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L’affaire Bédard c. Unifor inc. : la Cour d’appel précise le devoir de représentation d’un syndicat envers les salariés retraités

Me Erika Escalante, avec la collaboration de Me Amélie Soulez

 

La Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’Honorable Guy Gagnon, a récemment rendu la décision Bédard c. Unifor[1], laquelle met en lumière les limites de la protection des droits acquis des salariés retraités lorsque leur intérêt s’oppose à celui des travailleurs actifs obligés de revoir certains aspects de la convention collective dans le contexte d’une réorganisation financière de l’entreprise.

Un résumé des faits de cette affaire s’impose : les appelants sont des salariés retraités de l’usine de pâtes et papiers Stadacona, une usine du Groupe White Birch (ci-après « Le Groupe ». Ceux-ci ils sont réunis au sein d’un regroupement appelé « Regroupement des Employés Retraités de White Birch – Stadacona » (ci-après « le Regroupement »). En 2010, le Groupe éprouve d’importantes difficultés financières au point de se voir tomber sous l’égide de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La Société Black Diamond dépose une offre d’achat conditionnelle en vue d’acquérir les actifs du Groupe, mais exige toutefois la conclusion d’une nouvelle convention collective ainsi que la terminaison des régimes privés de retraite alors en place en raison de leur déficit accumulé de plus de 250 millions de dollars. Après l’impasse survenue dans le cadre des négociations entre l’intimé, Unifor, et le Groupe, les salariés de l’usine ont finalement accepté l’offre finale présentée en au mois de mars 2012 à la majorité. Le sort des appelants est ainsi scellé. Les appelants soutiennent que la relance de l’usine, laquelle a eu lieu dès le mois de janvier 2015, a été faite à leurs dépens. Ils reprochent à Unifor ainsi qu’aux sections locales 137, 20 Q et 250 (ci-après « les Sections locales ») d’avoir été tenus à l’écart des négociations.

 

L’Historique judiciaire

 

  •  La décision de la Commission des relations du travail du 12 août 2013

D’abord, le Regroupement a déposé une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail pour défaut au devoir de juste représentation syndicale à l’encontre d’Unifor et des Sections locales. La Commission des relations de travail (devenu le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») rejette sommairement cette demande pour deux motifs :

Le regroupement n’a pas eu le mandat de déposer, au nom des 488 retraités et ex-syndiqués une plainte en 47.2 C.t.

Le syndicat d’Unifor visé par la plainte n’est pas titulaire des certificats d’accréditation visant l’employeur, et que seule une accréditation dûment accréditée est visée par cet article.[2]

 

  • Jugement de la Cour supérieure le 4 novembre 2016

Le Regroupement se tourne alors vers la Cour supérieure pour faire valoir leur prétention. Les reproches sont les mêmes que ceux invoqués devant la Commission des relations du travail, mais l’argument basé sur le défaut de représentation est mis de côté afin de mettre en place un argument basé sur le « devoir fiduciaire ». Le devoir du fiduciaire est un concept découlant de la common law, il impose aux personnes visées par celui-ci d’agir dans le meilleur intérêt de la contrepartie auprès de laquelle elles agissent. Il s’agit de la norme la plus stricte de diligence. Le devoir de fiduciaire comprend, entre autres, l’obligation d’agir de bonne foi, de ne pas divulguer de l’information confidentielle de la société et d’éviter de faire passer son propre intérêt avant de celui de la société. Dans le cadre d’un jugement interlocutoire, le Tribunal décline compétence au profit de la compétence exclusive du TAT pour entendre les litiges relevant du devoir de représentation, incluant ceux relatifs à l’obligation fiduciaire. Puis, celui-ci conclut à l’absence d’intérêt juridique dans la poursuite contre Unifor à l’égard du Regroupement. Seuls les appelants, les salariés retraités, peuvent ainsi poursuivre ce recours. Finalement, le juge de la Cour supérieure est d’avis que la décision du TAT ne constitue pas une chose jugée à l’égard du fond du litige qui est de déterminer si Unifor, dans ses agissements envers les retraités syndiqués, commet une faute.

Dans sa décision rendue au fond de l’affaire, il retient deux fautes commises par ce dernier, soit un manquement à une obligation d’information et de consultation, qu’il qualifie de manquement au devoir de représentation. Cependant, le juge conclut à une absence de lien de causalité entre ces fautes et les dommages réclamés par les appelants. Il estime que rien au dossier ne fait voir, que les appelants auraient refusé l’offre de l’entreprise en pareille circonstance. Il considère également que l’offre proposée par l’employeur a permis aux appelants de minimiser leurs pertes.

