L’ingérence ou l’entrave syndicale en cours de négociation collective : Le cas de la décision Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Accueil Bonneau – CSN c. Accueil Bonneau inc.

11 novembre 2021

 

Par Me Andrew Charbonneau

 

Le 28 septembre 2021, le Tribunal administratif du Travail (ci-après : « TAT ») rend une décision[1] à la suite d’une requête du Syndicat demandant au TAT de déclarer que l’employeur s’est ingéré dans les affaires syndicales.

 

A- CONTEXTE DE L’AFFAIRE

Le 31 janvier 2020 expire la convention collective intervenue entre les parties. Principalement en raison des préoccupations liées à la pandémie, aucune négociation n’est entamée avant le 1er février 2021. Dès le départ, l’employeur amorce les hostilités en procédant à l’abolition de six postes permanents et cinq postes temporaires le 20 janvier 2021. Un grief est déposé et une audience est fixée au 15 mars 2021. S’en suit deux séances de négociation, soir le 1er et le 26 février 2021. Au cours de la seconde journée, l’employeur interrompt la séance de négociation jugeant négativement les demandes syndicales. Considérant l’état des négociations, la partie patronale prend l’initiative de requérir l’intervention d’un médiateur-conciliateur auprès du Ministère du Travail. Deux journées plus tard, l’employeur effectue une sortie médiatique pour critiquer l’approche syndicale. En parallèle, il transmet le communiqué médiatique à l’ensemble des salariés via leur adresse courriel professionnelle.

Le Syndicat prétend que le communiqué contient des propos visant à nuire à la réputation du syndicat auprès des membres, d’où le recours en vertu de l’article 12 du Code du travail.

 

B – L’INGÉRENCE SYNDICALE ET LES CRITÈRES DE LA JURISPRUDENCE

Ce cas d’espèce permet de constater à nouveau la mince ligne sur laquelle doit naviguer un employeur qui décide d’interagir directement avec des salariés au cours de la période de négociation d’une convention collective. Le Tribunal analyse le dossier selon les critères établis dans l’affaire Disque Améric inc.[2] Afin d’établir si l’employeur s’ingère dans les affaires syndicales lorsqu’il s’adresse directement à ses salariés, le tribunal doit analyser les critères suivants :

    1. Il ne doit faire directement ou indirectement aucune menace;
    1. Il ne doit faire directement ou indirectement aucune promesse, toujours pour amener les salariés à adopter son point de vue;
    1. Il doit tenir des propos défendables quant à leur réalité, surtout ne visant pas à tromper;
    1. Il doit s’adresser à la réflexion des personnes et non soulever leurs émotions, particulièrement leur mépris, évitant tout style outrancier ou pathétique;
    1. Ses interlocuteurs doivent être libres ou non d’écouter ou de recevoir son message;
    1. À quelque égard, il ne doit d’aucune façon utiliser son autorité d’employeur, sur la base du lien de subordination établie avec les salariés, pour propager ses opinions contre le syndicalisme.[3]

Le Tribunal a rappelé à maintes reprises que le recours prévu à l’article 12 C.t. ne nécessite aucune preuve d’intention coupable de l’employeur. L’objectif est de déterminer si le comportement de l’employeur a fait obstacle à l’exécutif syndical.

[45] Nous rappelant que le requérant est le seul représentant de l’ensemble des salariés qu’il regroupe, toute atteinte, même mineure, à ce statut du syndicat, à ses rôles et à celui de représentativité en particulier, qui constitue sa raison d’être, doit être sanctionnée. Pour entraver, il n’est pas indispensable de négocier ouvertement, ni de menacer ou d’intimider; il peut suffire de créer des contraintes, de semer des obstacles, comme ici.

[46] Dans l’instance, cette tentative d’entrave se vérifie aussi par la confusion, l’incertitude et l’embrouillement que les agissements de l’intimée ont provoqués, et ce, de l’aveu même de certaines des employées cadres à qui des infirmières ont adressé des questions.

 [47] Nous ne sommes pas ici en matière d’infractions pénales, mais en face d’une demande d’ordonnance. Le fardeau de preuve est donc fait différent et point n’est besoin d’intention coupable; une prépondérance de preuve suffit.[4]

Au surplus, il est maintenant reconnu qu’un employeur ne devrait jamais communiquer directement avec ses salariés sur des enjeux de négociation sans préalablement en informer la partie syndicale.[5]

 

C – APPLICATION AU CAS D’ESPÈCE

Dans sa décision du 28 septembre 2021, le TAT considère que l’employeur a entravé aux activités du syndicat. Pour le tribunal, les propos tenus par l’employeur dans son communiqué visent à susciter les émotions des salariés. Sans reprendre l’essentiel du communiqué, l’employeur y affirme que les demandes syndicales sont irresponsables. Outre le fond du message, le tribunal reproche à l’employeur l’usage du courriel professionnel des salariés afin de véhiculer son propos. De l’avis du TAT, les salariés ne sont pas libres de consulter le message émis par l’employeur. De plus, celui-ci n’a jamais avisé le syndicat de son intention de s’adresser directement aux salariés.

[27] Dans le présent cas, l’employeur n’a jamais avisé le syndicat du contenu de son communiqué ni de son intention de le transmettre directement aux syndiqués.

[28] La conduite de l’employeur a entraîné des conséquences. Le syndicat a démontré que le communiqué a amené de nombreuses questions de la part de ses membres, notamment au sujet de sa stratégie de négociation.[6]

Conséquemment, autant dans sa forme que sur le fond, la communication directe de l’employeur auprès des salariés est considérée, dans ce cas, comme un exemple d’ingérence syndicale au sens de l’article 12 du Code du travail.

 


[1] Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Accueil Bonneau – CSN c. Accueil Bonneau inc. 2021 QCTAT 4645

[2] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 194 c. Disque Améric inc., 1996 CanLII 17642 (QC TT) https://www.canlii.org/fr/qc/qctt/doc/1996/1996canlii17642/1996canlii17642.html?autocompleteStr=disque%20am&autocompletePos=1

[3] Ibid.

[4] Syndicat de la santé et des services sociaux d’Arthabaska-Érable (CSN) c. Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-Érable, 2006 QCCRT 276 (CanLII)

[5] Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal c. Université de Montréal, 2009 QCCRT 172, au para 51.

[6] Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Accueil Bonneau – CSN c. Accueil Bonneau inc. 2021 QCTAT 4645

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