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La première vague des multiples litiges à venir sur la rémunération des congés pour obligations familiales

Me Amélie Soulez

 

Dans la foulée de l’entrée en vigueur, en date du 1er janvier 2019, des nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail, de nombreux griefs ont été déposés par les associations syndicales afin de tenter d’élucider l’interprétation à privilégier pour l’application des nouvelles normes du travail. Parmi notre palmarès des dispositions qui engendrent le plus de problématiques d’interprétation se trouve évidemment l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail (ci-après : « la loi ») concernant l’octroi de congés rémunérés pour des obligations familiales.

Un bref rappel des modifications apportées à cette disposition s’impose. Cette norme minimale a été bonifiée par le législateur en ajoutant la possibilité pour le salarié de prendre ces types de congés non seulement pour des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant et de son conjoint, mais également afin de prendre soin d’un parent ou s’il agit comme « proche aidant ». De plus, auparavant le salarié avait le droit à dix journées par année sans solde afin de remplir ce type d’obligations. Dorénavant, la loi prévoit que les deux premières journées prises annuellement par le salarié pour maladie ou pour des obligations familiales doivent être rémunérées par l’employeur[1]. Il importe d’adresser une mise en garde : la loi précise que l’employeur a seulement l’obligation de rémunérer les deux premières journées prises annuellement par le salarié, que ce soit en raison d’un congé pour une maladie personnelle ou d’un congé afin de remplir des obligations familiales[2].

L’une des principales problématiques que soulève l’application de cette nouvelle norme réside dans le fait que certaines conventions collectives prévoyaient déjà d’autres types de congés rémunérés, tels des congés mobiles, des congés personnels et des congés pour maladie, le tout sans prévoir spécifiquement le droit à des congés pour obligations familiales rémunérés. Ainsi, plusieurs arbitres ont dû se prononcer sur la question fondamentale à savoir si la convention collective est plus avantageuse que la loi. Afin de répondre à cette question, les arbitres tendent, pour la plupart, à considérer non seulement la rédaction de la convention collective, mais également l’analyse de la pratique antérieure, notamment la flexibilité de l’employeur par rapport à l’utilisation d’autres types de congés conventionnés afin de rémunérer les salariés lors d’une absence du travail due à des obligations familiales.

Voici un résumé succinct des principes qui ressortent de la première vague des sentences arbitrales rendues en la matière :

Des arbitres ont tranché qu’un employeur ne peut assimiler d’autres types de congés rémunérés dans la convention collective (fériés, congés pour urgence, congés pour maladie, congés mobiles, etc.) à des congés pour obligations familiales, lorsque les conditions d’obtention d’un tel congé sont plus strictes que celles de l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail et que l’objectif derrière le congé est complètement distinct[3];

Dans la même veine, des arbitres ont également posé le principe suivant lequel l’employeur ne peut puiser unilatéralement dans les banques de congés du salarié lorsque les congés ne répondent pas à la même finalité. Ce raisonnement repose sur la prémisse suivante : les congés ne sont pas des vases communicants qui permettent de puiser indifféremment dans l’une ou l’autre des banques[4];

À l’inverse, certains arbitres déterminent plutôt que l’employeur peut décider unilatéralement d’alléger les critères relatifs à l’octroi de certains types de congés, par exemple, laisser tomber l’exigence d’un préavis minimal pour un congé mobile ou retirer l’interdiction de prendre ce type de congé durant l’été, afin que ce type de congé puisse dorénavant être assimilé à un congé pour obligations familiales au sens de l’article 79.7 de la loi[5]. Certains arbitres vont même jusqu’à permettre à l’employeur de modifier par directive la convention collective en indiquant aux salariés qu’ils pourront prendre à l’avenir des congés personnels ou des congés mobiles afin de remplir des obligations familiales, ce qui était prohibé par la convention avant l’entrée en vigueur de la loi. À notre humble avis, un tel raisonnement contrevient directement à deux principes fondamentaux en droit du travail, soit celui suivant lequel une partie ne peut unilatéralement modifier la convention collective et le fait qu’un arbitre ne peut ajouter à la convention collective;

La plupart des arbitres semblent cependant s’entendre sur le raisonnement suivant : lorsque la convention collective prévoit des congés mobiles, de maladie ou personnels rémunérés et que la preuve démontre qu’en pratique l’employeur permettait déjà aux salariés de prendre ces types de congés afin de répondre à des obligations familiales conformément à l’article 79.7 de la loi, la convention collective est alors plus avantageuse que la loi[6]. Cependant, un arbitre a tout de même pris la peine de rappeler que lorsque le texte de la convention collective est clair et limpide quant à l’objectif et les conditions d’octroi d’un certain type de congé, la pratique ne devrait pas servir à interpréter la convention collective et l’arbitre ne pourra faire abstraction du texte[7].