 

 Motifs de la Cour d’appel

 

1) La faute d’Unifor

  • La responsabilité des Sections locales

La Cour d’appel est d’avis que le juge de première instance n’aurait pas dû retenir la responsabilité des Sections locales alors qu’elles n’étaient pas une partie au litige dont il était saisi. Selon ce dernier, elles ont manqué à leur devoir de représentation en omettant de consulter les retraités relativement à l’offre finale reçue au mois de mars. Ce dernier a conclu ainsi nonobstant le jugement de la Cour supérieure concluant qu’elles ne pouvaient être poursuivies devant une instance civile sur un enjeu relative au devoir de représentation. La Cour est d’avis qu’il y a chose jugée sur cette question. D’ailleurs, elle souligne la décision administrative rendue en leur faveur, laquelle rejetait la plainte du Regroupement déposée sous le fondement de l’article 47.2 C.t.

 

  • Le défaut de représentation d’Unifor

Sur ce point, la Cour d’appel reproche au juge de première instance d’avoir conclu que l’intimé avait fait preuve de négligence grave à l’égard des appelants dans leur omission d’information et de consultation, et ce en dépit du principe du monopole de représentation syndicale conféré aux Sections locales et à leur rôle d’agent négociateur accrédité.

Elle fonde d’abord son raisonnement sur l’arrêt Fullowka c. Pinkerton’s Ltd.[3], rendu dans le contexte de la responsabilité du fait d’autrui. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de la relation juridique prévalant entre un syndicat national et une section locale affiliée en ces termes :

[119] Il ne fait pas de doute qu’une section locale peut avoir une personnalité juridique et des obligations distinctes de celles de son syndicat national. Tout dépend du régime législatif auquel elle est assujettie, des statuts du syndicat et des clauses des conventions collectives. À titre d’exemple, les tribunaux ont de façon constante reconnu que, dans le cas où, comme en l’espèce, une section locale est un agent négociateur accrédité, c’est elle et non le syndicat national qui assume les obligations légales et contractuelles d’un agent négociateur.

Suivant cette prémisse, la Cour ajoute qu’au plan juridique, il ne peut exister de confusion entre un agent négociateur accrédité et le syndicat national auquel il est affilié. Puis, elle poursuit son analyse en ajoutant que le Code du travail confère aux sections locales le pouvoir exclusif de négocier les conditions de travail des salariés syndiqués qu’elles représentent, ce qu’elle qualifie comme étant l’« un des droits les plus importants » y étant prévu. Corollairement à ce droit, le syndicat accrédité à l’obligation de bien représenter ces salariés, et cette responsabilité ne peut être partagée.

Ceci dit, considérant que les Sections locales étaient les seules à détenir un monopole de représentation, les obligations légales afférentes à ce droit ne pouvaient être assumées par l’intimé, en raison de son statut de tiers. Autrement dit, celui-ci ne possède aucune accréditation auprès du Groupe et ne possède aucun pouvoir décisionnel à l’égard des Sections locales et des salariés syndiqués qu’elles représentent. Son rôle n’était relatif qu’aux négociations avec le Groupe. Juridiquement parlant, cela se traduit par le fait que la source de responsabilité d’Unifor ne pouvait relever d’un manquement au devoir de représentation puisqu’une telle obligation est exclusive aux Sections locales.

 

  • Le devoir fiduciaire

La Cour conclut que les appelants ne peuvent se rabattre sur la notion de devoir fiduciaire afin de retenir la responsabilité civile de l’intimé, s’agissant d’un concept tiré de la common law. Après être adonné à une revue des décisions ayant brièvement traitées du sujet[4], la Cour mentionne qu’en droit québécois, la reconnaissance d’une obligation fiduciaire d’un syndicat à l’égard de ses membres retraités n’a jamais été formellement acceptée. Elle souligne que les tribunaux semblent préférer la notion « d’obligation résiduelle de représentation », tel que discutée dans l’affaire Tremblay, reprise dans des décisions subséquentes, et confirmée de façon manifeste par la doctrine. Nous pouvons donc retenir de cette affaire que les obligations d’un syndicat envers les salariés retraités découlent non pas de la notion d’obligation fiduciaire mais de l’obligation résiduelle de représentation qui se résume ainsi depuis cette affaire : « le départ à la retraite d’un salarié n’exclut pas le devoir de représentation d’une association accréditée à son endroit, non pas à l’égard d’une situation postérieure au lien d’emploi, mais antérieure au départ du salarié. » [5].

