Selon les principes généraux, une partie à un contrat de travail peut, sans motif, mettre fin unilatéralement à son contrat de travail à durée indéterminée, à la condition toutefois de donner un délai de congé, c’est-à-dire, un préavis raisonnable à son cocontractant. C’est l’article 2091 du Code civil du Québec[1] (ci-après : « C.c.Q. ») qui prescrit cette obligation. L’application de cette disposition fait l’objet de nombreux débats dans l’histoire juridique. Le présent texte vise à dresser un portrait général de son application par les Tribunaux en 2019.
À qui s’impose cette obligation ?
Il importe de savoir que l’obligation prévue à l’article 2091 du C.c.Q. s’applique tant au salarié qu’à l’employeur. En effet, un salarié qui désire mettre fin à son contrat d’emploi doit également fournir un préavis raisonnable à son employeur.
Dans les dernières années, la question suivante a fait couler beaucoup d’encre : est-ce qu’un employé ou un employeur peut renoncer au préavis donné par l’autre partie et ainsi mettre fin au contrat avant la date annoncée ?
La Cour suprême du Canada vient restreindre cette possibilité dans l’affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc.[2]en indiquant fermement qu’un employeur qui reçoit un délai de congé raisonnable ne peut, à son tour, mettre fin unilatéralement et immédiatement au contrat de travail sans lui-même donner au salarié un délai-congé ou une indemnité qui en tient lieu. Les faits de l’affaire sont les suivants : un salarié remet une lettre de démission à son employeur et annonce son départ pour le 7 mars 2008, soit trois (3) semaines plus tard. En remettant son avis de démission, le travailleur précise qu’il quitte pour travailler chez un concurrent, lequel lui offre des conditions salariales plus avantageuses. Le lundi suivant, l’employeur décide donc, sans autres formalités de mettre fin au contrat de travail du salarié le 19 février 2008 plutôt que le 7 mars 2008. Le salarié réclame de l’employeur l’indemnité équivalente à trois (3) semaines de préavis, ce qui correspond au délai-congé qu’il avait donné à l’employeur. La Cour suprême du Canada donne raison au salarié et indique qu’il n’y a pas de résiliation automatique du contrat dès réception d’un délai-congé et que la relation contractuelle continue jusqu’à la date prévue par le délai de congé donné par le salarié ou par l’employeur. Par conséquent, même après que l’une des parties au contrat de travail à durée indéterminée ait donné un délai-congé à son cocontractant, chaque partie demeure tenue de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai. Cela comprend l’obligation de donner un délai de congé en vertu de l’article 2091 C.c.Q. qui s’impose à celui qui souhaite à son tour mettre fin au contrat avant l’expiration du délai de congé donné par l’autre partie.
Dans une décision récente[3], l’arbitre Éric Lévesque applique le même principe, mais en milieu syndiqué. Les faits sont les suivants : un employeur décide de mettre fin à l’emploi d’un salarié durant le préavis de démission de deux (2) semaines qu’il lui avait donné. Le salarié dépose un grief réclamant l’indemnité compensatrice tenant lieu de préavis de huit (8) semaines prévues à la convention collective. L’arbitre conclut qu’en congédiant le plaignant durant le délai de congé qu’il lui avait donné, l’employeur s’est placé dans la position d’avoir lui-même à donner l’indemnité prévue à la convention collective, soit celle de huit (8) semaines.
Il découle donc de ces affaires que tant l’employeur que l’employé sont tenus de donner un préavis à l’autre avant de mettre un terme à la relation d’emploi, et ce, tant que le contrat de travail est toujours en vigueur.
Quelle doit être la durée d’un préavis auquel un salarié peut avoir droit ?
Les normes minimales
Que ce soit en milieu syndiqué ou non syndiqué, la Loi sur les normes du travail prévoit des délais minimaux de préavis qui doivent être respectés par un employeur qui désire mettre fin au contrat de travail d’un salarié. Ce préavis est d’une semaine si le salarié justifie moins d’un an de service continu, de deux (2) semaines s’il justifie d’un à cinq (5) ans de service continu, de quatre (4) semaines s’il justifie de cinq (5) à dix (10) ans de service continu et de huit (8) semaines s’il justifie de dix (10) ans ou plus de tel service[4]. Un contrat de travail, collectif ou individuel, ne pourrait donc pas prévoir un préavis moindre. Il importe de savoir que le préavis légal ainsi prescrit par la Loi sur les normes du travail revêt un caractère minimal et ne fait pas obstacle au droit d’un salarié de réclamer un délai-congé plus important auquel il pourrait avoir droit selon les règles du droit civil ou selon la convention collective, le tout tel que l’indique l’article 82 al.4 L.n.t.
La protection pour les salariés non syndiqués : l’article 2091 C.c.Q.
