Le 5 octobre 2021, la Cour supérieure accueillait partiellement la contestation constitutionnelle de la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (la Loi 24) [1]. La Cour supérieure déclarait inconstitutionnels les articles de la Loi 24 portant sur le mécanisme de nomination des membres du Conseil de règlement des différends (CRD). La Cour d’appel a confirmé cette conclusion dans un arrêt rendu le 29 août 2024 [2]. Selon la Cour d’appel, ce mécanisme constitue une entrave substantielle à la liberté d’association protégée par la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après, Charte canadienne) et cette atteinte n’est pas justifiée.
Il faut rappeler que la Loi 24 avait aboli l’arbitrage de différends des policiers et pompiers qui existait depuis près de 80 ans. Cet arbitrage, donné en remplacement du droit de grève, permettait de régler devant un arbitre les termes d’une nouvelle convention collective lorsque la négociation échouait. La Loi 24 remplace l’arbitre de différend par le CRD, un tribunal siégeant à trois décideurs, dont l’un doit avoir une expertise dans le domaine des relations de travail, un autre doit avoir une expertise économique et un troisième une expertise dans le secteur municipal. Ensemble, ils entendent la preuve et déterminent le contenu de la convention collective que les parties n’ont pas réussi à négocier.
Par ailleurs, la Cour supérieure avait jugé constitutionnels les autres volets de la Loi 24 attaqués par le recours, soit : l’imposition de plusieurs critères d’analyse au CRD pour orienter sa décision (capacité de payer des citoyens, comparaison avec la fonction publique provinciale, saine gestion des finances publiques, etc.), l’obligation pour les syndicats de payer la moitié des frais du CRD et l’obligation de signer des conventions collectives d’une durée minimale de cinq ans.
Le Procureur général a porté en appel le jugement de la Cour supérieure sur la question de la nomination des membres du CRD. La Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, la Fraternité des policiers et policières de Montréal et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec ont fait appel sur les autres aspects de la Loi 24 jugés constitutionnels par la Cour supérieure.
Dans l’arrêt rendu hier, la Cour d’appel rejette les deux appels et maintient presque intégralement les conclusions de la Cour supérieure. Le seul changement apporté est la période durant laquelle la déclaration d’inconstitutionnalité est suspendue. La Cour supérieure avait suspendu la déclaration d’inconstitutionnalité pendant un an. La Cour d’appel la suspend pendant 6 mois, vu le temps écoulé depuis l’appel.
Les trois juges de la Cour d’appel sont d’avis de rejeter l’appel des syndicats. Pour l’appel du Procureur général, deux juges rejettent l’appel, mais le troisième, le juge Jocelyn F. Rancourt J.C.A., est dissident. Il aurait conclu que le mode de nomination des membres du CRD est constitutionnellement valide.
Les motifs des juges majoritaires sont essentiellement les suivants. Le droit de faire la grève est maintenant pleinement reconnu comme une activité comprise dans la liberté d’association qui est protégée par le Charte canadienne. Donc, si on prive les policiers et les pompiers de leur droit de grève, il s’agit d’une violation de la Charte canadienne. Cette violation est justifiée seulement si on remplace le droit de grève par un mécanisme qui est juste, efficace, indépendant et impartial.
La majorité des deux juges de la Cour d’appel conclut que, en raison du mode de nomination des membres du CRD, la Loi 24 ne constitue pas un remplacement valable au droit de grève. En effet, le Loi 24 ne prévoit qu’une consultation des syndicats qui s’effectue dans le cadre d’un comité de sélection où leur voix est largement minoritaire (un membre syndical, un membre patronal et trois membres désignés par le gouvernement). Le comité de sélection constitue une liste de personnes aptes à siéger au CRD. Comme cette liste est établie à la majorité des membres du comité de sélection, la liste pourrait être entièrement constituée de personnes refusées par le membre syndical.
La majorité des juges de la Cour d’appel conclut que le mode de nomination des membres du CRD fait en sorte que ce tribunal n’est pas un substitut adéquat au droit de grève parce qu’il ne peut susciter la confiance des parties et n’apporte pas de garanties suffisantes que le rapport de force ne sera pas indûment modifié.
En ce qui concerne les critères décisionnels imposés au CRD pour rendre sa décision, la Cour d’appel estime qu’il ne s’agit pas d’une atteinte à la liberté d’association parce que l’importance que le CRD peut accorder à chacun des critères est laissée à son entière discrétion. Il n’y aucune hiérarchie parmi ces critères. Donc, la Cour d’appel ne peut conclure que ces critères entraîneront des résultats prédéterminés.
Pour le partage des frais du CRD à parts égales entre les parties, la Cour d’appel conclut que ce seul aspect ne fait pas en sorte de compromettre l’équilibre du rapport de force. La Cour rappelle que l’exercice du droit de grève comporte également des contraintes financières importantes en raison de la perte de salaire des syndiqués pendant celle-ci. Il est donc normal pour la Cour que son substitut en comporte également.
Pour la durée minimale des conventions collectives fixée à cinq ans, la Cour d’appel indique que cet élément constitue effectivement une entrave à la liberté d’association. Cependant, selon la Cour, cette entrave n’est pas substantielle. C’est-à-dire qu’elle n’empêche pas les syndicats de poursuivre leurs objectifs communs d’amélioration des conditions de travail de leurs membres.
Tel que mentionné précédemment, le juge Rancourt considère dans sa dissidence que le fait que les membres du CRD soient essentiellement nommés par le gouvernement sans l’aval du mouvement syndical ne permet pas de conclure que le CRD n’est pas un substitut valable au droit de grève.
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