 

D’autres sentences arbitrales restent à venir qui, nous l’espérons, sauront davantage éclaircir les débats entourant l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail.

Par ailleurs, une autre polémique intéressante entourant la rédaction de l’article 79.7 de la loi est la suivante : selon la rédaction de la convention collective, il semble que l’ordre dans lequel un salarié prendra un congé pour obligations familiales plutôt qu’un congé de maladie pourrait avoir un impact sur le nombre de congés payés auxquels il aura droit. L’exemple parfait est lorsque la convention collective ne prévoit pas de congé pour obligations familiales, mais prévoit, par exemple, trois journées de congé pour maladie. Dans un tel cas, plusieurs scénarios sont susceptibles de se présenter, mais en voici deux exemples qui illustrent bien la problématique :

Scénario 1 : si l’employé tombe malade durant trois jours en janvier et que son enfant tombe malade pendant deux jours en avril, le salarié aura droit à trois jours de congés rémunérés seulement.

Scénario 2 : si l’employé s’absente pour des obligations familiales pendant deux jours en janvier et qu’il tombe malade durant trois jours en avril, l’employé aura le droit, selon l’interprétation de certains, à cinq jours de congés rémunérés.

Ces différents scénarios résultent du fait que la norme minimale édictée par la loi est la rémunération des deux premières journées prises annuellement par le salarié, que ce soit en raison d’obligations familiales (79.7 de la loi) ou de maladie (79.1 de la loi)[8]. Cependant, certaines conventions collectives, comme l’exemple donné ci-haut, traitent des deux types de congés de façon complètement distincte.

Finalement, devant ces multiples questionnements, nous pouvons tous conclure à une chose : il aurait été préférable que le législateur évite de mettre les deux types de congés dans le même panier !

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[1] Voir l’article 79.7 alinéa 5 pour les congés pour obligations familiales et, pour les congés de maladie, les articles 79.16 alinéa 2 et 79.1 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.

[2] Article 79.16 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.

[3] Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Sherbrooke (FISA) c. Ville de Sherbrooke, 2019 CanLii 63827, Syndicat international des peintres et métiers connexes – vitriers et travailleurs du verre, section locale 1135 c. Systèmes Stekar inc., 2020 CanLii 17579, Syndicat des travailleuses et travailleurs de PJC entrepôts – CSN c. Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (grief syndical), 2020 QCTA 137.

[4] Unifor, section locale 4511 c. Lallier automobile (Montréal) inc., 2020 CanLii 11317, Syndicat international des peintres et métiers connexes – vitriers et travailleurs du verre, section locale 1135 c. Systèmes Stekar inc, 2020 CanLii 17579.

[5] Sobey’s Québec inc. c. TUAC, section locale 501, 2020 CanLii 12779, Unifor, section locale 9114 c. Groupe Volvo Canada inc., 29 février 2020, Tribunal d’arbitrage, non répertoriée mais disponible sur demande, Unifor, section locale 2799 c. Groupe Lacasse inc., 2020 CanLii 17202.

[6] Union des employés et employés de services, section locale 800 c. Canmec Industriel inc., 2019 QCTA 411, Syndicat des travailleurs dpécialisés de Sintra (CSD) c. Sintra inc. (Région Estrie) (grief syndical), 2019 QCTA 502, Unifor, section locale 2799 c. Groupe Lacasse inc., 2020 CanLii 17202, Syndicat des salarié-e-s de l’alimentation de l’Outaouais (CSD) c. Boulangeries Weston Québec limitée (Maxime Desjardins), (T.A., 2020-03-27), 2020 QCTA 164, FIM-CSN [Syndicat des travailleurs & travailleuses des industries Mailhot] c. Industries Mailhot, 2020 QCTA 173.

[7] Syndicat international des peintres et métiers connexes – vitriers et travailleurs du verre, section locale 1135 c. Systèmes Stekar inc., 2020 CanLii 17579.

[8] Article 79.16 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.