (CanLII), par. 155.
[14] Art. 17 C.t. in fine.
[15] Idem note 2, Lafrance c. Commercial Photo Service inc., [1980] 1 R.C.S. 536 et Hilton Québec ltée c. Tribunal du travail, [1980] 1 R.C.S. 548.
[16] Idem, note 5, V-12.
[17] Idem, note 2, par. 39.
[18] Idem, V-18.
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