Dans de certains de ses numéros parus récemment, le Harvard Law Review élabore sur divers thèmes émergeants en droit du travail aux États-Unis. Nous croyons intéressant d’en faire un compte-rendu sommaire dans une série d’articles qui se poursuit avec celui-ci.
Dans un article récent, le Harvard Law Review[1] invite les procureurs défendant les droits des travailleurs non syndiqués à développer un nouveau modèle d’organisation pour défendre les travailleurs qui n’ont pas accès à la syndicalisation.
Aux États-Unis, des milliers de travailleurs non syndiqués sont assujettis à des contrats de travail qui prohibent les recours civils ou les recours collectifs. Ces contrats imposent l’arbitrage privé, dont le résultat est confidentiel. Malgré le fait que certains employeurs assument une part importante des frais des arbitres pour rendre ce mode de règlement des litiges attrayant en théorie, peu de travailleurs y ont recours pour des raisons de coûts ou par peur de représailles.
Cependant, au cours des dernières années, les travailleurs ont répliqué aux failles de ce système en se regroupant pour intenter des arbitrages en masse (« mass arbitration »). Les avocats dédiés à la défense des travailleurs regroupent les plaintes et lancent des centaines, voire des milliers de recours en arbitrage contre certains employeurs. L’employeur faisant face au poids administratif et financier de la multitude des recours est alors incité à régler les dossiers globalement. Cependant, le caractère confidentiel de l’arbitrage ou du règlement obtenu rend difficile la pérennisation de la défense des travailleurs. Il s’agit de recours qui règlent un problème ponctuel à grande échelle, mais seulement pour les travailleurs visés qui ne peuvent en informer leurs collègues ou empêcher de futurs abus de la part de l’employeur visé. L’arbitrage de masse ne permet donc pas de prévenir le fait que d’autres travailleurs pourraient être lésés de la même façon.
Dans son article, le Harvard Law Review propose d’utiliser le travail administratif effectué pour monter de tels arbitrages de masse afin d’organiser les travailleurs dans une structure plus permanente. La mise en place d’une telle structure vise clairement à pallier l’absence de syndicalisation. L’article du Harvard Law Review identifie les stratégies suivantes qui devraient être poursuivies par une telle structure : La défense des intérêts des travailleurs par le litige dans le cadre d’arbitrages ou de recours collectifs (si permis par le contrat de travail) ; l’éducation des travailleurs et un réseau de communication pour une meilleure détection des violations de leurs droits ; un engagement politique dans la promotion et la défense des droits des travailleurs.
Le modèle vise essentiellement à permettre aux salariés de se regrouper pour défendre leurs intérêts collectivement au moyen d’un réseau leur fournissant diverses ressources ou moyens de défense
L’article réfère à deux grandes catégories d’organismes de la défense des travailleurs américains : les syndicats et les centres de travailleurs (« Worker centers »). Les centres de travailleurs sont essentiellement des organismes communautaires voués à la défense des travailleurs et financés au moyen de subventions. Ils peuvent prendre des formes et des tailles variées, selon les besoins des travailleurs représentés[2]. Le modèle de structure permanente proposé par le Harvard Law Review s’inspire à la fois des syndicats de salariés et des centres de travailleurs.
Le modèle mis de l’avant repose sur l’identification « d’organisateurs » parmi les travailleurs qui sont prêts à s’investir dans un arbitrage de masse. À première vue, les travailleurs impliqués dans de tels arbitrages démontrent d’emblée une connaissance de leurs droits, une volonté de les défendre et une certaine résistance face aux risques de représailles. L’organisation d’un arbitrage de masse requiert déjà une certaine communication entre les travailleurs impliqués. Il s’agit donc d’un bassin de volontaires intéressant.
Comme la structure proposée découle de l’arbitrage de masse, un rôle important est dévolu aux avocats agissant dans ces dossiers d’arbitrage. Ils sont appelés à travailler de concert avec les organisateurs pour faciliter la mise en place d’une plateforme efficace.
Il est triste de constater que la syndicalisation aux États-Unis est difficile au point de susciter des discussions sur de telles solutions de rechange. Cependant, certains des concepts développés dans l’article résumé ici pourraient être importés par les syndicats québécois pour défendre les droits des travailleurs qui ne peuvent être accrédités suivant le Code du travail en raison des limites de celui-ci.
[1] The Enforcement Opportunity: from mass arbitration to mass organizing, Harvard Law Review, volume 136, numéro 4 (Avril 2023), page 1652;
[2] Voir par exemple le New York Taxi Workers Alliance, un centre de travailleurs qui existe depuis une vingtaine d’année (www.nytwa.org) et qui est le premier syndicat d’entrepreneurs indépendants ayant été affilié à l’AFL-CIO.
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