Pour les salariés non syndiqués qui sont partis à un contrat individuel de travail, le Code civil du Québec prévoit à l’article 2091 C.c.Q. que chaque partie est libre de mettre fin au contrat de travail sans nécessairement avoir besoin d’un motif particulier. En contrepartie de ce droit, l’article 2091 C.c.Q. prévoit un mécanisme de protection tant pour les salariés que pour les employeurs, en indiquant qu’une partie qui désire mettre fin au contrat doit donner à l’autre un délai de congé raisonnable. Ce délai peut être supérieur au délai minimal prévu dans la Loi sur les normes du travail, cela va dépendre des circonstances pertinentes qui ont pu entourer la relation d’emploi ainsi que sa rupture. Afin d’évaluer si un préavis est raisonnable, il faut tenir compte d’une multitude de facteurs[5], par exemple, les années de service, l’âge du salarié, la nature de l’emploi, la possibilité pour ce dernier de se trouver un nouvel emploi comparable, le motif de la fin d’emploi.
Décisions récentes rendues en matière de préavis raisonnable
Décisions |
Délais-congés |
Facteurs considérés |
Dion c. Dion, 2019 QCCS 3074 |
Dix-huit (18) mois |
· Âge : 48 ans · Poste : président du conseil d’administration de l’entreprise · Service continu : vingt-huit (28) années au sein de l’entreprise · Le temps requis afin de trouver un emploi comparable est évalué par le tribunal à douze (12) mois · Cette décision confirme que les préavis de dix-huit (18) mois et plus ne sont plus considérés comme étant exceptionnels |
Gagnon c. Optel Vision inc., 2019 QCCS 2504 |
Dix (10) mois |
· Âge : 40 ans (facteur neutre selon le tribunal) · Poste : vice-président aux ventes de l’entreprise · Service continu : vingt (20) mois à titre de vice-président aux ventes de l’entreprise · Le tribunal a considéré le fait que le plaignant était impliqué au sein du conseil d’administration de l’entreprise depuis dix (10) ans · Sollicitation : le plaignant a été sollicité par l’entreprise et a quitté son emploi précédent |
Boisvert c. Conseil des Atikamekw de Manawan, 2019 QCTA 278 |
Huit (8) mois |
· Âge : 56 ans · Poste : psychologue sur une réserve autochtone · Service continu : sept (7) ans et dix (10) mois · Statut professionnel et haut niveau de responsabilités · Sollicitation : le plaignant a été sollicité et a quitté son emploi précédent · Difficulté dans la recherche d’emploi · Plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail |
Savard c. Gearbox Studios Québec inc., 2019 QCCS 2349 |
Six (6) mois |
· Âge : 35 ans · Poste : directeur d’un studio de production de jeux vidéo · Service continu : treize (13) mois de service · Expérience et formation universitaire · Le délai-congé de six (6) mois représente le temps pendant lequel le plaignant a été à la recherche d’un emploi |
Entreprises Transkid c. Laurin, 2019 QCCQ 3156 |
Trois (3) semaines *pour un employé |
· Poste : superviseur des opérations (poste clef au sein de l’entreprise) · Service continu : six (6) mois · Le salarié a quitté sans préavis |
Les salariés syndiqués : protection par la convention collective
Pour les salariés syndiqués, il est à noter que la règle prévue à l’article 2091 C.c.Q. n’est pas automatiquement applicable, il faudra référer aux dispositions prévues dans la convention collective ou à défaut aux dispositions minimales prévues dans la Loi sur les normes du travail afin de déterminer le préavis auquel un salarié a droit. En effet, le plus haut tribunal du pays a tranché que la règle prévue à l’article 2091 C.c.Q. n’est pas implicitement incorporée dans la convention collective, notamment puisqu’en matière de rapports collectifs du travail, l’employeur est déjà limité dans son pouvoir de congédier un salarié sans cause juste et suffisante et que le remède général est la réintégration[6]. Par conséquent, il faut retenir qu’en l’absence de dispositions prévues dans une convention collective au niveau des conséquences de la fermeture d’une entreprise, un arbitre ne sera pas compétent afin de rendre applicable la notion de préavis raisonnable au sens de l’article 2091 C.c.Q. La prudence recommande donc aux parties à une convention collective de prévoir de manière claire les obligations de l’employeur en cas de mise à pied ou de fermeture de l’entreprise.
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[1] Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991.
[2] Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51.
[3] Union des employés des industries et connexes à la construction, Teamsters, local 1791 (FTQ) c. Kaytec inc., 2018 QCTA 835.
[4] Article 82 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.
[5] Standard Broadcasting Corp. c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (QC CA).
[6] Isidore Garon Ltée c. Tremblay; Filion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., 2006 CSC 2.
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