 

  • La responsabilité extracontractuelle d’Unifor

La Cour reproche au juge de première instance d’avoir conclu à un manquement à l’obligation d’informer et de consulter, puisqu’en l’espèce, il ne pouvait être question d’un manquement à un obligation conventionnelle, considérant qu’Unifor n’a jamais contracté d’obligations de cette nature avec les appelants. Ceci dit, seul le régime de la responsabilité extracontractuelle pouvait être applicable. Selon la Cour, les appelants devaient donc démontrer que le comportement de l’intimé s’écartait de manière significative de la norme de conduite qui s’imposait en l’espèce, en l’occurrence, un manquement à l’obligation générale de prudence et de diligence. Considérant que le juge de première instance a qualifié de « négligence grave » les fautes d’Unifor, la Cour décrit la notion de faute lourde, codifiée à l’article 1474 C.c.Q., ainsi :

[89] Cette classification de la faute tient à sa gravité puisque la notion de faute lourde désigne le comportement révélateur « d’une incurie, d’une insouciance grossière, d’un mépris total des intérêts d’autrui ». Il s’agit donc d’une faute que même la personne la moins soigneuse ne commettrait pas. Sans être intentionnelle, elle dénote une incurie si élevée qu’on peut se demander si la personne qui la commet ne fait pas exprès.

En l’espèce, la preuve ne démontre aucune faute lourde imputable à Unifor, voire même aucune « simple négligence ». La Cour ne peut y déceler aucune faute en ce que l’intimé ne s’est pas écarté du mandat que lui avait confié les Sections locales dans le cadre des négociations avec le Groupe. Puis, les appelants ont reçu communication de l’offre finale de mars 2012 au même moment que les salariés réguliers, ils se sont vus invités à participer à une séance d’informations, et finalement, ils ont même été invités à prendre la parole pendant la réunion des salariés réguliers, leur donnant ainsi une opportunité d’influencer le vote. Au paragraphe 114 de sa décision, la Cour d’appel conclut avec vigueur que le dossier ne démontre nullement la présence de gestes arbitraires, capricieux, discriminatoires ou abusifs de la nature d’une négligence grave ou majeure de la part d’Unifor. Bien au contraire.

 

2) Le lien de causalité

Malgré l’absence de faute, la Cour d’appel termine ses conclusions en se prononçant brièvement sur le lien de causalité. Elle déboute les appelants sur tous les arguments soulevés à l’encontre du jugement de première instance. Elle conclut comme le premier juge l’avait fait, soit à l’inexistence d’un lien causal entre les fautes alléguées contre l’intimé et les dommages réclamés par les appelants.

 

Conclusion

L’appel est donc rejeté.

En terminant, dans le cadre d’un obiter dictum, la Cour évoque qu’en raison des conséquences importantes sur la vie des salariés qu’entraîne une capitalisation insuffisante dans les régimes de retraite à prestations déterminés en cas de profondes difficultés financières de l’employeur, elle ne peut que souhaiter la mise en place de mesures contraignantes aux fins de protéger la pérennité de ces régimes.

Les derniers propos de la Cour d’appel sont d’actualité, notamment dans le contexte où d’importants débats juridiques sont en cours entourant l’adoption par le gouvernement en décembre 2014 de la Loi 15, la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, laquelle est vivement contestée par les syndicats en raison des atteintes à la liberté d’association qu’elle engendre, notamment la liberté de négocier collectivement ses conditions de travail.

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________________________________

[1] 2020 QCCA 657 (CanLII)

[2] Regroupement des employés retraités de la White Birch Stadacona c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et les sections locales 137, 200, 250 et 299, 2013 QCCRT 397. Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire rejeté par la Cour supérieure : Regroupement des employés retraités de la White Birch Stadacona c. Commission des relations du travail, 2014 QCCS 992.

[3] 2010 CSC 5

[4] Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230, Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57, 2002 CSC 44, Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec, 2005 QCCA 304, Banque Laurentienne c. Werve, 2008 QCCA 702.

[5] Tremblay c. Syndicat des employés et employées professionnels – les et de bureau, section locale 57, 2002 CSC 44 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 627