Profilage racial et menottage : la Cour d’appel clarifie les critères de discrimination prévus à la Charte québécoise

12 août 2025

Dans l’affaire L. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2025 QCCA 955 (Manon Savard, J.c.Q., Benoît Moore, J.C.A., Judith Harvie, J.C.A.), deux policiers de la Ville de Gatineau se pourvoient contre un jugement du Tribunal des droits de la personne (ci-après : le « Tribunal »), lequel les condamnait solidairement avec la Ville à verser au plaignant 7 500 $ en dommages-intérêts compensatoires, ainsi que 1 000 $ chacun en dommages-intérêts punitifs. Ce jugement amène la Cour d’appel à examiner les critères applicables à une plainte fondée sur l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après : la « Charte québécoise ») dans un contexte de profilage racial allégué lors d’une intervention policière.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants : vers 3 h du matin, les policiers interceptent un taxi dans lequel se trouve le plaignant, assis à l’avant sans ceinture de sécurité. Après avoir immobilisé le véhicule, ils lui demandent à plusieurs reprises de s’identifier, ce qu’il refuse. Ils procèdent alors à son arrestation, le menottent et le fouillent pour obtenir une pièce d’identité. Une fois identifié, il est libéré après environ 15 minutes et reçoit deux constats d’infraction : l’un pour l’absence de ceinture de sécurité, l’autre pour avoir refusé de s’identifier. Estimant avoir été victime de discrimination, le plaignant dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après : la « Commission »). Après enquête, la Commission saisit le Tribunal et reproche à la Ville de Gatineau ainsi qu’aux deux policiers d’avoir exercé du profilage racial lors de cette intervention. Le Tribunal conclut que l’interception était justifiée par l’infraction observée, mais considère que le menottage constitue un traitement inhabituel lié à la race du plaignant et ayant porté atteinte à son droit à l’égalité.

La Cour d’appel estime que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son analyse des éléments constitutifs de la discrimination prima facie, en introduisant à tort une présomption de discrimination. Elle critique également l’analyse du Tribunal concernant l’atteinte intentionnelle au droit à l’égalité du plaignant, notamment à la lumière de sa conclusion selon laquelle les policiers auraient agi sous l’influence de préjugés raciaux inconscients.

Concernant l’erreur de droit relative aux éléments constitutifs de la discrimination prima facie, la Cour d’appel conclut que le Tribunal a mal appliqué le cadre juridique prévu à l’article 10 de la Charte québécoise. En effet, le Tribunal a présumé un lien entre le menottage et la race sans preuve prépondérante, alors que le recours au menottage était justifié par le refus du plaignant de s’identifier. La Cour rappelle que le contexte social du profilage racial, bien qu’important, ne suffit pas à établir une discrimination dans un cas particulier.

La Cour poursuit son analyse en examinant l’octroi de dommages-intérêts punitifs par le Tribunal. Elle estime que ce dernier a confondu le préjudice psychologique avec l’atteinte intentionnelle aux droits fondamentaux. Le plaignant n’a pas démontré que les policiers avaient eu l’intention de porter atteinte à ses droits ou qu’ils avaient connaissance des conséquences discriminatoires de leurs gestes. En effet, lorsque les gestes reprochés auraient été posés de façon inconsciente, il n’y a pas lieu d’octroyer des dommages-intérêts punitifs qui visent à sanctionner le caractère intentionnel de tels gestes. Par conséquent, l’octroi de dommages-intérêts punitifs n’était pas justifié, d’autant plus que le Tribunal n’a pas appliqué le bon cadre d’analyse et que l’atteinte en question n’était pas illicite.

Pour ces motifs, la Cour d’appel accueille l’appel et condamne uniquement la Ville de Gatineau à verser au plaignant la somme de 7500$ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Mes Frédéric Nadeau et Amélie Soulez, associés au sein du cabinet, représentaient les parties policières dans le présent dossier. 

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